La chronique de Benchicou : Boulevard Saïd Bouteflika (1)

Voilà trente jours que le pays, terre de miracles, est livré à un président régnant sur fauteuil roulant et il nous faut bien admettre que, tout compte fait, l’on n’y gouverne pas plus mal en pyjama qu’en costume Smalto. Sellal et sa bande auraient quelques raisons de pavoiser, eux qui ont si longtemps soutenu  que la maladie du chef de l’État n’avait aucun effet sur la bonne marche des affaires. Chez nous, l’habit,  en l’occurrence le pyjama, fait bien le moine et même le patrimoine, en vertu, justement, de la « bonne marche des affaires ».

Mais tout ça, le pouvoir à vie, la corruption, l’utilisation des deniers publics à des fins personnelles, la répression des manifestations,  la censure, tout cela, c’est fini, nous disent les Amuseurs de la République ! Après quinze années de dilapidations de l’argent du pétrole, il est temps de penser à l’Algérie et aux Algériens, nous suggèrent-ils avec l’accent grave des hommes à qui revient le devoir de décider du sort de leurs congénères !

La nouvelle Constitution qui se prépare, disent-ils, c’est le Zabour de Daoud, le texte avéré, l’ultime cadeau de Bouteflika à sa patrie et à son peuple ! Ainsi, le président a-t-il décidé d’inscrire dans la prochaine Constitution, « la protection de l’économie nationale contre toute forme de malversation ou de détournement, de corruption, de trafic et d’abus, d’accaparement ou de confiscation illégitime ».

Pensez donc que, durant quinze ans, Abdelaziz Bouteflika a gouverné avec une Constitution qui ne prévoyait rien de tout ça, l’exposant, le malheureux, à s’entourer de fieffés voleurs, du ministre Chakib Khelil au wali Bouricha qu’il a dû, par respect à ses hautes charges, protéger et soustraire à la justice ! Mais tout cela, c’est fini, nous assurent les Amuseurs de la République. La preuve ? L’article 48 ! Mais oui, le nouvel article 48 de la nouvelle Constitution ! Une révolution, l’article 48, puisqu’il « protège les juges contre toute forme de pression, intervention ou manœuvre de nature à nuire à l’accomplissement de sa mission ou au respect de son libre-arbitre. »

On s’explique, alors, les égarements de l’équipe de Bouteflika qui, privée durant 15 ans de ce précieux article 48, s’est laissée aller à convoquer la « justice de la nuit » pour destituer Benflis, à neutraliser la Cour suprême pour éviter la prison à Mohamed Bouricha, à dicter au tribunal d’El-Harrach d’incarcérer le directeur du Matin, à manipuler la Cour de Blida pour acquitter les « amis » impliqués dans le scandale Khalifa, à désavouer le Conseil d’État pour imposer Amar Saâdani à la tête du FLN…Tout ça, par la faute de cet étourdi de législateur qui n’avait pas pensé à temps à l’article 48 !

Et on ne parle pas, ici, des libertés qui, toutes, qu’elles soient  « d’expression, d’association, de réunion, de rassemblements et de manifestation pacifiques » seront, Alléluia, garanties au citoyen », à commencer par la liberté de la presse dont on jure qu’elle ne sera restreinte « par aucune forme de censure préalable », ce que le nouveau ministre de la Communication  résume par « la culture du bonheur. »

J’ose espérer pour lui qu’il n’ignore pas que, depuis la CIA d’Allen Dulles, engagée alors dans l’affaiblissement de l’influence du marxisme et la promotion du modèle démocratique américain, le vrai pouvoir n’est pas dans l’information mais dans la désinformation. La cohorte de communicants qui s’emploie à dresser de Bouteflika l’émouvant portrait de « réformateur endurci » s’obligeant à épuiser ses dernières forces aux commandes du pays, dans le noble objectif d’assurer à son peuple une « transition démocratique » doit savoir réduire les influences « inamicales », au besoin par la prison et la calomnie au profit des expressions « amies » par le recours à la caisse noire de l’État.

La tâche était, jusqu’à présent, dévolue aux services de renseignement. Mais depuis la neutralisation du DRS, le pouvoir de la désinformation est confié aux proches du Président qui s’y adonnent, il faut le dire, avec un sens de la discipline remarquable et une efficacité redoutable, comme en témoigne le travail de sape entrepris par les chaînes Ennahar et Chourouk, qui sont au clan présidentiel, ce que Radio Free Europe et Radio Free Asia, des radios de propagande anti-communistes furent à la CIA.

Nous assistons à une entreprise sans panache qui consiste à noyer dans une rhétorique nationaliste les vraies intentions de Bouteflika. Ou, plutôt, la seule vraie intention : garder le pouvoir, même après la mort ! L’obsession de Bouteflika c’est le « bouteflikisme », c’est-à-dire le pouvoir perpétuel, le sien et celui qu’il lèguerait à son frère Saïd. Il n’a aucune conscience du chaos qui se prépare, insouciant de la formidable « accélération de l’histoire qui promet de balayer toutes les dictatures », comme l’a remarqué Ali Yahia Abdenour. Bouteflika est un homme absorbé par l’« exercice du pouvoir absolu, un homme dont Ali Yahia Abdenour dit qu’il serait  prêt à sacrifier la patrie pour lui-même »

C’est pourquoi, dans la nouvelle Constitution, vous ne trouverez nulle mention de cette idée dont on nous a si souvent rebattue les oreilles, le poste de vice-président qui succéderait mécaniquement au chef de l’État en cas de défaillance. Quelle idée saugrenue ! L’idée des « gens d’en face ». Elle est partie avec les « gens d’en face ». Bouteflika a utilisé les 15 années de pouvoir à mettre en place les conditions d’un pouvoir absolu et éternel. « Bouteflika ne veut pas être le pouvoir mais le système politique comme c’était le cas de Houari Boumediene ou Fidel Castro à Cuba », nous avait averti Ali Yahia Abdenour. Il semble avoir réussi.

Bouteflika est débarrassé de la lourde et fastidieuse besogne à laquelle il s’est prêté durant 15 ans et qui consistait à réaliser cet équilibre vital entre les clans du système, de procurer aux uns les raisons de croire encore à lui, aux autres les motifs de ne pas douter de son amitié.

Aujourd’hui, le système lui paraît tout entier acquis. Le relais, il le passera au frère, quand il le décidera et aux conditions qu’il décidera. Un boulevard s’offre à son clan pour garder le pouvoir ad vitam æternam.

Le  boulevard Saïd Bouteflika. Où commence-t-il ? Où mène-t-il ? Nous y reviendrons.

(A suivre)


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