Sonatrach I : « Il est anormal que l’instruction soit passée sans l’audition de Chakib Khelil »

Sonatrach 1- Bourayou

Me Khaled Bourayou est l’un des ténors du barreau d’Alger. Il assure la défense de plusieurs mis en cas dans le scandale Sonatrach 1. L’avocat revient sur les anomalies et la dimension politique du procès qui s’est ouvert hier et dont il a pu obtenir le report.

Quelles sont les dysfonctionnements que vous avez constatés hier dimanche à l’ouverture du procès de Sonatrach I ?

Est-il normal que le Trésor public apparaisse aujourd’hui au cours de l’audience comme représentant de l’Etat ? Où était-il durant ces quatre années d’instruction ? Dans quel but vient-il ? Est-ce pour pallier l’insuffisance d’une expertise ? Veut-on cacher les carences de l’instruction ?

Hier (dimanche), les avocats de l’agent judiciaire du Trésor public se sont présentés en indiquant avoir reçu une convocation du ministère public. Ils avouent ne pas connaître le dossier et demandent l’arrêt de renvoi. On nous dit que le Trésor intervient car il représente les deniers publics. Or c’est le conseil de participations de l’État qui détient la propriété de l’État dans les entreprises.

Ensuite, est-il normal de tenir un procès en l’absence de 38 témoins ? Est-il normal de ramener une interprète qui se trouvait à la sortie d’une école et qui était obligée de laisser ses enfants dans la voiture pour venir traduire ?

Est-ce les conditions d’un procès équitable ? La réponse est Non. Et c’est pour cela qu’on a demandé le report car nous voulons que l’affaire soit jugée sereinement, équitablement et dans la recherche de vérité.

Etes-vous satisfait après avoir finalement réussi à obtenir le report du procès ?

Il ne s’agit pas d’une volonté délibérée de reporter un procès. Le tribunal criminel se caractérise d’abord et fondamentalement par le respect de la procédure. C’est justement le respect de la procédure qui garantit un procès équitable, régulier et objectif. Et on ne peut pas assurer un procès équitable sans le respect du droit de la défense.

Hier, le président (du tribunal) a voulu convoquer les témoins après la constitution du jury. Or quand le jury est constitué, le procès commence et il est impossible de le reporter ou de se retirer. Pourquoi a-t-on programmé ce procès en même temps que d’autres (celui de l’autoroute Est-Ouest et celui de Khalifa) ?

Pour moi, cela veut dire que ces trois procès, qui ont cumulé près de quinze ans d’instruction, seront liquidés en un, deux ou trois mois pour qu’ils disparaissent du paysage politique. Je comprends les inquiétudes des détenus car il y va aussi de la vie et du sort de beaucoup d’entre eux. Mais je pense que la recherche de la vérité va profiter à tout le monde.

Comment expliquez-vous cette volonté de « liquider » ces dossiers ?

Je pense qu’on a envie d’en finir avec ces scandales et de se débarrasser de ces dossiers qui pèsent un peu lourd sur une gouvernance et qui donnent une mauvaise image de celle-ci. Ces scandales ont éclaté durant une décennie. Donc ce sont des dossiers qui ont marqué une certaine époque et qui concernent les hautes personnalités de la sphère politique dont des ministres.

La responsabilité de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest par exemple n’incombe pas complètement à un Chani Madjdoub qu’on a voulu accabler. En fait, il y a une forme sournoise de politisation de ces affaires. Nous avons l’impression qu’il s’agit, sous couvert d’une lutte contre la corruption, de liquider un certain héritage politique qui est pesant sur l’actuelle gouvernance.

Mais est ce qu’on a pris en considération le droit de la défense dans cette volonté de liquider près de quinze ans d’instruction cumulés (Khalifa, Sonatrach 1 et l’Autoroute) en deux ou trois mois ? Non. Derrière ce procès, il y a une lutte d’appareils dont ce même procès est l’enjeu. En d’autres termes, il ne faut pas que ce procès soit prisonnier de cet enjeu. Le rôle de la défense est de le dépouiller de cet enjeu pour en faire un procès équitable obéissant uniquement à la loi.

Pourquoi cette volonté de se débarrasser de ces dossiers aujourd’hui ?

D’abord, le président de la République a déclaré qu’il faut lutter contre la corruption. Ensuite, n’y-a-t-il pas une volonté de détourner l’opinion publique des questions très importantes qui secouent le pays dont la crise qui arrive, le gaz de schiste, la situation sociale qui se dégrade et la détérioration du pouvoir d’achat? Il ne faut pas oublier que nous sommes à la veille d’une situation politique très dure. Outre ce besoin de faire oublier certaines choses, il y a la volonté de faire un ravalement de la façade du pouvoir qui lutte contre la corruption.

Le bâtonnier d’Alger a critiqué une médiatisation qui pourrait nuire au déroulement du procès…

La presse est présente dans les tribunaux, depuis des années, car elle fait partie des conditions d’un procès équitable. C’est le timing de la communication effrénée qui dérange. Pourquoi un avocat parle et évoque un procès, la veille, dans une chaîne de télévision privée ? Est-ce que cela n’est pas fait pour influencer et mettre sous pression le tribunal criminel ? Dans l’émission où l’avocat en question était invité, on constate une forme de banalisation du procès, une volonté de dédouaner certains de ses acteurs et de dénoncer le ministère public. Donc c’est bien une forme de pression et de conditionnement d’un procès. Le président (du tribunal) affirme qu’il n’est pas impressionné, affecté ou influencé par une certaine médiatisation et qu’il ne lit pas la presse. Sauf que dans le dossier d’accusation de l’affaire Sonatrach II figure des dizaines d’articles. La presse a un rôle à jouer dans l’information mais pas dans la désinformation.

Peut-on tenir le procès de Sonatrach I en l’absence de l’ancien ministre de l’Énergie Chakib Khelil ?

Il est anormal que le dossier soit limité aux responsabilités du PDG de Sonatrach. Compte tenu du fait que ce soit la plus importante entreprise (du pays) et qu’elle soit sous tutelle directe et étroite du ministère de l’Énergie, il est anormal que l’instruction soit passée sans l’audition, ne serait-ce qu’à titre de témoin, de l’ancien ministre de l’Énergie. Ce qui nous pousse à nous demander s’il y a une volonté réelle de chercher la vérité et la juste vérité à travers ce procès, ou s’agit-il d’absoudre certains et de condamner d’autres. Il est anormal que Chakib Khelil apparaisse dans Sonatrach II et pas dans Sonatrach I. À mon avis, son témoignage aurait pu dédouaner certains prévenus car ils ont agi selon des instructions du ministère.

Est-ce qu’on a demandé qu’il soit appelé comme témoin ?  

Je ne peux pas répondre à la place des autres.

Avez-vous demandé qu’il soit appelé comme témoin ?

Cela donc n’avait aucun intérêt pour moi.

Doit-on comprendre que le contexte politique actuel n’est pas favorable à la tenue de ce procès ?

Le contexte actuel nous confirme que les conditions d’un procès ne sont pas réunies. Mohamed Meziane a accordé une interview à El Watan. Selon son avocat, il a été convoqué par le ministère public où il est resté une journée. N’est-ce pas une pression sur ce prévenu ? Cela dit, je ne suis pas un politique. Je suis un avocat qui apprécie les procédures et je dis que les procédures actuelles, malgré les efforts du ministère public pour réunir les conditions, se sont avérées insuffisantes !

Notre souci est d’aboutir à un procès équitable. Je ne voudrais pas que ce procès soit l’enjeu de lutte d’appareils et je pense que la décision de renvoyer l’affaire est sage dans la mesure où elle nous permet de revenir sur le dossier avec beaucoup de sérénité mais aussi avec beaucoup de conviction de défense de nos clients.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici