La chronique de Mohamed Benchicou : Boulevard Saïd Bouteflika (2)

L’ennui, c’est que Bouteflika a toujours une bataille d’avance sur ceux qui prétendent le combattre. L’option Saïd Bouteflika fait sourire les esprits pas dupes de l’opposition, ceux-là qui -pour le quatrième mandat, par exemple- ont toujours souri quand il fallait agir et qui se sont mis à agir quand les hommes de Bouteflika étaient en train de sourire.

Pourtant, n’eût été le Printemps arabe, l’affaire Chekib Khelil et l’AVC qui a terrassé le Président en avril 2013, Saïd Bouteflika aurait, peut-être, été consacré président de l’Algérie en 2014.

Mais ce n’est que partie remise.

Le projet de propulser Saïd Bouteflika aux commandes de l’Algérie est, sans doute, celui auquel le chef de l’État accorde l’essentiel de son temps, de son énergie et de ses tractations. Pour lui, la question se résume en une évidence : le pouvoir ne se restitue pas, il se transmet à l’intérieur de la famille ou du clan, c’est un bien privé, celui de la famille fondatrice, la sienne, le clan d’Oujda qui a imposé son diktat en 1962 et accaparé le commandement. Après Boumediene, c’était à lui qu’il revenait d’en hériter, « mais la réalité est  qu’il y a eu un coup d’État à blanc et l’armée a imposé un candidat », se lamente-t-il  sur Europe 1 devant Jean-Pierre El Kabbach, en septembre 1999.

Oui, le pouvoir ne se restitue  pas, encore moins à ces généraux parvenus qui  lui ont « volé » le trône en 1979 à la mort de Boumediene, et qui ne méritent aucun égard. « Quand j’étais officier, beaucoup de généraux actuels n’étaient peut-être même pas dans l’Armée », avait-il ajouté à ElKabbach. Comment imaginer qu’il allait leur redonner les clés en 2004, en 2009, en 2014, voire en 2019 ? Après Boumediene, c’est au tour de Bouteflika 1 et après Bouteflika 1, eh bien, ce sera Bouteflika 2 ! Nous n’en sommes toujours pas convaincus alors que tout, pourtant, dans la révision constitutionnelle qui se prépare comme dans les projets politiques en gestation (amnistie, élections législatives anticipées…) nous y invite.

L’affaire Saïd Bouteflika nous rappelle que, en politique plus qu’ailleurs, il ne suffit pas d’avoir une stratégie, il faut surtout posséder une bonne mémoire.

Revenons en arrière.

Nous sommes en mai 2009. Le Quotidien d’Oran annonce que « le plus jeune frère du président Bouteflika, Saïd, se préparerait à prendre le pouvoir en 2014 et devrait créer un parti qui raflerait la mise aux élections législatives de 2012 et qui lui servirait de tremplin « légal » pour remplacer son frère au poste de président de la République ». Le journaliste, visiblement « introduit », avertissait déjà à cette époque : « La scène politique nationale risque de connaître des bouleversements par la création de ce nouveau parti » dont il précise qu’il « va naître sous les auspices d’un homme, Abdelaziz, l’aîné de la famille Bouteflika ».

Chez les observateurs internationaux, on est plus réservé. Le 6 octobre 2010, l’agence américaine UPI indique que « Le frère cadet du Président, Saïd, est devenu une des principales figures du camp Bouteflika, mais il manque d’une base politique forte et du charisme nécessaire pour être considéré comme un candidat crédible ».

Une base politique forte ? Rien de plus simple. Le 6 juin 2009, deux articles paraissent dans lematindz auxquels on ne prête pas grande attention et intitulés : « Saïd Bouteflika ou la nouvelle légitimité du système ». On y annonce l’intention de Saïd Bouteflika de se déployer avec un nouveau mouvement politique, mais sans s’appuyer sur les anciennes structures discréditées, le FLN ou le RND. En  ce temps-là, le Printemps arabe était dans l’air, les vieilles dictatures étaient arrivées à péremption, les fausses républiques arabes étaient à bout de souffle, l’écart entre les régimes archaïques et la société civile devenait préoccupant. Un  homme, Seif El Islam Kadhafi, allait avoir alors une idée de génie : sauver, partout, le système de papa en lui donnant une nouvelle « légitimité » ! Dans ce monde qui a changé et où les vieilles autocraties n’ont plus d’avenir, il propose faire du neuf avec du vieux ! Il héritera du pouvoir de son père, mais dans une « Libye démocratique », adaptée à son époque, et avec une nouvelle « légitimité », sans rien devoir au passé !  Il sera le chef « légitime » d’une Libye rénovée et non pas l’héritier d’un père putschiste ! Il s’appuiera sur la « société civile » !

La stratégie des jeunes loups arabes, Seïf El Islam Kadhafi, Gamal Moubarak, Saïd Bouteflika, congénères de Mohamed VI, se met en place : les fils prendront la relève des pères, mais avec une nouvelle légitimité ! Eux, les heureux légataires de « tawrîth al Sulta », vont avoir le pouvoir et la légitimité du pouvoir !

Seïf El Islam annonce avec fracas, en 2008, à partir de Sobha, son « retrait » de la vie politique et fait un réquisitoire violent des dictatures arabes

L’idée séduit. Seïf El Islam Kadhafi, le fils de son père, fait deux ou trois voyages en Algérie. Au centre des contacts : le nouveau Maghreb arabe « démocratique » qui va voir le  jour sur les décombres de l’ancien, et dont il va être la continuité.

En Algérie, Saïd Bouteflika prend note. Lematindz annonce que son projet politique reposera sur les forces qui, pense-t-il, vont donner au système une nouvelle validité : une coalition impliquant la société « civile » et à laquelle se joindraient les Islamistes de l’ex-FIS ! Le jeune frère évoluerait sur un terrain viabilisé : consensus total ! Le fondement de la  nouvelle « légitimité » du système reposerait sur la « rénovation » et la paix. La « rénovation » par une nouvelle classe politique qui remplacerait les anciennes structures discréditées ; la paix par une concession politique majeure aux Islamistes radicaux : le retour sur la scène politique ! Ce journal annonce que, dans la perspective de cette classe politique sur mesure, des partis satellites comme l’UDR d’Amara Benyounès sont retenus et que l’ordre est donné à Zerhouni de les autoriser à activer.

Le Quotidien d’Oran informe que des contacts sont entamés, depuis quelque temps, par Saïd Bouteflika auprès de ce qu’on appelle la société civile ou alors les notables des différentes régions du pays. Il s’agit, en fait, d’échos qu’on reçoit, notamment en provenance des villes de l’Ouest, du Sud-Ouest et du Sud du pays. Oran, Tlemcen, Adrar, Bechar, Laghouat, Biskra, entre autres, sont celles où, nous dit-on, les contacts sont entrepris d’une  manière sérieuse et soutenue. » El Watan du 1er décembre 2010 annonce que la « campagne préélectorale du frère cadet du président Bouteflika semble engagée ».

L’hypothèse « Saïd Bouteflika » ne fait plus sourire.

À SUIVRE


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici