La chronique de Hafid Derradji. Lorsque Louisa Hanoune taille à Saïd Bouteflika un ‘’destin’’ historique, elle signifie…

Hafid Derradji

À l’image de nombre d’observateurs et de lecteurs, je ne me suis guère privé de lire et relire les propos tenus par Louisa Hanoune. La leader du Parti des travailleurs invitait le frère du président de la République et son conseiller spécial, Saïd Bouteflika, d’intervenir – je la cite – ‘’pour protéger la Nation et l’État , assumer ses responsabilités historiques afin de faire face aux dérives que connait le pays’’. Et Louisa Hanoune d’aller jusqu’à dire que ‘’l’histoire allait juger’’ le colocataire d’El Mouradia s’il restait silencieux sur la situation.

Surprenants et déroutants, les propos de Mme Hanoune le sont à l’évidence, d’autant qu’ils s’adressent à leur destinataire sur le mode du plaidoyer.  Habituée, depuis son entrée en politique, à distiller des déclarations, le leader du Parti des travailleurs tient, cette fois-ci, des propos qui suscitent des interrogations et intriguent. Qu’ils soient lus à chaud ou à froid, ils suggèrent l’idée d’un Saïd Bouteflika investi de la mission suprême à la place de son frère souffrant. La ‘’trotskiste’’  accrédite également l’idée selon laquelle c’est Saïd Bouteflika qui préside aux destinées du pays même s’il n’est pas détenteur d’un mandat électif.

Organiquement parlant et à la vue du feuilleton des nominations au Journal officiel, le président Bouteflika compte nombre de conseillers ; des conseilleurs – faut-il le signaler – qu’il ne rencontre et ne consulte jamais. Sous toutes les latitudes géographiques et dans tous les modèles de gouvernance, un conseiller n’est pas crédité de la prérogative exécutive. De par son expertise réelle ou supposée dans un domaine de compétence, il est censé émettre conseils et avis. Le conseiller ne peut en aucun cas s’ériger en responsable ayant quelques vocations décisionnelles. Le conseiller – même vêtu du costume de ‘’conseiller spécial’’ – ne peut être crédité de missions lourdes du type de missions que lui taille Mme Louisa Hanoune.  En appelant Saïd Bouteflika à ‘’protéger la nation’’, à ‘’assumer des responsabilités historiques’’, en prenant, surtout, à témoin ‘’l’histoire’’ qui ‘’jugera’’, le leader du Parti des travailleurs crée une ‘’première’’ dans l’histoire politico-institutionnelle de l’Algérie. Elle octroie à un conseiller spécial au nom de Bouteflika une lourde responsabilité présidentielle. Et c’est en cela que sa dernière sortie médiatique surprend et intrigue.

C’est vrai que le Président ne lit pas la presse, c’est ce que disent certains ministres dits du ‘’cercle présidentiel’’. Le président ne regarde pas les chaînes de télé. Le président ne communique (ou traite) avec le monde extérieur que par l’intermédiaire de son conseiller de frère. Le Président n’est en contact qu’avec trois hommes. Pendant ce temps, c’est son conseiller de frère qui instruit les ministres et les directeurs. C’est lui aussi qui dirige à distance les partis de l’alliance et nombre d’associations. Lorsque Mme Louisa Hanoune plaide publiquement pour une intervention de Saïd Bouteflika pour ‘’défendre’’ la Nation et l’État, elle assigne à Saïd Bouteflika une mission lourde de responsabilités républicaines et souveraines, lui qui n’est que conseiller spécial dépourvu de prérogative exécutive et de mandat électif.  

Lorsque Mme Louisa Hanoune rappelle à Saïd Bouteflika que ‘’l’histoire’’ le ‘’jugera’’ s’il restait de marbre face à une détérioration de la situation dont il connait les responsables, son propos résonnerait comme un verdict implacable. Un verdict selon lequel le pays est en butte à une situation grave qui échappe à la connaissance du Président élu par le peuple. Le propos du leader du Parti des travailleurs se déclinerait aussi comme un aveu de sa part : le frère du Président et son conseiller spécial connait les ‘’responsables’’ de la détérioration de la situation  et les couvre. Et c’est lui qui dirige le pays et, à ce titre, c’est lui qui assume la responsabilité du déclin, de la mauvaise gouvernance et de la rapine qui fragilisent le pays.   

Lorsque Mme Louisa Hanoune affirme que Saïd Bouteflika gère à la place du Président et se charge de tout, du lourd au moindre détail, elle accrédite quelque chose d’extrêmement grave pour l’État et la Nation. Elle laisse entendre que la République algérienne démocratique et populaire a laissé place à une ‘’monarchie’’ sans que le peuple souverain ne le sache. Lorsque Mme Louisa Hanoune tient un tel propos, elle constate que le Président s’est dessaisi de ses missions constitutionnelles au profit de son frère à contre-courant de la Constitution, des Lois républicaines et du suffrage souverain et populaire. 

Quelle que soit la lecture que les uns et les autres se font de sa dernière  sortie médiatique, Mme Hanoune rappelle une réalité grave et suffisamment connue. Beaucoup parmi les responsables connaissent cette situation mais n’ont pas le courage et l’audace pour dénoncer les pratiques du frère du Président et du petit cercle qui l’entoure.

Bien entendu, le conseiller de frère du Président ne répondra pas au plaidoyer de Mme Louisa Hanoune ni à d’autres demandes. Il s’est contenté d’abord d’y répondre de manière indirecte par le biais du ministre de l’Industrie et des Mines. Lequel s’est attaqué violemment à la chef du Parti des travailleurs qu’il a accusée de faire dans les ‘’clowneries politiques’’ (selon le compte-rendu de la presse arabophone). Saïd Bouteflika a rebondi une semaine plus tard de manière tout aussi indirecte sous forme de ‘’message du Président de la République à l’occasion de la fête de la Victoire’’. Ce message ne peut être le fait du Président lui-même : de bout en bout, il est jalonné de menaces tous azimuts comme on n’en a jamais connu dans les interventions des présidents algériens.  

derradjih@gmail.com


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