Entretien avec l’économiste et spécialiste en énergie Mustapha Mekideche : « l’Algérie vit au-dessus de ses moyens »

petrole

Mustapha Mekideche est économiste, spécialiste en énergie. Il est également vice-président du Conseil national économique et social (Cnes). Dans cet entretien, il met en garde contre l’utilisation de la manne pétrolière publique pour faire tourner l’économie et plaide pour le rallumage d’autres moteurs de croissance.

Durant la campagne électorale, les candidats à la présidentielle ont promis davantage de dépenses publiques, donc de puiser dans la manne pétrolière ? Ces promesses sont-elles réalistes ?

Vous avez remarqué que les candidats ont évité d’évoquer les sujets qui fâchent comme le financement à long terme de l’économie par les ressources des hydrocarbures, parce que ce n’est pas rentable en période électorale. La question aujourd’hui est la suivante : l’Algérie a-t-elle les capacités financières pour maintenir son train de vie actuel ? Car, notre pays vit au-dessus de ses moyens, ce que les candidats ne pouvaient pas dire à l’opinion publique, mais le langage de vérité aura été plus productif que de promettre aux groupes sociaux davantage d’argent.

Dans une campagne électorale, les candidats hésitent à dire aux électeurs qu’on va serrer la ceinture, mais le problème va rapidement se poser si on ne change pas notre modèle de croissance qui est basé sur la dépense publique. L’industrie ne couvre pas nos besoins et on continue d’importer massivement les produits finis. Avec le recul des recettes d’hydrocarbures, nous allons arriver à un moment où il sera impossible, mathématiquement, de financer notre modèle économique.

Que doit faire le prochain président ?

Le prochain président sera obligé de remettre à plat les politiques budgétaires pour les rendre plus rationnelles afin d’éviter le gaspillage des ressources, comme c’est le cas actuellement, et de réserver les subventions aux groupes sociaux les plus vulnérables. L’État devra aussi choisir ses investissements, les hiérarchiser, fixer des priorités. Pour les subventions, il faut poser le problème, ouvrir un grand débat. Il ne faudrait pas agir d’une façon brutale, mais en introduisant des changements progressifs pour éviter des ruptures violentes qui seront provoquées par les hausses des prix des produits de large consommation. Il faut revoir la politique des subventions pour qu’elles profitent aux groupes sociaux les plus vulnérables et stopper la contrebande aux frontières. On a beau mettre des douaniers aux frontières avec l’Ouest, le carburant va passer de l’autre côté. Le coût du carburant chez notre voisin de l’Ouest est neuf fois supérieur à celui en vigueur en Algérie. C’est pareil pour les autres produits subventionnés, comme le pain.

Quels sont les risques de la poursuite de la politique actuelle ?

En 2013, le déficit budgétaire a été de 18% et la balance de paiement à peine équilibrée. Sans politique de rationalisation budgétaire, on peut arriver à terme à des impasses budgétaires. Car, la situation actuelle est intenable. Le Fonds de régulation des recettes (FRR) n’est pas illimité et la population augmente. Si on ne fait rien, on va droit dans le mur. La balance de paiement diminue et il n’y a pas de reprise significative des recettes d’hydrocarbures qui ont baissé en 2013, alors que la demande interne de gaz augmente chaque année de 12%. On aura, de moins en moins, de fiscalité pétrolière pour maintenir notre train de vie. Il faut revoir l’ensemble des politiques sociales et budgétaires et rallumer d’autres moteurs de croissance, en réindustrialisant le pays, même si cela ne fera pas plaisir au lobby des importateurs. C’est l’un des grands enjeux du prochain mandat.

Le gouvernement parle de la réindustrialisation du pays depuis des années, sans résultats. Pourquoi ?

Depuis la mort de Boumediene, on a laissé le désinvestissement s’installer. L’industrie ne représente plus que 5% du PIB aujourd’hui. Si la relance industrielle n’a pas donné de résultats, c’est parce que les décisions annoncées n’ont pas été appliquées. Les forces anti-industrie bloquent la réindustrialisation du pays.

L’Algérie a payé sa dette extérieure, mais le recours, à nouveau, à l’endettement externe est-il envisageable à terme ?

C’est un scénario catastrophe tout à fait possible à terme. Dans dix ans, la question peut se poser si on ne rallume pas d’autres moteurs de croissance. Il n’est pas normal, pour un pays comme l’Algérie qui a lancé d’importants projets dans le BTP, d’importer du ciment alors que pour le fabriquer, il faut de l’énergie et du calcaire, ce qui est largement disponible chez nous.

Le gaz de schiste constitue-t-il une solution pour garantir la rente ?

Le gaz de schiste, dont l’exploitation est inévitable, permettra de couvrir la demande locale en énergie, mais il ne permettra pas d’obtenir des capacités financières importantes, comme celles issues de la vente des hydrocarbures non conventionnels.

Si l’Algérie consomme toutes ses ressources d’hydrocarbures, qu’allons-nous laisser aux générations futures ?

Nos réserves prouvées en hydrocarbures conventionnels sont de 12,2 milliards de baril de pétrole et de 4,5 billions (mille milliards) de m3 de gaz naturel. C’est un taux suffisant pour une génération. Pour les générations futures, il faut leur laisser un système économique qui crée des richesses, c’est mieux que de leur laisser des richesses dans le sous-sol.


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