L’opposition peut-elle rivaliser avec le pouvoir ?

Louisa Ait Hamadouche est politologue. Dans cet entretien, elle revient sur la conférence pour la transition, les rapports de force entre l’opposition et le pouvoir et les positions du FFS.

Les partis de l’opposition n’ont pas baissé les bras après l’élection présidentielle. Comment l’expliquez-vous ?

Le premier point positif que je tiens à souligner est que l’opposition n’a pas disparu après les résultats de l’élection présidentielle. C’est-à-dire, après l’annonce de la victoire écrasante du président sortant. C’est que celle-ci aurait pu avoir l’effet de coup de massue. Les 81% sont un taux particulièrement frappant qui aurait pu complètement paralyser l’opposition. Ce qui n’a pas été le cas. Le jeu politique n’a pas été tué par les résultats de la présidentielle. On peut supposer que les 81% avaient pour message qu’une victoire aussi écrasante signifie que l’opposition n’a pas de place. Elle ne s’est pas soumise à ce message.

Car parallèlement à la victoire du président de la République, il y a eu une abstention significative et l’opposition joue sur ce registre. Elle considère que parallèlement à cette victoire, il y a aussi une importante frange de la société qui a refusé de cautionner l’élection. Et les partis qui ont appelé au boycott estiment que leur légitimité est issue de  cette abstention. Deuxième point significatif est le fait que le front constitué à l’occasion de la présidentielle ne s’est pas divisé après l’élection. Ce qui veut dire qu’il a une fonction et une dimension qui va au-delà de ces élections. Cela est important. L’unité de ce front après l’élection n’était pas garantie d’autant plus que l’élection présidentielle a été suivie par les consultations relatives à la révision constitutionnelle.

Pensez-vous que ces consultations auraient pu faire imploser le front ?

Ces consultations auraient pu faire imploser le front parce qu’elles visent justement à couper l’herbe sous les pieds de l’opposition en montrant que le pouvoir est capable de proposer des réformes.

La CNLTD a organisé le 10 juin une conférence nationale pour la transition. Pensez-vous qu’elle sera capable d’imposer sa feuille de route au pouvoir ?

D’abord, la coordination n’a pas rassemblé uniquement l’opposition puisqu’on a retrouvé dans cette conférence des personnalités qui ont participé aux consultations autour de la révision constitutionnelle menées par Ahmed Ouyahia. Ensuite, la conférence nationale organisée par la CNLTD est une première étape décisive. Mais le plus dur reste à faire. Et le plus dur est de parvenir à créer un rapport de force qui soit moins défavorable à l’opposition. Pour le moment, ce rapport de force est en faveur du pouvoir politique.

Le nouveau rapport de force ne sera possible que si l’opposition parvient à montrer qu’elle est capable de mobiliser au-delà des abstentionnistes et de mobiliser en faveur d’un projet politique. Et il est plus facile de mobiliser le mécontentement social que de mobiliser en faveur d’un projet. C’est pour cela que la coordination doit aller sur le terrain et sensibiliser l’opinion publique en faveur d’un projet et pas contre le pouvoir. C’est beaucoup plus compliqué à faire parce que les partis politiques véhiculent, depuis que le multipartisme existe en Algérie, l’image d’une opposition extrêmement faible. Aujourd’hui, leur première mission est de changer cette image. Chose qui constitue un vrai défi que ce soit pour Jil Jadid (un nouveau parti, ndlr) que pour le MSP (un ancien parti, ndlr).

N’y a-t-il pas un risque d’implosion de l’opposition eu égard aux divergences idéologiques et partisanes entre ses membres ?

Je pense qu’étant parfaitement consciente de ce risque, la coordination fera en sorte d’adopter des textes et de promouvoir ou de lancer des messages les plus consensuels possibles. Dans le projet de plateforme proposé, il y avait effectivement beaucoup de questions importantes qui n’ont pas été abordées. Et à mon avis, cela a été fait de manière volontaire. Connaissant les divergences politiques, idéologiques et partisanes des membres, il fallait partir sur une plateforme qui soit la plus consensuelle possible. C’est un choix assez rationnel.

Le but n’est pas de convaincre les partisans potentiels du MSP, ceux du RCD ou ceux de Abdellah Djaballah mais de convaincre le maximum d’Algériens afin de créer un nouveau rapport de force. Et je pense que c’est la raison pour laquelle tous, pendant la conférence, ont affirmé et réaffirmé qu’ils s’engageaient à se départir de leur identité partisane. Le but est de créer un consensus qui soit le plus large possible contre le consensus que propose le pouvoir politique en place. Ils ont bien insisté sur le fait que la compétition partisane pourrait revenir qu’une fois ce nouveau rapport de force établi.

L’opposition est-elle prête à aller vers ce consensus ?

Je pense que les partis politiques de la coordination font preuve d’une maturité certaine jusqu’à présent et cela notamment grâce aux expériences passées.  Mais on ne peut pas savoir encore si la coordination est suffisamment forte pour résister aux pressions qui ne vont pas s’arrêter. Le pouvoir politique a parfaitement montré qu’il avait les moyens d’influer sur les partis politiques, notamment en créant des divisions en leur sein. Est-ce qu’il arrivera à appliquer la stratégie consistant à diviser pour régner ? Pour le moment, il n’a pas pu le faire.

Le FFS a participé à la conférence pour la transition et aux consultations sur la révision constitutionnelle. Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que le FFS a atteint une fin de cycle et il aborde un nouveau cycle dans son histoire. L’affaiblissement de son leader historique (Hocine Ait Ahmed) est sans doute pour quelque chose. Le parti est en train d’opérer sa mue et de passer ainsi du statut du plus vieux parti de l’opposition à un statut qui reste à définir. L’affaiblissement d’Ait Ahmed laisse aussi la place à ceux qui défendent une autre vision de l’action politique. La participation aux législatives en est un symbole significatif. Et il est possible que le FFS s’inscrive désormais dans une logique selon laquelle l’opposition absolue a montré ses limites en termes de coûts et de gains et qu’une autre stratégie doit être abordée vis-à-vis du pouvoir politique. Une stratégie qui pourrait se décliner à travers une participation plus au moins importante dans le pouvoir politique.

 


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