Entretien avec Amara Benyounes : «C’est un appel à un coup d’État !»

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Le président Bouteflika affirme que l’Algérie se prépare « sérieusement » à la révision constitutionnelle sans donner une échéance. Pourquoi ?

Le président de la République a tenu à rappeler toutes les étapes qui ont eu lieu au sujet de la révision de la Constitution. Trois rounds de négociations et de discussions ont été organisés et tout le monde a été invité à y participer. Certains ont refusé d’y prendre part et c’était leur choix. Le président va proposer au peuple algérien un projet qui tient compte de toutes les concertations qui ont eu lieu. Et c’est à lui de décider du type de Constitution car il faut que tout le monde comprenne que c’est lui qui a été élu par le peuple algérien. Cela étant dit, je souhaite qu’il nous donne, lors de sa prochaine intervention, un peu plus de précisions sur les échéances.

Le projet traîne depuis 2011. Est-ce un problème de consensus au sommet ?

D’abord, la Constitution est une affaire extrêmement importante. Á mon avis, sa révision aura lieu au premier semestre 2015. Encore une fois, le président a tenu à mettre les formes et prendre à témoin l’opinion publique nationale et internationale sur le fait qu’il y a eu toutes les concertations possibles et imaginables. Ensuite, consensus ne veut pas dire unanimité. Les grands partis politiques qui représentent une majorité importante des électeurs ont débattu (dans le cadre de la révision constitutionnelle) et un certain nombre de personnalités entre guillemets et de partis politiques ont refusé. Ces derniers ont une position de principe contre le président. Il peut leur proposer tout ce qu’il veut, jamais ils ne vont accepter.

Une partie de l’opposition refuse catégoriquement une révision de la Constitution avant une élection présidentielle anticipée…

Les mots sont importants. Objectivement, est-ce que vous voyez un dénominateur commun entre eux ? Dans les pays démocratiques qu’on connaît, un parti s’oppose parce qu’il a un projet pour l’alternance. Chez nous, je ne vois pas quel type d’alternative que le groupe de Zeralda peut proposer en dehors de la demande relative au départ de Bouteflika. Ils ont une relation schizophrénique avec le président. Ils veulent le bannir et l’exclure du paysage politique. Ils sont tellement aveuglés par la haine qu’ils ne voient même pas la réalité des choses. Et puis leur proposition a beaucoup évolué de manière dangereuse. Au départ, ils exigeaient l’application de l’article 88 de la Constitution. Depuis quinze jours, ils demandent des présidentielles anticipées mais sans l’actuel président. Concrètement, cela veut dire qu’ils veulent forcer le président à partir et qui peut forcer le président en exercice, élu et légitime, à partir ? C’est un appel indécent qu’ils sont en train de lancer à l’armée depuis des mois. C’est un appel à un coup d’État !

Y-aurait-il de nouvelles consultations pour tenter de convaincre l’opposition de participer à la révision de la Constitution ?

Je ne sais pas mais je pense que non. Si on me demande mon avis, je dirais que cela serait inutile. Ce seront les mêmes qui vont repartir avec les mêmes propositions et les mêmes qui vont refuser avec les mêmes motifs.

Pensez-vous que la santé du président lui permettra de mener à bien ce projet ?

Je vais répéter ce que je dis depuis longtemps : le président gère l’Algérie avec sa tête. J’ai eu l’occasion de le rencontrer dans des réunions officielles. Je n’ai pas remarqué (chez lui), à un aucun moment, un problème au niveau du raisonnement, du suivi du débat, de gestion de la réunion ou de la discussion avec les personnalités étrangères. Pensez-vous qu’il se permettrait de rencontrer ces personnalités étrangères et discuter de sujets aussi importants s’il avait des problèmes. J’ai eu la chance d’assister à quelques entretiens et croyez-moi, il parle de sujets extrêmement importants qui engagent l’avenir de l’Algérie et du monde. En l’écoutant, ces personnalités étrangères sont toutes très agréablement surprises par le niveau de réflexion, d’analyse et de propositions du président de la République.

Pourquoi s’adresse-t-il donc à la Nation qu’à travers des messages lus par des conseillers ou des ministres ?

C’est une question qu’il faut lui poser.

Quelle sera la place de l’armée et celle du DRS dans la future Constitution ?

Je ne vois pas pourquoi vous séparer l’armée du DRS. Ce dernier est sous la tutelle du ministère de la Défense. Donc l’armée aura la même place. C’est-à-dire que ce sera toujours une armée Républicaine avec des missions constitutionnelles extrêmement précises: la sauvegarde de l’intégrité du territoire national. L’armée est intervenue en 1992 pour sauver la République. J’ai fait appel à l’armée. Je l’assume et je suis fier d’avoir participé à cette action. Mais maintenant, le rôle de l’armée, ce n’est pas de supplier aux échecs des politiques. Si l’opposition a échoué, elle n’a qu’à s’en prendre à elle-même. Elle n’a pas à appeler l’armée à intervenir. En démocratie, seul le peuple peut intervenir. Cette opposition n’a qu’à aller le convaincre.

Vous avez rencontré le secrétaire général du FLN. Comptez-vous constituer une alliance présidentielle pour soutenir le projet de révision constitutionnelle ?

Rien n’est exclu ! Tous est sur la table. Nous sommes en discussion et je pense que nous avons reçu, tous les deux, le mandat de nos directions pour mener à bien ces discussions. On a dit que le FLN et le MPA sont décidés à aller le plus loin possible en matière de concertation, d’échanges et pour peser sur les événements futurs. Nous avons convenu de nous revoir, ces jours-ci. Ce sera d’abord en tête-à-tête pour approfondir les discussions. Ensuite, il y aura, très certainement, une réunion entre le bureau politique du FLN et le bureau national du MPA. En fait, nous avons beaucoup de points de vue communs sur l’analyse de la situation actuelle du pays. Nous sommes d’accords aussi sur le fait que la ligne rouge de notre discussion est de ne pas toucher à la légitimité du président. Nous n’avons absolument rien à envisager avec tous les partis politiques et les personnalités qui ne reconnaissent pas cette légitimité.

Le MPA et le FLN défendent le programme du président et la révision constitutionnelle mais divergent-ils sur certains points fondamentaux concernant ce projet ?

C’est pour ça qu’il y a deux partis politiques. Pour nous, le plus important est le programme du président sur lequel nous sommes d’accord avec le FLN et un certain nombre de partis politiques. Pour la prochaine Constitution, elle ne sera ni celle du FLN, ni celle du MPA, ce sera la Constitution du président de la République. J’ai toujours dit qu’on attend la constitution du président. Et entre le FLN et le MPA, nous sommes capables de faire les compromis nécessaires pour pouvoir privilégier l’essentiel par rapport à l’accessoire.

Que pensez-vous de l’initiative du FFS qui vous a été présentée ?

D’abord, il y a une différence importante entre cette initiative et les autres. Celle du FFS émane d’un parti démocrate et républicain. Pour nous, c’est quelque chose de capital et de fondamental. Nous sommes de la même mouvance politique, républicaine, patriotique, démocratique. Nous les avons rencontrés mais il est clair que nous ne faisons pas la même analyse de la situation. Au MPA, nous ne parlons pas de crise et nous pensons que l’Algérie est loin d’être en crise. Actuellement, le FFS est en train de faire des consultations internes pour rendre compte aux militants de toutes les discussions tenues. Nous allons, certainement, nous revoir avec eux.

Participerez-vous à leur Conférence nationale ?

Le préalable est simple : si la conférence remet en cause la légitimité du président de la République et les élections de 2014, c’est non !

Le front social est en ébullition et des policiers sont sortis en tenue pour manifester. Ne craignez-vous pas une explosion sociale avec la chute du prix du pétrole ?

J’étais étonné en lisant un article. En 2013, il y a eu plus de 2 000 manifestations dans Paris. Dans ces pays, on ne parle jamais de la mise en danger du pouvoir ou du gouvernement. D’ailleurs, je ne vois pas en quoi la manifestation d’employés exigeant leurs droits alors que leur entreprise est menacée de fermeture par exemple remet en cause la légitimité du gouvernement ou du pouvoir en place. Il y a des revendications d’un certain nombre de catégories sociales qui sont légitimes. Et en tant que démocrate, je trouve que c’est le signe d’une bonne santé pour un pays. Il faut s’inquiéter quand les gens ne manifestent pas. Le pouvoir actuel fait beaucoup de choses pour la société algérienne. Cette année, nous allons avoir plus de 60 milliards de dollars de transferts sociaux et des dizaines de milliers de logements seront distribués.

Que pensez-vous de la manifestation des policiers? 

Certaines revendications du corps de la police sont légitimes. Mais que des policiers en tenue manifestent dans Alger, c’est une attitude que je n’accepte pas. Je suis toujours obsédé par les années 90’ parce que j’ai vécu ici et je suis convaincu que tous ceux qui veulent faire revivre ça au peuple algérien échoueront.

Y-a-t-il eu de la manipulation ?

Au départ, c’était peut-être spontané. Mais c’est clair qu’il y a eu de la manipulation par la suite.

La délégation de l’Union européenne a été critiquée par les partis du pouvoir…

En tant que secrétaire général du MPA, militant de la démocratie, nous avons toujours eu un problème avec l’Union européenne et les députés européens. Durant les années 90’, ils nous ont posé énormément de problèmes. Là-bas, il y a eu des échos importants par rapport à la question du « qui tu qui ? » Donc, il y a toujours des résidus et des réflexes qui sont restés. Une délégation de l’UE est venue avec des recommandations, des adresses et des contacts de personnes à voir. Ils sont libres de rencontrer les gens. Ce n’est pas la première fois que ça se fait et ça ne sera pas la dernière.

Nous avons vaincu le terrorisme contre beaucoup d’organisations. Et il faut savoir que l’UE est constituée de partis politiques. Ce sont des militants avec des idéologies, des objectifs politiques. Ils ne viennent pas ici en tant qu’experts mais en tant que politiques. C’est à nous d’être vigilant. Et je ne m’inquiète pas. Quand vous avez un président légitime et crédible, ils ne peuvent pas déstabiliser le pays dans le cas où ils ont cette intention. Personnellement, je ne le pense pas. Et je connais ce pays, ce n’est pas l’UE ni une autre organisation internationale qui va dicter aux Algériens ce qu’ils doivent faire !


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