La chronique de Benchicou : Mohamed V et nos martyrs (1)

Mohamed Benchikhou

Le président de la République vient donc de dénicher dans l’histoire un motif supplémentaire pour les peuples algérien et marocain de se déchirer. En déclarant péremptoirement que les opérations du 20 août 1955 menées par le martyr Zighoud Youcef dans le Nord-constantinois ont permis de faire apparaître « les prémices d’une solution politique  entre le gouvernement et le Royaume du Maroc » et de mettre fin à l’exil  du Roi du Maroc et sa famille à Madagascar, « faisant alors du 20 août un gage  de fraternité et de solidarité entre les peuples marocain et algérien », il ne sous-entend rien moins que le Maroc doit son indépendance à la bravoure des combattants algériens.

L’on ne saurait mieux blesser la fierté nationale d’un pays voisin et, dans ce chapitre, l’objectif de notre chef de l’État semble avoir été atteint, à lire les fougueuses ripostes indignées qui parviennent du royaume.

Mais il semble bien que c’est ainsi, sous ce tableau de la rixe et de l’affrontement que notre chef de l’Etat, ou ceux qui, dans les conditions cacophoniques de la vie politique algérienne aujourd’hui, signent en son nom,  préfèrent voir le Maghreb. Il aurait pu se servir de ce qui, dans l’histoire, unit au lieu de diviser, apaise au lieu de désespérer.  Il aurait fallu pour cela connaître l’histoire telle qu’elle s’est faite, pas comme il souhaiterait qu’elle fût.

Plutôt que d’arborer une mythique « solidarité des Algériens avec les résistants  en Tunisie et au Maroc », sous-entendant une bienveillance algérienne à l’origine de « la prise de conscience quant  à une impérieuse libération du Maghreb », il aurait été plus conforme avec la réalité historique de rappeler que dans les années 20 et 30 déjà, l’Étoile nord-africaine, qui se posait comme la force motrice d’un Maghreb à venir, comptait dans son comité de coordination des Tunisiens du  Néo-destour, tels Ben Slimane et  Hedi Nouira mais aussi les camarades marocains de l’Action marocaine, comme El Ouazzani, Allal el Fassi et Balafredj. C’est en leur compagnie que Messali Hadj tenait des meetings d’usine en usine, au milieu de la classe ouvrière française… Il n’y avait, alors, nulle singularité algérienne, comme se plaît à le claironner notre chef de l’État dans le but de blesser l’orgueil national du Maroc voisin.

Ceux qui nous ont précédés étaient, heureusement pour l’histoire et pour la morale, moins infatués de leurs personnes et asservis totalement au noble combat internationaliste.
Bouteflika, ou ceux qui signent des envolées lyriques à la gloire du combat algérien, devrait savoir que dans les années 40, l’union maghrébine s’était forgée dans la douleur, dans le calvaire partagé, dans le froid du bagne de Lambèse où les chefs du parti du peuple algérien (PPA qui prit la place de l’étoile nord-africaine dissoute par Léon Blum en 1937) étaient emprisonnés en compagnie de militants tunisiens et marocains. En ce temps-là, un doux refrain traversait l’Afrique du Nord, le refrain des chants et des qacidates, de la poésie populaire, entonné  à la gloire des détenus, en soutien à la propagande nationaliste. Ce fut à ce moment-là que naquit une véritable revendication marocaine pour l’indépendance, bâtie autour d’un noyau indépendantiste qui deviendra plus tard l’Istiqlal, encouragé par le sultan marocain Mohammed Ben Youssef qu’on connaîtra sous le nom de Mohamed V et qui paiera son choix par un bannissement à Madagascar.

Aujourd’hui, il n’y a plus que le refrain de la haine couvrant le Maghreb de sa noirceur. Comme d’une litanie du mensonge et du rabaissement de l’autre. A ce jeu-là, on prend le risque de se rabaisser soi-même, à nier les luttes marocaines pour l’indépendance, la création du Front national marocain par les indépendantistes, les manifestations antifrançaises réprimées dans le sang entre 1952 et 1953, les attentats des nationalismes marocains après l’exil de Mohamed V…

L’indépendance du Maroc fut le résultat d’une longue maturation du mouvement national maghrébin à l’intérieur de l’Étoile nord-africaine, de la résistance des Marocains eux-mêmes ainsi que de facteurs conjoncturels favorables. La France, affaiblie par la défaite de Dien-Bien-Phu, sous le coup d’une pression internationale insupportable, gênée par le soutien américain à Mohamed V, n’avait plus la puissance nécessaire pour soutenir trois fronts à la fois. Elle fit le choix de se concentrer sur le territoire algérien, le plus riche de par ses ressources pétrolières, mais aussi celui qui se prêterait le moins à une solution à l’amiable du fait de l’existence d’une forte minorité de Colons européens (1 million sur 9 millions d’habitants en 1954) farouchement opposés à la création d’une République algérienne musulmane. Paris fit alors revenir le sultan avec lequel elle signa les accords de La Celle-Saint-Cloud, prévoyant le retour sur le trône, sous le nom de Mohammed V et l’indépendance du Maroc.  Quelques semaines plus tard, ce sera le tour de la Tunisie.

Personne, en dehors de Bouteflika, n’a jamais dit que le soutien de l’Algérie fut décisif dans l’avènement de l’indépendance marocaine. Pas un seul historien ne l’a écrit, et on n’a jamais entendu pareille forfanterie sortir de la bouche des artisans du 20 août 1955 dont bon nombre d’entre-eux ont pourtant écrit des ouvrages très riches en révélations. En retenant la solidarité avec le roi du Maroc parmi les buts de l’action du 20 août 1955, Zighout Youcef et ses compagnons se situaient, objectivement, dans le prolongement historique de l’action unitaire maghrébine entamée 30 ans auparavant par leurs aînés à l’intérieur de l’Etoile. À l’opposé de ce que veut faire croire M. Bouteflika, ce point n’était du reste pas prioritaire dans les objectifs assignés à l’opération militaire. Il figurait au dernier échelon dans la liste. Ce qui était vital, aux yeux des concepteurs de l’opération du 20 août 1955, était d’affirmer la volonté algérienne d’aller vers l’indépendance coûte que coûte. Zighout cherchait, entre autres, à créer un autre point de fixation qui allégerait les Aurès et à créer les conditions subjectives et objectives d’une internationalisation du cas algérien notamment l’inscription dans les débats de l’ONU.

Hormis dans le cerveau de M. Bouteflika ou de ceux qui rédigent en son nom, il n’existe aucun super-héros algérien qui aurait accéléré l’avènement de l’indépendance du Maroc.

Du reste, s’il fallait décerner un mérite particulier à un combat générateur d’une  prise de conscience maghrébine, il reviendrait, historiquement et tout à fait naturellement, à un illustre … marocain : Abdelkrim!

A suivre…

 

 


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