La chronique de Benchicou : faut-il toujours parler d’un « après-Bouteflika » ? 1ère Partie : ni la mort, ni l’armée…

Mohamed Benchikhou

La mort ou l’armée. Il ne reste plus que la mort ou l’armée pour en finir avec Bouteflika, disent-ils, aujourd’hui en désespoir de cause, après avoir tout essayé. Avec Bouteflika, le pouvoir n’aura usé que ses adversaires. Jusqu’au bout. Il aura, jusqu’au bout, dérouté puis fasciné et enfin désespéré ceux qui prétendaient le combattre. Le chef de l’État aura fait perdre la foi et leur âme aux opposants démocrates, poussés à s’acoquiner avec le FIS, et, tout récemment, la mémoire à notre ami Mokrane Aït Larbi.

Le brillant avocat, en suggérant l’intervention de l’armée pour « persuader » Bouteflika de « se retirer », en est réduit à se désavouer, lui qui, il y a trois ans, avait généreusement raillé puis incendié cette même proposition formulée alors par son aîné Ali Yahia Abdennour. « On ne saurait à la fois se dire légaliste, revendiquer la démocratie et appeler en même temps à un putsch, avait-il clamé, péremptoire, devant les journalistes. Appeler l’armée à intervenir et lui demander de destituer le chef de l’État n’est pas une solution ». Trois ans plus tard, l’avocat et militant des Droits de l’Homme en arrivait à reconnaître que le fléau Bouteflika n’est pas à la mesure de nos expériences ordinaires. Le personnage a toujours su tirer parti de la piètre mémoire des Hommes. Souvent de leurs vanités. Régulièrement de leurs ingénuités.

Aujourd’hui encore, il se joue de nos crédulités lui, inapte à convoquer le Conseil des ministres ou à assister à la prière de l’Aïd mais qui, cyniquement, s’amuse à retrouver sa forme pour écrire au Roi du Lesotho ou recevoir Lakhdar Brahimi. Qu’importe si la mise en scène ne dupe plus personne, il s’obstine à la rejouer pour son seul plaisir cynique, comme pour nous rappeler qu’il est bien tard pour envisager un avenir sans lui, comme pour nous signifier que lui, Bouteflika, ne postule pas au pouvoir mais qu’il est le pouvoir. Le pouvoir au sens où l’entend Machiavel : absolu et éternel. Celui obtenu par le clan d’Oujda en 1962, par la violence et le coup de force contre le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Ce pouvoir dont il est le seul légataire après la mort de Boumediène et qu’il compte bien garder au sein de la famille Bouteflika, parce que ce pouvoir-là est « un butin de guerre ».

Oui, aujourd’hui qu’il passe à la vitesse supérieure, qu’il s’apprête à sonner le glas, à nommer les Hommes de son frère, Saïd, aux postes sensibles de la Nation, nous réalisons que nous sommes en retard d’un coup sur cet homme avide de puissance, qui a dépouillé la mort et l’armée de leur pouvoir. On doit réaliser maintenant que ni l’une ni l’autre ne nous en débarrassera. Bouteflika prépare le pouvoir post-mortem. C’était écrit. Dans le testament de Boumediène que lui seul dit avoir vu. « Après Boumediène, c’était à moi qu’il revenait d’hériter du pouvoir, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’État à blanc et l’armée a imposé un candidat », avait-il lâché sur Europe 1 devant Jean-Pierre Elkabbach, en septembre 1999.

Alors comment imaginer qu’il restituerait le pouvoir un jour ? Et à qui ? Á ces généraux parvenus qui lui ont « volé » le trône en 1979 à la mort de Boumediène et qui ne méritent aucun égard ? « Quand j’étais officier, beaucoup de généraux actuels n’étaient peut-être même pas dans l’Armée », avait-il ajouté à ElKabbach. Non, le pouvoir ne se restitue pas, il se transmet à l’intérieur de la famille ou du clan, c’est un bien privé, celui de la famille fondatrice, la sienne, le clan d’Oujda qui a imposé son diktat en 1962 et accaparé le commandement. Après Boumediène, c’est au tour de Bouteflika 1 et après Bouteflika 1, eh bien, ce sera Bouteflika 2, le petit frère !

Le chef de l’État, au milieu d’un monde interloqué, sur son fauteuil roulant, s’apprête à donner l’estocade : les Hommes qui vont porter le sacre de son frère Saïd vont bientôt s’emparer des principaux postes de commande de la Nation. Gouvernement, patronat, hiérarchie militaire, DRS, tout va changer de mains, pour la nouvelle Algérie de Bouteflika 2. Le temps des Sellal, Sidi Saïd, Ouyahia, sans doute même Saâdani ou Hamiani est fini. Place aux hommes « sûrs » tels Benyounès ou Belaïz à la tête du gouvernement, Haddad aux rênes du patronat et je ne sais qui encore aux commandes des postes clés, une nouvelle élite façonnée pour l’héritier. Il faut abattre l’ancien État pour libérer la voie au frère cadet. Cela aussi, c’était écrit. Écrit dans Le Prince de Machiavel : « Lorsqu’on conquiert un État, il faut s’assurer que la lignée de leur ancien prince soit éteinte, sous peine de voir quelques temps plus tard resurgir un héritier légitime [ou qui croit l’être ndlr ] qui souffle la place. »

Seule consolation pour les opposants : les autocrates mettent autant de temps à mourir qu’à exercer le pouvoir absolu. Nous aurons tout le loisir d’assister à la besogne du diable.


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