Lutte contre la corruption en Algérie. Djilali Hadjadj : « Nous subissons des pressions de toutes sortes »

Hadjadj Djilali

Djilali Hadjadj est porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), la branche algérienne de Transparency International.

Comment expliquez-vous le recul de l’Algérie dans le dernier classement de Transparency International ?

Je vous renvoie à l’article paru lundi, sur votre site. La justice est pratiquement gelée. Les organismes spécialisés (l’organe national de prévention et lutte contre la corruption ou l’office central de répression de la corruption) sont aux abonnés absents. Toutes les grandes organisations internationales dont le FMI, les Nations Unies ou la Banque mondiale ont des indices d’évaluation dont celui du nombre de procès dans le cadre de lutte contre la corruption. Et l’Algérie est très mal classée dans ce domaine. Ces mêmes organismes classent très mal également la France. En dix ans, la justice française n’a pu tenir qu’un seul procès en ce qui concerne la corruption. Cela nous inquiète. Pourquoi ? Parce que la France est le premier fournisseur et le deuxième client de l’Algérie.

Où en est-on dans les enquêtes de corruption en Algérie ?

On en est à absolument rien au niveau de la justice algérienne. Même le service de police judiciaire (police, gendarmerie ou DRS) ne reçoit plus d’instructions de la part des juges pour poursuivre leurs enquêtes. Nous en avons la confirmation. Par contre, au niveau international notamment au niveau de la justice italienne, suisse et canadienne, les enquêtes relatives à l’affaire Saipem ou l’affaire SNC Lavalin avancent. Cela étant dit, je pense qu’il ne faut pas oublier la réalité de la corruption dans les wilayas. Une dizaine d’entre elles dont Oran, Annaba, Constantine et Khenchela échappent à tout contrôle et à toute tutelle du gouvernement et où les walis ont d’autres tutelles que l’Exécutif.

Qu’est-ce qui bloque ces affaires en Algérie ?

Le fait que ces affaires impliquent des gens très proches des hauts responsables aussi bien civils que militaires. En 2013 et 2014, la Tracsin (une cellule de lutte contre le blanchiment d’argent) du ministère français de l’Économie a signalé à la justice un mouvement financier suspect concernant les personnalités algériennes non résidentes en France. Nous avons eu la confirmation de cette cellule. Les Algériens ont aussi déposé plainte en France auprès de la justice française. Mais cette justice est également très lente concernant les biens mal acquis par des dirigeants algériens en France, aussi bien concernant l’achat de biens immobiliers que les comptes bancaires.

Est-ce que le problème de la protection des dénonciateurs se pose toujours ?

La répression des dénonciateurs de la corruption est systématique. Même quand ces dénonciateurs ont des preuves indiscutables. Administration, services de sécurité et justice les dissuadent et les répriment. La loi de lutte contre la corruption de 2006 est très en recul par rapport à la convention des Nations Unies. L’ancien ministre de la Justice avait répondu à l’une de mes demandes et ouvert le chantier de révision de la loi pour la lutte contre la corruption afin de renforcer la protection des dénonciateurs comme le stipule la convention des Nations Unies. Cela fait quelques semaines, l’actuel ministre répondait aux parlementaires sur la question de lutte contre la corruption en disant qu’il allait revoir cette loi. Aujourd’hui, on ne voit rien venir.

Subissez-vous des pressions ?

L’Association, ses membres et ses sympathisants subissent des pressions de toutes sortes. D’ailleurs, depuis quelques temps, l’association fait un peu le dos rond. Ses membres sont convoqués manu militari par les services de sécurité et par leurs employeurs. Leurs dossiers à caractère social (demande de logement, par exemple) disparaissent. Ils sont suivis à la trace. C’est horrible. Et je pense que cela est dû à certaines déclarations faites en 2013 quand nous avons évoqué l’implication de Mohamed Bejaoui dans l’affaire Sonatrach/Saipem.


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