Entretien avec Nazim Zouioueche, ancien P-DG de Sonatrach

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Nazim Zouioueche a été président-directeur général de la Sonatrach entre 1995 et 1997. Il est également expert en énergie. Dans cet entretien, il donne son avis sur l’utilisation de la manne pétrolière, l’épuisement des réserves d’hydrocarbures et la transition énergétique. 

Que pensez-vous des programmes ou discours des candidats lors de la campagne électorale sur l’utilisation de la manne pétrolière ?

D’une manière générale, les hydrocarbures ont été peu évoqués par les candidats. Seul monsieur Ali Benflis, dans son programme, revient  sur ce sujet en proposant une transition énergétique pour faire face, notamment, à la demande croissante de l’énergie électrique ; il recommande ainsi un recours important aux énergies renouvelables, le solaire en particulier.

Comment l’Algérie doit-elle utiliser cette manne pour financer l’économie et préparer à l’après-pétrole ?

Le produit généré par les hydrocarbures devrait servir en priorité à bâtir une économie pérenne s’adossant sur un tissu tenu de PME/PMI tout en accentuant nos efforts pour viser la sécurité alimentaire. Même si les hydrocarbures continueront pour un temps (estimé à une génération) à constituer le principal apport en richesses, il est temps de penser à l’après-pétrole ; il ne faut pas rater ce rendez-vous, car c’est l’ultime chance que nous avons pour ne pas laisser les générations futures tributaires de la rente qui ira en s’amenuisant. Les hydrocarbures sont une ressource épuisable.

Le recul des hydrocarbures constaté en 2013 est-il conjoncturel ou durable ?

Le recul de la production des hydrocarbures date déjà de l’année 2011. C’est le résultat d‘une sollicitation trop importante de nos gisements sans respect des règles élémentaires de conservation. Le respect des mécanismes de production des gisements est essentiel pour accroître les taux de récupération et assurer la longévité de ces gisements. Depuis maintenant 15 ans, on annonce des découvertes nouvelles sans pour autant enregistrer de nouvelles mises en production, si ce ne sont les mises en production des gisements découverts durant la décennie 90 (l’Algérie était le premier découvreur  94/95/96). On a produit à outrance durant ces 15 dernières années pour pouvoir annoncer des recettes importantes et finalement déposer les recettes excédentaires dans des banques étrangères. La thésaurisation n’est pas une solution recommandée. On devrait produire en fonction de nos besoins annuels clairement fixés par un organe souverain tel que le Conseil national de l’énergie (il ne s’est jamais réuni depuis l’aube du 3e millénaire). Le constat aujourd’hui est amer ; la seule croissance constatée est celle des importations en l’état.

Nos réserves d’hydrocarbures vont-elles diminuer ?

Si on persiste dans la voie actuelle, nos réserves diminueront de plus en plus et l’épuisement arrivera plus tôt que prévu. Si on applique et on maintient partout où cela est nécessaire des processus de récupération assistés pour les gisements d’huiles et si on respecte les règles de recyclage des gisements de gaz humide, on pourrait rehausser la production. Il faut aussi penser à économiser en commençant par éteindre les torches où brûlent environ 6 milliards de mètres cube de gaz par an. D’autre part, l’Algérie reste une province pétrolière sous-exploitée. Un effort sérieux de recherche en moyens propres et en partenariat pourrait nous donner un avantage substantiel. Dans ce domaine, il faut être transparent et n’annoncer que ce qui est vraiment réalisé.

Le gaz de schiste est-il la solution ?

Nous avons en Algérie de solides ressources en gaz et pétrole de schiste. Mais avant tout, il faut travailler sérieusement pour savoir, avec le maximum de précision, ce que l’on peut produire de ces ressources.

D’autre part, produire ces hydrocarbures de schiste nécessite l’utilisation de grandes quantités d’eau pour la fracturation (15 000 à 20 000 m3 d’eau par puits foré additionné de produits chimiques).

Il faut aussi forer un grand nombre de puits ; les estimations américaines (seules statistiques disponibles) indiquent qu’il est nécessaire de forer 600 puits horizontaux pour produire 25 milliards de m3 de gaz. De plus, pour maintenir un plateau de production, cet effort doit se poursuivre car chaque puits enregistre un déclin de 40% après la première année de production.

Enfin, il faut anticiper sur les dommages causés à l’environnement à cause des rejets après fracturation des puits et sur le possible endommagement des nappes d’eaux souterraines.

Bien sûr, il faut aussi s’assurer que les coûts engendrés ne seront pas prohibitifs. Il faut dire que depuis l’embellie des prix, la notion de coût n’est plus une préoccupation. Sans pour autant négliger les hydrocarbures de schiste, il s’agit de rester en veille technologique, constituer des équipes pluridisciplinaires pour suivre les évolutions et se préparer ainsi à profiter de ces ressources.

L’Algérie doit-elle exporter plus de gaz et de pétrole dès lors que la demande nationale augmente ?

La priorité absolue est le marché national. Il faut préparer la transition énergétique et définir quel modèle de consommation s’adaptera le mieux à ce dont nous disposons. Doit-on continuer à produire notre électricité à partir du gaz naturel alors que la croissance à deux chiffres de la demande électrique risque de nécessiter l’utilisation de toutes nos ressources gazières ? (on cite le chiffre de 85 milliards de m3/an pour l’année 2030).

Doit-on continuer à persister dans le tout diesel alors que le rendement de notre pétrole, de très bonne qualité, a un faible rendement en fuel ?

Nous aurons toujours besoin d’exporter des hydrocarbures, car malgré la hausse des prix de ces 15 dernières années, nous n’avons pas su profiter de cette manne pour assurer l’édification d’une économie créatrice de richesses et porteuse de création d’emplois. La transition énergétique est une nécessité absolue, car ce n’est pas en décidant de construire, à la «  va- vite », cinq nouvelles raffineries que nous allons palier à l’importation du diesel (3,5 milliards d’importation sont prévus pour cette année).

Doit-on investir sur le solaire ?

La réponse est positive. Nos réserves en solaire sont inépuisables. Il faudrait consacrer beaucoup d’efforts pour exploiter cette ressource, d’autant plus que nous pouvons en profiter pour créer une production nationale des matériaux nécessaires au développement de cette énergie.

Pourquoi ne pas se fixer une politique volontariste et dire que nous nous proposons de couvrir au moins 20 % de nos besoins électriques dans les 8 prochaines années ? Au risque de se répéter, je dis une politique volontariste et non pas une simple annonce pour passer un cap.

Enfin, il ne faut pas occulter le fait que l’électricité solaire peut devenir dans le futur un produit d’exportation.


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