En Algérie, « la réussite est de moins en moins suspicieuse »

Mehdi Bendimerad

Mehdi Bendimerad est le PDG fondateur de SPS (Système Panneau Sandwich). Il est aussi le président de la Commission des relations internationales au Forum des Chefs d’entreprise (FCE) et le président de NAPEO Algeria. À l’occasion de la visite du patronat à Charm el Cheikh, en Égypte, nous vous livrons ses impressions sur l’environnement global des affaires en Algérie.

Cette semaine, le Secrétaire adjoint américain au Commerce était à Alger. Il a déclaré qu’il y a une concurrence régionale pour attirer les IDE. En quoi l’Algérie peut être plus attractive que ses voisins pour un investisseur américain ?

L’Algérie a des potentialités énormes et une infrastructure qui lui permet d’attirer des investisseurs voulant développer leurs activités. On a aussi des avantages en termes de coût de l’énergie, de ressources humaines et de densité du territoire. La clé, c’est la « colocalisation », en partenariat avec des entreprises algériennes. C’est obligatoire de par la loi, via le 51/49. Qui plus est, cette règle permet aux investisseurs, américains par exemple, de tout de suite prendre pied avec un partenaire algérien et d’accéder plus facilement au marché national, voire plus au sud, en évitant les barrières culturelles.

Marcus D. Jadotte parle d’un climat des affaires qui laisse à désirer. Vous le rejoignez sur ce point ?

Le climat des affaires doit évoluer. Il doit être plus incitatif, plus ouvert. Nous travaillons, au sein du FCE, en collaboration avec le gouvernement et les différentes institutions pour alléger ce « doing business ». L’indice donné par la Banque mondiale (153e) ne devrait pas être celui d’un pays avec les potentialités qui sont les nôtres. Le meilleur « son de cloche » pour l’État, c’est celui des professionnels, c’est-à-dire des entreprises et entrepreneurs confrontés à ce climat des affaires. L’accès au foncier, malgré la loi sur la mise en concession, reste très difficile. À notre niveau, nous proposons de prendre en charge et d’aménager des parcs industriels. Il faut aussi fluidifier l’acte d’investir. Ce n’est que comme cela qu’on pourra aller plus vite et plus loin.

En tant que président du NAPEO-Algeria, quel est votre rôle ?

Au lendemain de l’élection du Président Obama, notre objectif était de renouer les relations entre les États-Unis et le monde arabe. Relations altérées par les campagnes désastreuses menées en Irak après le 11 septembre. L’objectif est donc de retisser un lien, des relations économiques et sociales normales entre grandes puissances et puissances régionales. Le Napeo est divisé en différentes régions et pays. Plusieurs pays rassemblés en une entité sont plus puissants qu’un pays seul.

N’est-ce pas problématique un patronat qui maîtrise mal l’anglais pour nos échanges internationaux ?

On arrive à travailler mais il est sûr qu’on a des lacunes en anglais. Le domaine économique parle beaucoup en français mais l’anglais est nécessaire pour pouvoir s’imposer un peu partout. Il suffit de prendre quelques cours et on peut y arriver. Ce n’est pas une tare irrémédiable.

En novembre 2012, vous évoquiez aussi les difficultés de financement. Quelles sont les possibilités qui s’offrent aujourd’hui à un Algérien qui veut entreprendre ?

On n’a pas beaucoup évolué en trois ans. Je vois toujours les mêmes difficultés. Les entrepreneurs ont les mêmes problèmes parce que les banques ne sont pas spécialisées pour le type d’entreprises qui constituent notre tissu industriel et économique. C’est un tissu de Très petites entreprises (TPE), avec moins de 10 salariés. Au FCE, nous proposons une banque qui leur est spécialement dédiée. Un établissement qui connait et qui peut synthétiser les problèmes des TPE, et donc proposer des solutions d’investissement de manière plus réactive et plus réceptive. C’est là qu’on pourrait gagner en termes de financement.

Vous avez fondé les Casbah Business Angels. Qu’est-ce ?

Casbah Business Angels, c’est un regroupement d’investisseurs à qui on propose un projet. Ces projets ont des besoins de financements et ces investisseurs peuvent prendre des parts. Le « business angel » (anges des affaires, ndlr) offre plus que de l’argent. Il offre aussi du temps, des conseils, des orientations, des idées. Ce sont des gens qui sont déjà dans le domaine économique, qui ont réussi, qui sont aguerris et qui contribuent au développement ou à la création d’activité.

Selon vous, pourquoi la culture des Business Angels peine à s’imposer en Algérie ?

Disons que l’environnement n’est pas encore propice à cela. Tout le travail qu’on est en train de faire à la GEW (Semaine mondiale de l’entreprenariat) et les activités qu’on organise autour de l’entreprenariat visent à créer cet écosystème favorable à l’entreprenariat, à l’investissement et au « mentoring ». On veut créer et développer l’environnement entrepreneurial. Il faut développer cette culture du networking pour que la société évolue.

Comment expliquer le faible dynamisme de la Bourse d’Algérie ?

Le manque de valeurs. Tant qu’il n’y aura que 4 ou 5 valeurs, un volume de trading (échange) très faible, pas d’engouement général à venir investir en bourse, tant qu’il n’y aura pas cette culture, il n’y aura pas de développement de la bourse d’Alger. Or, le propre d’une économie libérale de marché, c’est le financement par le public, donc par la bourse. Tant que celle-ci ne sera pas développée, nous ne serons pas dans une économie libre. L’introduction prévue de nouveaux titres n’est pas suffisante pour créer un climat propice à l’investissement par le marché. Il faut que les entreprises privées s’ouvrent aussi. Aujourd’hui, elles y sont réticentes car cela implique l’ouverture des comptes et la publication des chiffres. Mais nous sommes très confiants par rapport à l’évolution de cette donne.

Vous étiez à la Conférence sur l’Investissement et l’Entreprenariat, le 5 mars à Tunis. La star du forum : les Partenariats Publics-Privés (PPP). Ça risque d’être compliqué en Algérie, non ?

Pas du tout, je suis très confiant. Je pense qu’il y a une dynamique, et l’environnement mondial passe de plus en plus par le PPP. C’est la clef pour certains projets, je pense par exemple à la concession de l’autoroute Est-Ouest. Cette question est sur la table, elle commence à être débattue, notamment avec le ministère de l’Industrie. Même si la négociation est à un stade peu avancé…

« La réussite est souvent suspicieuse en Algérie. » Cette phrase est de vous. C’est compliqué, une révolution des mentalités ? 

C’est compliqué, mais ça l’est de moins en moins. Il y a des années, on sortait d’une culture socialiste. Maintenant on commence à voir un tissu d’industriels, un parterre d’hommes d’affaires privés qui ont « pignon sur rue », qui ne sont plus source de questionnement mais qui donnent envie. C’est bien, parce que ça donne de l’engouement à d’autres jeunes qui veulent réussir et faire la même chose.

Dépénaliser l’acte de gestion, c’est ce que vous demandez au ministre de la Justice ? C’est, je crois, le seul responsable que le FCE n’a pas encore rencontré…

Question de calendrier ! Il faut être clair : si on veut donner le même entrain aux entreprises publiques et privées, il faut leur donner les mêmes droits et devoirs. Le même droit, c’est aussi de dépénaliser l’acte de gestion. Les gens ont peur de prendre des risques parce qu’ils savent qu’il y a un couperet prêt à sévir. Si les gens ont commis des actes délictueux, la justice est là. Mais pour le reste, pour la gestion quotidienne, il faut donner le maximum de liberté au gestionnaire. Ce n’est que comme cela qu’il peut réussir. Si vous le brimez, il n’aura pas la même facilité et le même engouement pour développer et défendre son entreprise. Il faut de l’autonomie pour gérer des situations complexes.

Franchement, quand vous êtes revenu des États-Unis, vous n’avez pas eu l’impression d’atterrir en URSS ?

Non pas du tout, parce que je n’étais pas déconnecté du pays. Je ne me suis pas retrouvé dans un pays que je ne connaissais pas, au contraire. Je revenais assez souvent. En outre, vous ne pouvez pas transposer un modèle par rapport à un autre. On ne peut pas prendre un modèle et dire que tout doit être comme ça. Si vous voulez faire des affaires, il faut être en accord avec son environnement. Autrement, si on pense qu’on va pouvoir fonctionner de la même façon dans tous les pays, ce n’est pas possible.

C’est quoi la vie d’un entrepreneur ? On se lève à quelle heure ? On a quel planning ?

On se lève tôt. On se couche tard. On a beaucoup d’obligations. Peu de week-ends. On prend beaucoup de risque. On prend beaucoup sur soi. On prémunit l’entreprise pour laquelle on travaille. On la défend sans être toujours compris. On soutient l’ensemble de ses employés sans qu’ils le sachent parfois. On prend des risques et des décisions pour eux. Vous engagez l’ensemble de vos employés quand vous prenez une décision et ces gens ont des familles à nourrir. Si vous prenez une mauvaise décision et que ça mène l’entreprise dans le mur, c’est tout le monde qui en souffre. Donc il faut voir loin, anticiper les choses et ne pas se tromper. Et si on se trompe, il faut savoir retomber sur ses pattes. C’est là la difficulté première d’un entrepreneur. Un entrepreneur est souvent seul, en fait.

Vous êtes chez AmCham (chambre de commerce), Care, au FCE (président de la Commission des Relations Internationales). Ca y est, on est passé du népotisme à la culture du networking en Algérie ?

On fait beaucoup de choses en Algérie ! Beaucoup de choses très intéressantes. On sent qu’il y a cet engouement pour faire évoluer les choses. Avec le temps, la participation de chacun et les actions qu’on mène, on veut mener l’Algérie au 21e siècle, là où elle devrait être. Pas là où elle a été laissée. On ne s’ennuie pas.

On a le sentiment que le FCE d’Ali Haddad a pleinement compris l’intérêt d’une diplomatie économique. Déplacements en France, à Londres, au Sénégal, à Tunis, Charm El Cheikh et Genève ces jours-ci… C’est le rôle du patronat ?

Tout à fait ! On a perdu tellement de terrain qu’on ne peut pas se permettre d’attendre que les choses viennent. Tout s’arrache. Il faut être partout, aller à la rencontre de tout ce qui peut être positif et ramener du potentiel pour développer notre pays. C’est la fonction d’un président d’une association patronale comme le FCE d’être un catalyseur de l’économie. C’est l’entreprise privée qui fait les affaires. À titre d’exemple, nous étions très bien placés politiquement en Afrique. Nous avons aidé tous ces pays à recouvrer leur indépendance. Mais quel est le  « retour sur investissement » par rapport à tout ce que l’Algérie a donné pour ça ? Très faible ! C’est pour cela qu’on veut recréer cette dynamique et reprendre les positions qui sont les nôtres. Nous étions présents dans ces pays et maintenant que les conditions sont réunies, nous devons reprendre la place qui est la nôtre. Les consulats et les ambassades sont des appuis, des antennes de diffusion, la prolongation d’une politique économique. Il doit aussi y avoir d’autres appuis, comme notre compagnie aérienne, les banques… Avec cinq millions d’Algériens en France, il est inadmissible par exemple qu’il n’y ait pas de banque algérienne pour eux ! Alors qu’on pourrait capter l’épargne de ces gens qui pourrait revenir au pays ! Il faut aussi que ces banques aident au développement économique. Lorsqu’on va travailler, vendre des produits, en Afrique ou ailleurs, il faut une banque pour nous appuyer. L’Afrique est d’ailleurs une priorité pour nous et pour le gouvernement.

Il y a quelques années, un magazine vous avait qualifié de « jeune, dynamique et patriote. » C’est la meilleure façon de vous décrire ?

Tout à fait ! Je suis patriote, et jeune encore (rire) et dynamique, je pense l’être suffisamment tous les jours. Tout ce que j’entreprends, j’essaye de le faire pour le meilleur.

 


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici