Bouteflika veut-il faire de son Premier ministre son successeur naturel ?

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Rachid Grim est politologue. Il revient, dans cet entretien, sur les propositions de changement de la Constitution adressées, jeudi dernier, par la présidence aux partis politiques.

Les amendements proposés dans le projet de révision constitutionnelle touchent-ils à l’équilibre des pouvoirs ? 

Ils ne modifieront pas grand-chose. De ce qu’on en voit, c’est plutôt pour maintenir les choses en l’état.  On dit que l’Assemblée populaire nationale aura un peu plus de pouvoirs, mais en fait ce n’est pas grand-chose. On n’a vu aucune disposition qui permettrait à l’APN  de mettre en difficulté le gouvernement.

Pensez-vous que les prérogatives données au Premier ministre peuvent en faire une sorte de successeur naturel de Bouteflika ou de vice-président ? 

On sait que le Président est dans l’incapacité d’être en permanence au pouvoir et d’assumer sa tâche. Il va déléguer. C’est ce  que dit le texte. Mais en fin de compte, c’est le Président  qui décide, ce n’est même plus la Constitution. C’est  le président de la République qui dira dans quel domaine le Premier ministre  pourra intervenir. En fait, c’est encore pire qu’avant ! Maintenant, la Constitution va lui donner le droit de déléguer et  de donner des prérogatives comme lui l’entend, alors que les tâches du Premier ministre devraient être clairement cadrées. Ça m’étonnerait que les discussions avec les partis de l’opposition puissent lui faire changer d’avis. Quant à désigner un vice-président, même ça, il ne veut pas le faire. Car désigner un vice-président avec une succession automatique signifie qu’il a en tête d’abandonner le pouvoir à un moment ou un autre. Non ! Il veut toujours rester au pouvoir jusqu’à la fin du mandat.

Que pensez-vous de l’absence de dispositions sur l’officialisation de tamazight ? 

On attendait qu’il fasse ce geste. Peut-être qu’il attend que l’opposition fasse pression. Mais ça ne viendra pas de lui. Fondamentalement, Bouteflika est contre. Jamais il n’a été pour l’officialisation de tamazight. Il va jouer dessus, il va l’utiliser comme une carte. Il va demander à l’opposition de participer au débat et en échange, il officialisera la langue tamazight. L’Algérie a pris du retard. Le Maroc l’a instituée depuis longtemps.

Le pouvoir veut-il vraiment faire participer l’opposition et offrir ainsi plus de légitimité au changement ? 

Totalement. Mais je pense qu’il ne réussira pas. En tout cas, le gros de l’opposition ne veut pas y aller. Ceux qui ont boycotté en particulier. Peut-être qu’il pourra en amener quelques-uns. Ceux qui n’étaient pas dans la coordination des boycotteurs.

Mais n’est-ce pas une erreur de l’opposition de ne pas participer aux discussions, ce qui finit par laisser carte blanche au pouvoir…

C’est clair. C’est toute la question du boycott et de la politique de la chaise vide. Le boycott est-il une vraie position politique ou pas ? Moi je suis plus pour la position des boycotteurs car, c’est la seule chose qui a marché. Même s’ils ont annoncé moins de 50 % d’abstention, on sait que dans la réalité il y a eu beaucoup plus d’abstention. On sait que la présidentielle n’est pas légitime.

Le pouvoir est-il prêt à accepter les propositions de l’opposition concernant la nouvelle Constitution ? 

Non, du moins pour certaines propositions. Mais il peut brandir des carottes aux partis d’opposition pour faire ensuite passer ce qu’il veut. Il cède sur tamazight et eux cèdent sur autre chose.  Il peut  également lâcher du lest sur des  propositions concernant  le pseudo équilibre des pouvoirs, mais qui ne remettrait pas en cause le pouvoir du Président

Vers quel type de régime se dirige-t-on ? 

C’est un régime présidentiel, mais pas à l’américaine. C’est-à-dire sans contre-pouvoir. On propose quelques pouvoirs à l’APN, ce que le Président  appelle un contre-pouvoir, mais ce n’est pas un pouvoir qui puisse le remettre en cause, lui. À la limite, le Président  autoriserait l’APN à  remettre en cause le Premier ministre, mais pas lui. C’est un régime présidentiel de façade mais en fait, c’est plutôt un régime totalitaire.

Comment peut-on expliquer ce retour à la limitation des mandats ? 

Il (Bouteflika) sait qu’il n’ira pas plus loin. Il est conscient qu’il ne peut plus en faire d’autres.

Comment vont se comporter les partis qui ont soutenu la suppression de la limitation des mandats ? 

On n‘est pas à une contradiction près. D’ailleurs, c’est une chose que l’on peut reprocher au Président lui-même,  puisqu’il disait à l’époque, en 2008, que la limitation de mandats n’est pas démocratique.

Pour donner de la légitimité à la nouvelle Constitution, le Président optera-t-il  pour le vote du  Parlement ou le référendum ? 

Il est capable de faire les deux. S’agissant du Parlement réuni en Congrès, il est clair qu’il votera pour. Ensuite, le pouvoir organisera  un référendum comme il a organisé les élections présidentielles et ce sera un oui à 80 ou 90 %.


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