Comptes devises, investissements, commerce extérieur : entretien avec le directeur général de BNP Paribas El Djazaïr Pascal Fevre

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Pascal Fevre est le nouveau directeur général de BNP Paribas El Djazaïr. Dans cet entretien, il revient sur les résultats et les projets de la banque, la gestion des comptes devises, la lutte contre l’utilisation massive du cash dans le commerce…

Des clients trouvent que la qualité de service dans vos agences en Algérie n’est pas la même qu’en France. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Je leur réponds qu’ils ont raison, puisque par définition les clients ont toujours raison. Ce sont eux qui nous permettent de nous remettre en question et de progresser. Nous réalisons tous les ans des enquêtes de satisfactions qui nous permettent de rester au contact de nos clients.

J’en entends qu’ils sont satisfaits, mais j’en entends aussi qu’ils attendent davantage en termes de qualité de services. J’ai la même exigence de qualité de service qu’ailleurs. Il faut d’abord que nous soyons solides sur nos fondamentaux ; à savoir ouvrir un compte, retirer de l’argent, répondre rapidement à leurs demandes, etc… Sinon, ce n’est pas la peine d’innover !

Pourquoi la qualité de service n’est pas toujours au rendez-vous ?

Bien sûr, nous pouvons nous améliorer sur nos process, mais je suis pour plus de stabilité dans nos agences. La banque est très jeune et les gens évoluent très vite ; nous devons donc leur donner davantage de perspectives pour justifier des durées de poste plus longues.  Pour avoir vécu l’évolution des agences en France, il n’est pas toujours facile de concilier qualité d’accueil et traitement des espèces aux guichets. Manipuler les espèces nécessite beaucoup d’attention. En France, les guichets ont disparu et l’accueil s’en est trouvé considérablement amélioré. En Algérie, comme ailleurs, l’activité espèces va finir par diminuer. C’est juste une question de temps.

Le paiement électronique n’est pas développé chez BNP Paribas El Djazaïr. Pourquoi ?

Ce n’est pas faute de le vouloir ! Tous nos clients (ou presque) disposent de cartes interbancaires de retrait et de paiement (CIB) et très prochainement de la carte VISA. C’est un fait : nous jouons notre rôle dans la bancarisation des différents agents économiques du pays. Il y a donc des progrès, mais ils sont insuffisants. Pour aller plus vite, nous aurons sans doute besoin d’un coup de pouce règlementaire. On sortira de la marginalisation des flux monétiques, mais d’une façon progressive. Inévitablement, la filière espèces finira par diminuer et on fera évoluer notre concept d’agences. La marginalisation de la filière espèces s’accompagne d’un renouvellement de l’offre automate. Les automates permettent déjà de consulter leurs comptes et leurs opérations, d’effectuer des virements, de retirer de l’argent et de nombreuses autres transactions. D’autres services sont à venir avec des automates de nouvelle génération : e-paiement, dépôts de chèques… Nous venons de lancer un nouveau service, « Direct call », pour améliorer l’accessibilité des clients à la banque. C’est un centre de relations clients par téléphone destiné à l’ensemble des clients, avec des conseillers de clientèle à distance dédiés pour permettre au client d’accéder à tous types d’informations, six jours par semaine et sur des horaires élargis.

Votre banque ne propose pas encore de solutions pour le paiement en ligne. Est-ce que c’est la Banque d’Algérie qui bloque ?

Je n’ai certainement pas perçu une volonté de sa part de ralentir les choses. Nous avons un projet dans le paiement en ligne et nous voulons avancer pour le concrétiser. Pour y parvenir, il faut aussi avoir des commerçants qui accepteraient cette nouvelle donne. Nous sommes confiants. L’arrivée de la téléphonie mobile 3G va permettre à certains commerçants de toucher de nouveaux clients via le Net, sans qu’ils soient obligés d’investir dans de nouveaux magasins. Ce qui peut les encourager à promouvoir le paiement électronique.

Combien le détenteur d’un compte devises peut-il retirer ou déposer en billets de banque étrangers ? Doit-il justifier absolument la provenance des devises ?

Il faut déjà distinguer les différents cas (personnes physiques, personnes morales, résidents, non-résidents). Si on parle de retraits pour des « nationaux résidents », la réglementation en vigueur autorise le retrait en billets de banque étrangers en vue de leur exportation matérielle, dans une limite fixée à 7 500 euro ou équivalent en autre devise étrangère.

Pour ce qui est des versements, tout montant régulièrement importé et couvert par une déclaration en Douanes peut être versé au crédit d’un compte en devise.

Dans quels cas la banque peut-elle refuser le dépôt ou le retrait de devises pour un client particulier ?

Notre banque agit dans un cadre réglementaire défini. Toute opération qui sort de ce cadre doit être déclinée. Un client peut effectuer un dépôt en devises à partir du moment où les devises ont été régulièrement importées, avec la déclaration en Douanes. Autrement dit, nous devons refuser les dépôts de devises, dont l’origine n’est pas dûment justifiée.

Autre exemple, prenons le cas d’un client qui détient 50 000 euros sur son compte. Il peut retirer 7 500 euros en espèces par voyage, à l’appui de la production d’un titre de transport. Dès lors, la banque lui délivrera une attestation pour qu’il puisse sortir ses devises du territoire. Le principe, c’est que ce retrait de devises doit être exporté.

Un particulier peut-il transférer ses devises à l’étranger ?

Un particulier peut évidemment exécuter un transfert vers l’étranger par le débit d’un compte en devises. Les banques ont toutefois une délégation de la Banque d’Algérie et doivent veiller à la régularité des opérations traitées au regard de la réglementation en vigueur.

L’examen par la banque portera, donc, davantage sur la nature de la transaction. Ce sont donc les aspects de conformité ou de sécurité financière qui prévalent.  Un client peut tout à fait transférer des devises pour payer des soins, des études, une réservation d’hôtel pour les vacances…

La banque demande souvent aux clients de justifier la destination des retraits en espèces sachant que le cash domine les transactions commerciales…

D’une façon générale, les transactions en espèces font l’objet d’une vigilance particulière de la part des banques, des institutions financières et de la part d’autres professionnels comme les notaires par exemple. C’est un cadre règlementaire international qui s’impose à nous, en Algérie comme ailleurs. Évidemment, le fait que le cash domine les transactions commerciales en Algérie rend notre métier plus difficile, car les dispositions règlementaires qui s’imposent à nous ne sont ni optionnelles, ni adaptables. Il est de notre responsabilité de connaître suffisamment nos clients pour juger de la compatibilité d’une ou des transactions sur ces comptes.

S’agissant des paiements en devises, la réglementation des changes est claire : toute facturation de biens ou de services sur le territoire national en d’autres monnaies que le dinar algérien est strictement interdite. En outre, les retraits en devises ne sont autorisés que pour l’exportation matérielle dans un cadre réglementaire que nous avons cité précédemment.

Les banques publiques sont moins exigeantes que BNP Paribas sur la gestion des comptes devises. Pourquoi ?

Il y a en Algérie un dispositif réglementaire applicable à l’ensemble des acteurs bancaires et financiers. En ce qui nous concerne, nous appliquons les textes qui régissent notre métier, sans nécessairement regarder ce que font les autres. Nous faisons très attention à la conformité et au respect de la réglementation. Je reconnais que la situation actuelle peut parfois souffrir d’ambiguïté. Les comptes devises, c’est aussi un sujet commercial pour nous, et ce n’est pas parce que c’est sensible qu’il ne faut pas en faire.

Est-ce que vous avez beaucoup de clients du secteur public ?

En théorie, il n’y a aucun problème à travailler avec les entreprises publiques, mais dans la pratique, on ne travaille pas beaucoup avec le secteur public.

Les retraits et les dépôts ont-ils augmenté durant la période pré-élection présidentielle dans votre banque ?

Nous n’avons pas remarqué de changements dans les comportements de nos clients pendant cette période.

Le plafonnement des commissions des banques sur le commerce extérieur a-t-il affecté votre banque ?

Le plafonnement des commissions sur le commerce extérieur représente un manque à gagner. En 2013, nous avons constaté une baisse des commissions, mais pas du nombre de dossiers de Crédoc (crédit documentaire), donc des coûts qui s’y rapportent.

Pour être honnête, on s’attendait à ce que les conditions de rémunération de cette activité diminuent. Nous ne sommes pas un « pure player » du commerce international. Nous en faisons parce que nous devons répondre à tous les besoins de nos clients.

Notre activité d’intermédiation et d’accompagnement par le crédit ou le leasing est stratégique.  En retail, les équipes sont investies dans le développement du crédit immobilier, qui est le socle de la relation bancaire. Nous attendons le retour du crédit à la consommation, destiné à promouvoir la production nationale.

Le rétablissement de la remise documentaire permettra-t-il de compenser les pertes dues au plafonnement des commissions sur le commerce extérieur ?

La remise documentaire est moins rémunérée que le crédit documentaire – donc moins coûteuse pour le client -, mais le rôle de la banque n’est pas le même non plus et la sécurisation n’est pas la même. Son « retour en grâce » pour les importateurs est l’occasion de renforcer nos liens avec nos clients en étant plus proactifs dans la relation commerciale.  L’objectif est d’intensifier les flux confiés par nos clients, en leur proposant plus de réactivité et de qualité dans le traitement de leurs opérations. C’est donc clairement une opportunité.

Il est parfois reproché aux banques privées de ne s’intéresser qu’au commerce international au détriment de l’investissement. Est-ce que c’est le cas pour BNP Paribas El Djazaïr ?

Je pense que c’est un mauvais procès pour la communauté bancaire en général, et pour BNP Paribas El Djazaïr en particulier. Nous sommes un acteur reconnu du commerce international dans le monde, forts d’un réseau de plus de 80 trade center (dont un à Alger). Mais si nous faisons du commerce international, c’est parce que nos clients en ont besoin. Au même titre – et sans doute davantage – nous les accompagnons dans leurs besoins de financement. Les conditions sont optimales pour développer nos encours de crédits d’investissement et de leasing : de nombreuses opportunités, des projets industriels et logistiques de grande qualité, des surliquidités, l’accès aux taux bonifiés… Nos encours de crédits d’investissements ont d’ailleurs progressé de l’ordre de 30% en 2013.

Avant même la réduction des commissions sur le commerce international, cette activité ne représentait que 30% des revenus de la banque, contre près de 50% pour l’activité d’intermédiation. On ne peut pas dire que nous privilégions le commerce international au financement des investissements.

Quels étaient le chiffre d’affaires et le bénéfice net de la banque en 2013 ?

Quoiqu’affectée par les récentes dispositions concernant la rémunération des crédits documentaires, la filiale a affiché une très belle capacité de résistance, avec un produit net bancaire (chiffre d’affaires) de 12.8 milliards DA et un résultat net de 3.8 milliards de DA. Cette profitabilité n’est pas nouvelle et nous permet d’investir dans le développement de notre réseau, aujourd’hui composé de 70 agences et centres d’affaires. La poursuite de notre plan de déploiement nous permettra de couvrir près de 30 wilayas.

BNP Paribas El Djazaïr investit 6.5 milliards DA dans son nouveau siège dans le quartier d’affaires de Bab Ezzouar. Autant dire que nous avons confiance en l’avenir. Ceci nous permettra de regrouper l’ensemble de nos services administratifs (plus de 700 personnes sur près de 1 300 que compte la banque) au même endroit et de gagner en efficacité opérationnelle. Compte tenu de notre volonté permanente de mieux servir nos clients, ça devrait nous être utile…


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