Transition politique : entretien avec Abderrahmane Hadj-Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie

hadj nacer

Vous êtes proche de Mouloud Hamrouche. L’ancien Premier ministre s’est exprimé avant la présidentielle. Depuis, il observe le silence, à l’exception d’une rencontre le 17 mai avec des associations. Ses propositions formulées avant la présidentielle ne sont plus d’actualité ?

Que je sois proche de Hamrouche, je n’en disconviens pas.  De là à parler en son nom, je ne m’y hasarderai pas. Ce dernier s’est exprimé, à ma connaissance, en disant qu’il n’était pas concerné par le 17 avril ou par les échéances qu’on nous impose et qui ne correspondent plus aux véritables échéances de notre pays. Que nous sommes dans une fin de cycle et qu’il faudrait en préparer un nouveau.  Après l’élection présidentielle, M. Hamrouche reste exactement dans la même logique : la construction d’un consensus national. Comment cela pourrait-il se faire ? Il y a deux formules ; la première est technocratique. La préparation est confiée à deux ou trois « techniciens », avec ensuite des échanges entre cadres supérieurs, quelques politiques et militaires cooptés avant d’être imposée à la société. La deuxième consiste à échanger directement avec la société civile avant d’arriver à une formulation technique. Quand on veut des changements fondamentaux, il faut savoir comment les organiser. Mais si on veut un changement auquel la société adhère, il faut parler avec elle.

M. Hamrouche avait appelé le président Bouteflika, Gaïd Saleh et Toufik à lancer un processus pour un consensus politique en les comparant aux trois B (Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal)…

Cela signifie quoi ? Qu’à un moment déterminé dans l’histoire d’un peuple, les leaders doivent prendre leurs responsabilités. Pour éviter des confrontations, Mouloud Hamrouche leur a juste demandé d’initier auprès de la population -mais ne pas de lui imposer- une démarche qui devrait être consensuelle pour qu’on puisse tous marcher dans l’ordre et la confiance vers les choix que définira la population algérienne.

Son appel a-t-il été entendu ?

Je ne pense pas. Après la présidentielle, on présente une proposition technique -la révision constitutionnelle- dont on ne sait pas très bien comment elle a été préparée, ni à qui elle est destinée, en dehors d’une tentative de maintien du statu quo et de la nécessité de changements en trompe-l’œil à destination de l’étranger. Il y a un mépris extraordinaire vis-à-vis de la population. Sur quelle base choisit-on 150 personnes pour la représenter ? C’est comique. Ce mépris extraordinaire se révèle également à travers l’appel fait à certaines personnes rejetées par la population.

 

Qui sont ces personnes rejetées par la population ?

Ce qui importe, c’est d’avoir recours à de tels procédés. On parle d’un système qui est assez bien rodé, négativement.  Il va jusqu’à corrompre la population avec des salaires sans contrepartie, ça permet de gagner du temps mais d’en perdre, en même temps, énormément pour le devenir du pays.

Comment comprendre le dialogue entamé par M. Hamrouche ?

Considérant la personnalité et l’expérience de M. Hamrouche et sa connaissance intime du système, il est normal qu’à un certain moment, pour être logique dans sa démarche, il se met à la disposition des plus jeunes dans un pays dont l’écrasante majorité l’est. Comment voulez-vous que les jeunes fassent demain si on n’organise pas la transmission du savoir, aujourd’hui. Transmettre, échanger et essayer de trouver des solutions avec la société, est le minimum afin que la population se prenne en charge en évitant le chaos. On sait très bien que si on ne réussit pas la transmission du flambeau entre les générations, le désordre est plus que probable. Je pense que l’objectif, aujourd’hui, est d’éviter toutes les initiatives imposées venant du haut vers le bas.

Ne pensez-vous pas qu’un personnage comme M. Hamrouche a pris le temps avant de décider à dialoguer avec la société ?

C’est une question qu’il faut lui poser directement. Pour moi, je crois que jusqu’en 2008, on pouvait penser, compte tenu du contexte international, qu’il était nécessaire d’accepter cette période après les années 1990. On a pu penser aussi que le 3e  quinquennat servirait à solder un passé dramatique, sur tous les plans, et principalement les dérives de gouvernance, les rapports à l’argent liés aux années 1990. Mais ce quinquennat a approfondi les dérives rendant caduque tout espoir de légitimer le système. Face aux défis des temps présents, on répond par un texte de diversion. C’est une caractéristique du sous-développement que de répondre à un problème concret par un texte. Un texte qu’on ne mettra jamais en application. Par ailleurs, ce qui est nouveau, c’est qu’on assiste à la fin d’un  cycle. Ce n’était pas le cas en 2008. Le monde est en train de bouger à une vitesse extraordinaire et l’Algérie est confrontée à des défis fondamentaux, dont les changements dans les rapports de forces internationaux.

Le 17 mai, lors d’un débat entre des représentants d’associations, de syndicats, Mouloud Hamrouche a évoqué la nécessité d’une « mobilisation organisée au sein de la société ». Comment se ferait-elle concrètement ?

Si on veut que la mobilisation soit positive, il faut qu’elle émane de la base. Penser qu’il faut se rallier à un burnous est une idée du siècle dernier. Elle n’est plus concevable, aujourd’hui, vu la composition et le niveau d’information de la population. Mais il faut toujours revenir à notre histoire. S’il y a eu novembre 1954, c’était parce que le zaïmisme avait atteint ses limites malgré la figure charismatique de Messali Hadj, le père de la Nation algérienne.  Novembre 54 a incarné la nécessité du passage par direction collégiale pour se débarrasser du colonialisme. Aujourd’hui, nous avons une population éduquée, consciente de son algérianité et de ce qui se passe dans le reste du monde. Aussi, l’étape actuelle est celle de la recherche de la légitimité populaire dans l’établissement d’un nouveau consensus.

Quel l’objectif de cette démarche ?

Au sein de la population, il y a un besoin réel de comprendre pour se prendre en main. Donc l’objectif  maintenant, c’est d’être disponible, mobilisé et de répondre aux attentes et aux questions.

Vous avez prévu d’autres rencontres avec la société civile. S’agit-il d’un nouveau pôle de l’opposition qui se constitue autour de l’ancien chef du gouvernement ?

Je pense qu’il faut éviter de commencer par définir ou par donner un nom à la démarche en disant qu’il s’agit d’un pôle, d’une coordination, d’une alliance ou d’un front. Il faut progresser dans l’histoire, on est déjà passé du PPA au Front. Aujourd’hui, il faut passer à une autre étape : la reconnaissance de la diversité, des identités plurielles, de ce qu’est la Nation algérienne. C’est ce qui va la renforcer. On peut accepter toute structuration, à partir du moment où la base est d’accord avec la démarche.

Pourquoi ne pas rejoindre les initiatives de l’opposition ? Que leur reprochez-vous ?

Ce sont des alliances d’appareils et je ne fais partie d’aucun appareil. Je ne leur reproche rien et je trouve très bien ce qu’ils font. Toute initiative politique est bonne. Je dis qu’en parallèle à ce qu’ils font, il est bon qu’on se mette à la disposition de la population. Et que chacun fasse bien son boulot. Il y a des côtés positifs dans ces initiatives comme le fait de retrouver le RCD et le MSP et Djaballah ensemble. Il y a plus d’acceptation de l’autre ; aujourd’hui en Algérie, et il faut en profiter.  Et il ne faut pas opposer les démarches et les initiatives, il faut les voir comme une complémentarité.

Vous semblez quand même sceptique par rapport à ces initiatives ?

Si je n’y adhère pas, c’est parce que je crois qu’il faut être dans des démarches qui correspondent au temps. Il ne faut pas se laisser déborder par le temps ou être nostalgique d’une période. Je pense que la population a besoin de faire partie des initiatives et non pas qu’on vienne lui dire ce qu’elle doit faire.

Comment devrait se faire la transition en Algérie ?

Nous avons un système qui, depuis 1992, parle de  transition. Dernièrement, nous avons vu à travers des articles de presse qu’il fallait rappeler M. Zeroual pour deux années de transition. Mais on sait bien que ce discours n’est pas un discours en direction de la population ; mais à l’attention de l’étranger. La transition n’est pas un programme politique. Les Algériens vivent dans l’enfermement depuis très longtemps et on essaie de les berner avec un discours sur la peur, la stabilité et sur des faux programmes pour perpétuer cet enfermement. Les hommes politiques doivent comprendre leur population. Car il ne faut pas se faire d’illusions, des dirigeants ne savent pas ce qui se passe chez eux. On les a enfermés au Club des pins. Ce sont des gens qui ne sont plus en contact avec ce peuple. C’est pour cette raison que cette étape d’explication et d’échange est fondamentale. Que les uns et les autres se comprennent et partagent le même espace. Il faut tenir compte de notre histoire. Si on ne sait pas d’où on vient, on n’ira nulle part. Il faut tenir compte de ce qui fait notre force et notre faiblesse.

Mouloud Hamrouche a été invité aux consultations sur la Constitution. Va-t-il y prendre part ?

Il faut poser la question à M. Hamrouche.


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