Importations, change parallèle et impôts : trois plaies symboles de la faiblesse de l’État

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Les services de l’État algérien ont montré leurs limites sur un certain nombre de dossiers, pourtant sensibles et représentatifs de la souveraineté nationale. Nous vous proposons de revenir sur trois exemples parmi les plus parlants que sont la gestion des importations, le marché parallèle des devises et la collecte des impôts.

Les importations : un casse-tête…chinois

La facture globale des importations algériennes explose depuis plusieurs années. Elle devrait, pour la première fois, dépasser la barre des 60 milliards de dollars en 2014.

Certes, l’Algérie importe des denrées et autres produits pour couvrir ses besoins en général. En revanche, une partie non-négligeable et difficilement quantifiable de cette facture, estimée à plusieurs milliards de dollars selon les sources, est liée à des importations frauduleuses. Elles sont le fait d’importateurs-fraudeurs, qui trichent sur les factures et les marchandises afin de faire sortir un maximum de devises du pays.

Le gouvernement cherche des solutions à ce problème depuis 2009, notamment à travers la mise en place du Crédit documentaire (Credoc) comme seul moyen de paiement des importations. Mais le Credoc a contribué à accentuer le phénomène.

C’est l’une des raisons pour laquelle la Banque d’Algérie a décidé, début 2015, de recadrer les banques et renforcer ses contrôles, notamment en surveillant les agents économiques dont la domiciliation est dans les paradis fiscaux et en resserrant le contrôle des changes.

Une autre piste étudiée consiste à ce que les banques algériennes se portent garantes pour les factures d’importations et que les transferts de fonds ne se fassent qu’après le contrôle de conformité des marchandises.

Cette mesure risque pourtant d’être inefficace pour au moins deux raisons : premièrement, la corruption, réputée largement diffusée dans le corps des douanes, peut remettre en cause le fonctionnement du dispositif. En effet, des douaniers complices peuvent « fermer les yeux » sur les dépassements et rendre ainsi le système de contrôle inopérant.

Deuxièmement, le problème de manque d’expertise risque de se poser. La valeur des biens importés peut être surfacturée, malgré le respect des quantités et de la nature de la marchandise déclarée. Par exemple, un importateur peut déclarer importer une quantité de chaussures en cuir d’une valeur globale de 10 000 euros, alors qu’il s’agit de produits contrefaits et de mauvaise qualité d’un prix réel de 1000 euros. Il faut, pour déceler ce genre d’abus, une expertise et des connaissances précises chez les douaniers. Et surtout beaucoup de temps.

Par ailleurs, les récentes reculades du gouvernement sur l’imposition de normes minimales de sécurité sur les véhicules et surtout sur la traçabilité des transactions à travers l’obligation d’achat des voitures directement auprès des constructeurs pose question. Y a-t-il une réelle volonté politique de la part des décideurs de réduire les importations et assainir la situation ?

Le marché de change parallèle

Le développement du marché noir des devises est lié à l’absence de maîtrise des importations. Tout d’abord, il est utile de rappeler que la convertibilité libre du dinar est interdite en Algérie. Cela favorise l’émergence d’un marché parallèle, illégal et qui échappe au contrôle de l’Etat.

Il y a lieu de signaler une anomalie au niveau des comptes en devise détenus en Algérie : l’on peut ouvrir un compte en devises sans déclarer la provenance des fonds. Dans le meilleur des cas, une simple déclaration sur l’honneur suffit.

Selon une source au fait de cette question, les devises détenues dans les banques proviennent essentiellement des retraites des citoyens algériens émigrés (environ 2,5 milliards d’euros) d’une part, et des sommes que les voyageurs à l’étranger rapportent avec eux (près de 1,5 milliard d’euros) d’autre part. Soit un total de 4 milliards d’euros auxquels on pourrait ajouter plusieurs centaines de millions issus de la contrebande et des trafics de drogue.

Par ailleurs, les sorties de devises, en dehors du cadre du commerce extérieur, sont, pour l’essentiel, le fait de trois catégories de personnes : les voyageurs, avec leurs allocations touristiques (équivalentes à 15 000 dinars), les personnes qui vont se soigner à l’étranger et les acheteurs de biens notamment immobiliers, hors du territoire national.

Le marché des changes parallèle profite à des milieux occultes et bénéficie de collusions et de la protection dans les rouages de l’Etat. En se déplaçant au « square » Port Saïd à Alger-centre, plus grand « bureau de change » sauvage de la capitale, l’on remarque que les cambistes exhibent des liasses de billets, au vu et au su des policiers, postés à quelques mètres.

Face à cette situation, deux solutions sont à mettre en place, selon les connaisseurs du dossier. La première consiste à interdire les comptes en devises. Les retraités percevront leurs retraites en dinars. La seconde consiste à accélérer le développement des bureaux de change. Mais là encore, les pouvoirs publics ne semblent pas pressés de mettre en œuvre les solutions. D’importants intérêts sont en jeu.

Un système d’imposition sélectif

Le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Khelil Mahi, déclarait récemment sur les ondes de la radio Chaine 3 que l’évasion fiscale en Algérie se chiffrait à 5000 milliards de dinars, soit près de 60 milliards de dollars.

Pourtant, le gouvernement ne semble pas enclin à remédier sérieusement à la situation. Les précédentes tentatives de régulariser le marché informel, qui échappe au fisc, n’ont pas été suivies de résultats. Les mesures proposées, telles le paiement par chèque et l’obligation de fournir des factures, n’ont jamais vu le jour.

On peut penser que les grossistes de produits de première nécessité soient ménagés par le gouvernement, par peur de leur capacités de nuisance. En effet, une pénurie provoquée par ces vendeurs, en signe de protestation, peut vite dégénérer en émeutes et déstabiliser le front social.

En revanche, les commerçants de détail, comme les vendeurs de meubles, de téléphones (etc.) rechignent également à fournir des factures, seules à même de garantir une traçabilité et une récolte de l’impôt « honnête ».

Etrangement, au lieu de se focaliser sur les voies et moyens de collecter les 5000 milliards d’impôts qui échappent au fisc, la Direction générale des impôts (DGI) et autres services fiscaux ont tendance à accentuer la pression sur les rares entreprises et personnes qui travaillent dans la légalité.

En voulant assurer un maximum de rentrées fiscales, le gouvernement risque de produire l’effet inverse : certains seront tentés par l’informel ou par la fraude fiscale à travers une sous-déclaration par exemple, ou pire, des entreprises seront amenées à « baisser le rideau », asphyxiées par une pression fiscale insupportable.


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