Reportage. Mascara, la future « Californie » promise par Sellal

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Il y a plus de cinq mois, en pleine campagne électorale pour la présidentielle du 17 avril, Abdelmalek Sellal, directeur de campagne de Bouteflika, promettait de transformer Mascara en Californie de l’Algérie. « Nous ferons de cette wilaya un pôle agricole par excellence (…) Mascara sera la Californie de l’Algérie », avait-il promis à la population locale. Nous nous sommes rendus à Mascara pour voir si Sellal avait tenu son incroyable promesse.

Á la périphérie de la ville, dans une station-service, se trouve l’un des plus chics cafés de Mascara. « Á partir de cette terrasse, on a une très jolie vue, surtout au printemps », avance Halim Abourra, enseignant de physique à l’université et syndicaliste. Père de deux enfants, cet Oranais a commencé à travailler à Mascara en 1998 avant de s’y installer définitivement en 2004. « Mascara est une petite ville avec ses avantages et ses inconvénients. Elle est calme mais elle n’a pas d’infrastructures, ni pour les enfants, ni pour nous », dit-il. Halim passe généralement ses week-ends à Oran.

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Comme dans toutes les villes du pays, de nombreuses nouvelles cités ont poussé ces dernières années à Mascara, grâce aux programmes immobiliers de l’État. Le centre-ville grouille de monde, malgré la chaleur. Les terrasses des cafés sont prises d’assaut.

Sid Ahmed, la quarantaine bien entamée, est sans emploi. Depuis que la police lui a saisi sa table et sa marchandise en lui interdisant de la vendre sur la voie publique, il passe ses journées dans les cafés. « Les jeunes ne peuvent plus vendre dans la rue. On leur a enlevé leur gagne-pain ! », dit-il. L’agriculture ne semble pas l’intéresser. Pour justifier sa réticence, il a de nombreux arguments. « Je vais faire de l’agriculture où ? Á Sig, Mohamadia, Ghriz ? Vous voulez que je prive les enfants de ces régions de leurs postes d’emploi ? », s’énerve-t-il.

Lorsque Sid Ahmed a entendu Sellal parler de Californie, il a cru déceler un humour déplacé que l’on n’apprécie pas ici. « Quoi ? La Californie ? Il va importer la mer à Mascara ! », lâche-t-il. Ses rêves sont plus modestes. Il souhaite seulement que sa wilaya ressemble un peu à Alger, par exemple.

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Dans la ville, certains projets sont en chantier. Le théâtre régional en pleine rénovation. Le projet de création d’un musée de l’émir Abdelkader, dont parlent toujours les habitants, n’a toujours pas vu le jour. Mais aucun projet d’envergure, capable de transformer sérieusement Mascara n’a été lancé depuis plusieurs années.

En face de la vieille cathédrale transformée en bibliothèque, la maison de la culture est ouverte. Trois jeunes sont à la réception. « Pour le moment, aucune activité n’est prévue cette semaine », annonce d’emblée l’un d’eux. La dernière activité date de plusieurs jours : une pièce de théâtre pour enfants. L’ancienne salle de cinéma sera transformée en cinémathèque, affirment certains habitants.

Ni stratégie ni vision claire

Il est 16h30. C’est presque la fin de la journée pour Aïcha. Âgée de 43 ans, elle travaille dans une pâtisserie depuis trois ans. Quand elle termine sa journée, vers 17 heures, elle emmène ses enfants dans une « crèmerie » ou dans le jardin public. Contrairement à Sid Ahmed, elle est contente de voir sa ville « évoluer ». Comme Aïcha, ils sont nombreux à apprécier la rigueur et l’intransigeance du wali.

Cet optimisme est partagé par Missoum Rahou, le député du MSP. « Il y a une avancée et des réalisations mais la dynamique était là avant la visite (de Sellal) », estime l’élu. L’argent coule à flots mais Missoum Rahou critique l’absence d’une « vision ou stratégie claire ». « Heureusement, à Mascara, des cadres étaient là et ont su utiliser cet argent », assure-t-il.

Les jeunes, entre Ansej et agriculture

Sur la route qui mène à Mohamadia, une région autrefois connue pour la qualité de ses agrumes, des hectares de terres sont laissées à l’abandon. Ces superficies sont évaluées à plus de 98 000 hectares soit 31,6% de la surface agricole utile (312 787 hectares) de la wilaya de Mascara, selon une étude réalisée par un agronome de la région entre 2007 et 2011. « Beaucoup ont abandonné leurs terres pendant les années 1990. Les terroristes avaient brûlé leurs fermes, pris leurs véhicules et leur cheptel », se rappelle Hamid. « Maintenant, les agrumes, c’est à Boufarik », regrette-t-il. « Nombreux sont ceux qui se sont installés en ville à cause du terrorisme. Leurs enfants y ont grandi. Je ne pense pas qu’ils vont revenir un jour ici », lance-t-il.

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Les jeunes de Mascara sont de moins en moins nombreux à s’intéresser à l’agriculture, assure Ahmed Yahiaoui, maître de conférences au département d’agronomie de l’université de Mascara. Le manque de mains d’œuvre est justement l’un des principaux problèmes qui freinent le développement du secteur agricole, selon lui. « Les jeunes aujourd’hui ont le choix entre obtenir de l’argent via l’Ansej pour s’acheter notamment une voiture ou cultiver la terre. Pourquoi opteraient-ils pour le deuxième choix ? », souligne l’enseignant.

Le projet de raccordement de Mascara à la grande station de dessalement d’eau de mer, à travers le couloir MAO (Mostaganem-Arzew-Oran) devrait solutionner le problème de manque d’eau. Mais sans forcément régler le problème de l’agriculture à Mascara, estime M. Yahiaoui. « Le problème du manque d’eau se pose dans le monde entier. Des techniques modernes permettent, aujourd’hui, d’utiliser l’eau de façon très rationnelle », explique-t-il.

Peut-on alors transformer Mascara en Californie ? La question le fait rire. « Les choses ne sont pas aussi simples », soupire-t-il. « Dans une campagne électorale, on peut dire n’importe quoi ! »

 


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