ENTRETIEN. Kamel Moula, DG de Venus : « Il faut arrêter de considérer les opérateurs économiques nationaux comme des trafiquants »

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Kamel Moula, 38 ans, est directeur général de Venus Sapeco, numéro un sur le marché national des cosmétiques. Il est également Président du Club des Entrepreneurs et Industriels de la Mitidja (CEIMI) qui compte plus de 1000 adhérents. Dans cet entretien, il revient sur les difficultés des entreprises algériennes.

La Banque d’Algérie autorise les entreprises algériennes à investir à l’étranger. Etes-vous intéressé ?

Je préfère investir en Algérie. Pour l’étranger, nous avons besoin d’installer des bureaux de liaison pour exporter. En Afrique il n’y a pas de transparence alors que pour les entreprises algériennes, le marché naturel est africain et non européen. Or, le règlement de la BA est davantage fait pour l’Europe. On encourage les entreprises à aller en Europe et moi ça ne m’intéresse pas ! Dans les années 90, on a continué à investir, on est resté alors que c’était un climat difficile, ce n’est pas aujourd’hui que je partirai à l’étranger. Mais l’État devrait revoir sa démarche par rapport à l’Afrique pour qu’on puisse ouvrir des bureaux de liaison.

Les matières premières sont lourdement taxées en Algérie, ce qui pénalise les producteurs. Est-ce que c’est normal ?

Cela n’est pas normal. Ces matières premières ne sont pas produites en Algérie donc ces taxes ne sont pas mises en place pour protéger le marché local. On n’arrive pas à comprendre pourquoi les autorités ne réagissent pas. Dans le cadre de la CEIMI, nous travaillons actuellement sur un certain nombre de propositions qu’on souhaiterait présenter au gouvernement. Le but est d’alléger les contraintes fiscales et bureaucratiques entre autres. Ce projet doit être finalisé sous trois semaines et présente des mesures concrètes et réalisables.

L’Algérie veut réduire les importations pour faire face à la baisse des prix du pétrole. Les entreprises algériennes peuvent-elles répondre à la demande ?

La baisse des prix du pétrole va peut-être permettre à l’Algérie de prendre un nouveau départ et à notre gouvernement de mieux gérer certains domaines. Cela peut être bénéfique, l’industrie peut se redéployer. L’État est obligé d’être plus attentif, de baisser les importations donc d’aider les entreprises algériennes à se développer. L’effondrement du pétrole nous l’avons déjà vécu, cette situation nous aurions pu la préparer mais ce n’est jamais trop tard. Beaucoup se demandent encore si les entreprises algériennes pourraient répondre à la demande alors que le taux de chômage est important et que certaines entreprises ne tournent qu’à 20% de leur capacité car elles ne vendent pas assez !

Il faut arrêter de considérer les opérateurs économiques nationaux comme des trafiquants. Si on réinvestit en Algérie c’est pour y rester, développer l’entreprise. Il faut nous considérer comme des créateurs de richesses et d’emplois. Si demain, une entreprise étrangère rencontre un problème en Algérie, elle n’aura aucun mal à plier bagages et réinvestir ailleurs, nous ne sommes pas dans cette optique.

La baisse du dinar par rapport au dollar et à l’euro est-elle inquiétante ?

Si la baisse du dinar se poursuit cela va se répercuter sur nous car nous achèterons les matières premières plus cher. Réinstaurer l’achat de devises à terme auprès de nos banques serait bien, cela permettrait de ne pas perdre au change quand nous négocions les achats plusieurs mois à l’avance. Par ailleurs, l’allocation de 160 euros (dépendamment du taux de change) est une somme dérisoire pour une personne qui est censée représenter une entreprise. Cela ne permet pas aussi de couvrir les charges pour les ingénieurs qui sont envoyés en formation à l’étranger ou pour les voyages d’affaires de nos directeurs export par exemple ! Il n’y a pas de dérogations pour les entreprises.

Pour l’homologation de vos produits, est ce que les délais sont longs par rapport aux articles étrangers ?

Que le produit soit importé ou non l’homologation est un passage obligatoire. Dans notre secteur d’activité ce n’est pas long, un mois en général et c’est idem pour les concurrents étrangers. Je considère cela comme bénéfique pour qu’il y ait un certain contrôle de la qualité des produits mis sur le marché algérien.

Avez-vous constaté une préférence nationale pour les produits algériens de la part du consommateur ?

Certainement, même si cela dépend des produits. Le consommateur choisit certains produits locaux alors qu’ils sont plus chers que les marchandises chinoises par exemple. Cela lui permet de se sécuriser. Il faut formaliser et légaliser le marché.

Justement, comment limiter les importations ?

Nous n’avons pas le droit de mettre en place des mesures qui nous placeraient en position de hors la loi vis-à-vis des instances internationales auxquelles on adhère. Mais on peut mettre en place des barrières normatives. L’Algérie peut imposer ses propres normes aux entreprises étrangères souhaitant pénétrer son marché. Néanmoins, la meilleure solution est de développer l’industrie algérienne pour ne pas laisser de place à la concurrence étrangère. La confiance en l’opérateur économique algérien permettra de rebooster l’économie.

Quels sont les freins à la production en Algérie ?

Aujourd’hui, ce n’est pas normal que les importateurs et les producteurs soient imposés de la même façon. Il faut plutôt inciter l’importateur à devenir producteur et encourager l’investissement mais le premier frein à l’investissement est le foncier. Les prix des terrains sont exorbitants et la main d’œuvre qualifiée manque dans certaines zones. Aujourd’hui, il s’agit plus d’extensions que de nouveaux investissements donc le risque est moins important, si la volonté y est, le problème peut être régler par l’Etat.

Il faut aussi faire confiance aux opérateurs nationaux. Je vais vous donner un exemple précis : il concerne les autorisations pour certains produits qu’on doit faire venir de l’étranger et qui sont considérés comme dangereux. Aujourd’hui, on se retrouve dans une position où nous sommes obligés de renouveler les autorisations tous les ans même si on importe les mêmes produits de base, et même si la société reste la même : c’est de la bureaucratie pure et simple. Des fois, il faut attendre plusieurs mois pour obtenir ces autorisations, cela freine la production, crée des ruptures et laisse de la place aux importateurs de produits finis.

Enfin, l’instabilité juridique incarnée par les lois de finances complémentaires déstabilise énormément les entreprises et les empêche d’avoir une vision à long terme. Commencer avec une loi de finances bien discutée et approuvée par toutes les parties permettrait de gagner en confiance. La complémentaire doit rester une exception.


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