Algérie – Qatar : quelles relations ?

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François Aissa-Touazi, d’origine algérienne, est co-fondateur du think tank Cap Mena. Il est l’auteur du livre « Le ciel est leur limite » sur les pays du Golfe qui vient de paraître en France. Dans cet entretien, il revient sur les relations entre l’Algérie et les pays du Golfe, notamment le Qatar.

Abdelamalek Sellal est au Qatar pour co-présider la haute commission mixte algéro-qatarie. Les relations entre Alger et Doha ont connu des moments difficiles depuis le Printemps arabe.  Comment se portent-elles aujourd’hui ?

Les relations entre les deux pays semblent s’être nettement améliorées. Les deux pays ont pendant longtemps été très proches partageant tous les deux une certaine indépendance dans leur positionnement diplomatique. Doha, qui a depuis longtemps souhaité s’émanciper de son voisin saoudien et construire son propre réseau, avait toujours cherché à nouer une relation forte avec Alger. Toutefois, il est vrai que la diplomatie d’engagement du Qatar durant les révolutions arabes avait suscité l’inquiétude de nombreux régimes arabes, à commencer par le voisin saoudien. Le Qatar avait clairement opté pour un soutien aux frères musulmans, plus par opportunisme que par idéologie, convaincu qu’ils resteraient durablement au pouvoir.

Le changement à la tête de l’Émirat a-t-il été accompagné d’une évolution du positionnement ?

L’arrivée au pouvoir de Sheikh Tamim a contribué à apaiser le climat avec les voisins du Golfe et les autres pays arabes. Le nouvel émir à clairement choisi une approche plus consensuelle, plus mesurée privilégiant les questions domestiques et la concertation avec ses voisins comme en témoigne le retour des ambassadeurs saoudien, émirati et bahreïni après plus de six mois de crise diplomatique. Devant la dégradation de l’environnement régional et l’instabilité dans le monde arabe, les pays du Golfe ont préféré serrer les rangs et privilégier l’unité. Ils ont tout intérêt à renforcer leurs relations avec des pays arabes considérés comme stables comme l’Algérie.

D’un point de vue économique, Doha a toujours été en pointe dans les relations avec Alger. Qatar Airways a été la première compagnie aérienne du Golfe à desservir Alger après l’embargo des années 1990. Une importante communauté algérienne est établie à Doha évoluant dans le secteur des hydrocarbures ou des médias. Ooreedo ; l’opérateur télécom, est ancré dans l’industrie algérienne des télécoms et gagne régulièrement des parts de marché sur les autres opérateurs. Un projet sidérurgique devrait voir le jour prochainement. Les deux pays font face aux mêmes enjeux dans les industries des hydrocarbures en pleine mutation. Les Qatariens et Algériens ont fort à coopérer pour faire face aux menaces des nouveaux acteurs sur le marché du GNL telle que l’Australie, qui pourrait devenir le premier exportateur mondial de GNL en 2020. Aussi, les tensions entre Européens et Russes pourraient laisser apparaitre des opportunités pour le Qatar et l’Algérie pour compenser l’approvisionnement en gaz des pays européens. Des projets de coopération mixtes existent dans le secteur des mines et de nombreux investisseurs privés qataris lorgnent le marché algérien.

Comment se portent les relations entre l’Algérie et les autres pays du Golfe ?

Apres avoir été longtemps perçue comme instable et au bord du chaos, notamment durant la Décennie noire, l’Algérie est de plus en plus considérée comme un leader régional qui a su gérer le Printemps arabe et avec lequel il faut composer notamment pour la résolution des crises régionales. La reconnaissance de l’expertise algérienne en matière de lutte contre le terrorisme, en particulier par Washington, favorise la crédibilité de l’Algérie vis-à-vis des pays du Golfe.

Aussi, il ne faut pas oublier le soutien inconditionnel des pays du Golfe au Général Sissi en Égypte, pays avec lequel l’Algérie entretient aujourd’hui de très bonnes relations qui se sont encore confirmées avec la récente signature de contrats de coopération.

Toutefois, il faut reconnaître que l’Algérie, très attachée aux questions de souveraineté et au refus de l’ingérence étrangère, s’est clairement démarqué des positions des pays du Golfe sur le dossier libyen ou syrien. Elle n’est pas suiveuse sur le plan diplomatique. Ce positionnement algérien les irrite, certes, mais suscite aussi le respect. D’ailleurs, les dignitaires du Golfe multiplient les visites à Alger à la recherche de soutiens politiques, mais aussi pour profiter des potentialités économiques du marché algérien.

Les échanges économiques demeurent en effet faibles, mais le potentiel de développement est réel. Les pays du Golfe ont certes investi dans l’immobilier et dans quelques projets industriels (sidérurgie, agroalimentaire, automobile), mais les relations économiques peuvent être beaucoup plus denses si l’on favorise un partenariat gagnant-gagnant entre le secteur privé algérien et celui des pays du Golfe, qui est très diversifié et manifeste un réel intérêt pour l’Algérie.

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Comment l’Algérie est-elle vue dans cette région du monde ?

Aujourd’hui, l’Algérie est vue comme un pays stable politiquement, qui a su résister au Printemps arabe. Elle est perçue comme un pays disposant d’un potentiel énorme mais qui, en raison de sa gestion et des pesanteurs de sa bureaucratie, a du mal à rentrer pleinement dans la mondialisation. L’Algérie est surtout vue comme un pays riche, mais peu ouvert et vierge, dans lequel peu d’investissements ont été réalisés par les pays du Golfe, et particulièrement sur le front des infrastructures touristiques ou immobilières à l’instar des programmes développés chez les voisins marocains ou tunisiens.

Les groupes du Golfe semblent avoir déserté l’Algérie après des difficultés qu’ils ont rencontrées, notamment après l’échec des projets Emaar, EIIC…

Ils n’ont pas déserté l’Algérie. Les projets dont vous faites référence ont été fortement médiatisés avec beaucoup d’effets d’annonce et une forte dimension politique. Les pratiques ont évolué et les groupes du Golfe sont toujours mobilisés à investir fortement en Algérie, mais avec plus de discrétion et dans une approche plus partenariale. D’ailleurs, nombre d’entre eux suivent avec beaucoup d’intérêt l’évolution du cadre des affaires portées par la nouvelle équipe gouvernementale et saluent la volonté affichée d’établir un cadre règlementaire propice à l’investissement étranger. Des rapprochements et des partenariats avec des acteurs algériens bien établis sont également envisagés dans les secteurs de l’agroalimentaire ou de l’industrie. Les investisseurs du Golfe sont en général des investisseurs de long terme, qui privilégient la rentabilité mais qui ont besoin, en particulier en Algérie, d’être rassurés.

Dans votre livre, vous décrivez des pays du Golfe qui ont réussi leur diversification économique. L’Algérie est-elle capable d’atteindre rapidement cet objectif ? Comment ?

Ils n’ont pas encore réussi leur diversification, mais ils ont réalisé des progrès considérables et impressionnants. Ils ont très tôt compris que le pétrole qui avait fait leur force, était devenu leur principale faiblesse. La part des hydrocarbures dans leur PIB a été réduite de façon significative. Il représente 58% au Qatar, 41% en Arabie saoudite et à peine plus de 30% aux Émirats. Ils ont investi massivement dans des nouveaux secteurs à haute valeur ajoutée comme la pétrochimie, les télécoms ou l’aéronautique tirant profit au maximum de leurs ressources (maîtrise de l’amont et de l’aval du secteur pétrolier et gazier) et de leur position géographique s’imposant comme un carrefour incontournable entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Ainsi, Dubaï tend à devenir la capitale africaine des affaires.

Ils ont aussi compris l’importance de l’investissement dans le domaine de l’éducation et de la recherche. Le Qatar, par exemple, a consacré près de 3% de son PIB a la recherche ; soit près de 5 milliards de dollars par an. L’éducation représente 25% du budget saoudien. Dans ce pays, le chômage des jeunes constitue comme en Algérie une priorité majeure et pour faire face à ce défi, les autorités ont entrepris une réforme profonde de leur système éducatif visant à proposer des enseignements en phase avec la demande du marché du travail.

L’Arabie saoudite est, par exemple, connue pour son conservatisme, mais il faut reconnaître que des réformes économiques importantes ont été engagées ces derniers temps pour stimuler l’initiative privée et l’investissement étranger comme par exemple l’ouverture progressive de la bourse de Ryad aux investisseurs étrangers. L’amélioration du climat des affaires a permis au Royaume de se hisser à la 22e place dans le classement des pays de la Banque mondiale sur l’environnement des affaires.

Le chemin est encore long certes et les défis sont nombreux, mais ils se sont engagés dans une véritable course contre la montre et la baisse récente du prix du baril les incite à redoubler d’efforts.

Que peux faire l’Algérie pour atteindre de tels objectifs ?

L’Algérie dispose de tous les éléments nécessaires pour réussir la diversification de son économie. Le pays bénéficie d’une population jeune, d’une économie saine mais centralisée qui, une fois libérée, pourra fournir d’énormes opportunités pour le secteur privé. L’Algérie ; c’est aussi la porte de l’Europe, une position géographique qui peut lui permettre de se positionner sur les marchés européens en perte de vitesse et aussi sur l’Afrique sub-saharienne, en pleine croissance. L’Algérie, comme les pays du Golfe, bénéficie d’une énergie bon marché qui peut réaffirmer son avantage concurrentiel pour la production de produits manufacturés… Tous ces atouts sont communs avec les pays du Golfe. L’Algérie dispose d’un avantage certain qui réside dans son économie domestique qui, par sa taille et sa vigueur, peut constituer un catalyseur pour sa diversification.

L’Algérie devrait aussi s’inspirer des pays du Golfe qui ont réussi à s’imposer dans certains secteurs en faisant émerger des champions régionaux, voire mondiaux, et en soutenant activement le secteur privé. Elle devrait également s’inspirer de leur politique en matière d’éducation et de recherche en développant des partenariats avec les instituts reconnus. On ne compte plus les universités prestigieuses qui ont installé des antennes aux Émirats ou au Qatar.  Le Qatar, par exemple, ambitionne de créer sa Silicon Valley, le Qatar scientific et technology park qui est en grande partie financé par les grands groupes mondiaux qui profitent du boom économique du pays. L’Algérie pourrait aussi l’exiger dans ses relations avec ces grands groupes ; ce qui permettra au pays de développer des pôles d’excellence dans des secteurs stratégiques.

L’Algérie, qui a pendant longtemps été l’un des leaders politiques des pays émergents, se doit de réussir sa diversification économique si elle souhaite être entendue et peser sur la scène internationale. Pour y parvenir, elle a tout intérêt à prendre exemple sur les modèles de réussite dans le Golfe ou ailleurs.


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