Les Algériens se rappellent tous de la phrase du président Bouteflika en avril 2012 à Sétif. ‘’Tab djnana’’, nos parcours politiques ne fleurissent plus, avait-il décrété dans une allusion aux décideurs et responsables de sa génération. ‘’Dite’’ à l’aube du printemps, cette ‘’kherdja’’ signifiait sa retraite politique et, au-delà, celle des décideurs de sa génération.
Les observateurs et autres ‘’initiés’’ savent tous que, trois mois avant le scrutin d’avril 2014, le Président avait décidé de ne pas s’y représenter. Pour des raisons de santé, il avait jugé utile de ne pas ‘’quadrupler’’, se résignant à ‘’pousser’’ le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Mais, très vite et contre toute attente, ‘’fakhamatouhou’’ a changé de posture. Sous l’influence d’un entourage calculateur et manœuvrier à l’excès, il s’est résigné à prolonger le bail en dépit d’une santé paralysante au regard du cahier des charges de la fonction présidentielle.
Alors qu’ils s’attendaient à ce que les ‘’jardins’’ de l’Algérie politique bourgeonnent à nouveau, les Algériens s’étaient réveillés à l’aube du printemps 2014 sur fond de grossier mensonge. Un mensonge appelé la ‘’ouhda al rabia’’, celle du quatrième mandat synonyme d’installation irrémédiable dans le pouvoir héréditaire. Au lieu de décréter l’heure du passage de témoin comme il l’avait laissé entendre dans la ‘’kherdja’’ de Sétif, Bouteflika a rempilé pour un énième bail. Fragilisé par une santé déclinante, il a laissé le pays entre les mains de son entourage immédiat.
Les intentions de l’entourage présidentiel se sont dessinées dans le message à la nation, rendu public le 19 mars 2015. Un message de circonstances qui, cette année, a pris l’allure d’une attaque en règle contre de nombreux acteurs nationaux. Jamais une missive présidentielle n’a épousé un ton verbal aussi violent. S’agit-il d’un ‘’échauffement’’ annonciateur de scénarios et de manœuvres intrigants ?
Toutes les données suggèrent que les aventuriers ont tourné irrémédiablement la page de Abdelmalek Sellal en tant que successeur potentiel à Bouteflika. D’ores et déjà, ils réfléchissent même à le sacrifier en tant que ‘’chef’’ de l’Exécutif après le référendum sur la Constitution.
Le décor est déjà planté : l’opération contre Sellal a déjà commencé. Tout est mis en œuvre pour l’éloigner des lampions et tarir sa lucarne médiatique. De fait, le Premier ministre perd en visibilité au profit d’un ‘’Premier ministre’’ de fait, l’homme d’affaires Ali Haddad, et d’une petite poignée de ministres comme le détenteur du portefeuille de l’industrie ou son homologue du commerce. Étonnamment présents sur le terrain médiatique, ces ‘’acteurs’’ ont la particularité d’être comptabilisés au crédit du cercle influent.
La chape de plomb et la manœuvre du ‘’containement’’ ne se limite pas au seul Abdelmalek Sellal, mais ciblent aussi Ahmed Ouyahia, Benflis ou toutes autres personnes susceptibles, aux yeux du cercle, de prétendre succéder à ‘’fakhamatouhou’’.
L’absence sans fin du Président et son incapacité à rebondir sur la scène publique pèsent lourdement dans l’imaginaire du cercle. Faute de vendre de manière crédible l’image d’un président réellement opérationnel, la ‘’fratrie’’ commence à ressentir une pression chaque jour plus intenable. Du coup, la fratrie se lance dans une nouvelle manœuvre. Le Président visiblement et irrémédiablement hors course, la ‘’fratrie’’ semble changer de fusil d’épaule et part à la recherche d’une nouvelle alternative. Une donne qui lui permettrait de se maintenir dans les espaces de décision, se préserver et se prémunir contre le changement et son inévitable droit d’inventaire.
Du côté du cercle, la tentation de l’alternative est telle que certains de ses membres n’hésiteraient pas à vouloir ériger Saïd Bouteflika au poste pesant de vice-président après l’amendement de la Constitution. D’autres s’emploieraient à lui tailler un costume de chef du FLN en remplacement de Amar Saïdani. Dans le jeu de scénarios auquel se livre la ‘’fratrie’’, d’aucuns songeraient à faire de Ali Haddad un vice-président, un Premier ministre. Audace pour audace, il y en a même qui ne verraient pas d’inconvénient à ce qu’il devienne un successeur potentiel de Bouteflika.
Les idées passées au crible au laboratoire de la ‘’fratrie’’ sont nombreuses et variées. L’une d’elles consisterait à mettre sur pied une nouvelle entité partisane dirigée par Saïd Bouteflika ou Ali Haddad. Selon les calculs du laboratoire, cette démarche aurait l’avantage de se prémunir contre l’irruption d’une crise au sein d’un FLN pas facile à ‘’apprivoiser’’.
Autre argument qui plaiderait en faveur de la création d’un parti au service de la ‘’fratrie’’ : la faiblesse des appareils dits ‘’partis de l’alliance présidentielle’’. Démunis d’une base populaire et frappés de discrédit, ces appareils ne sont pas outillés pour accompagner l’alternative à laquelle travaillerait la ‘’fratrie’’. L’idée d’une nouvelle entité partisane ou politique n’a pas trouvé d’écho favorable dans le paysage national. Au contraire, elle a essuyé une fin de non-recevoir de la part d’acteurs opposés à la prise en otage de l’État.
La ‘’fratrie’’ a décidé de faire adopter l’amendement de la Constitution par voie parlementaire et non pas via un référendum. Cette dernière formule est périlleuse et non garante de succès aux yeux du laboratoire du cercle. La ‘’fratrie’’ est soucieuse d’une Loi fondamentale à sa mesure et à la mesure de ses appréhensions de l’avenir, son propre avenir et non celui de la Nation. La ‘’fratrie’’ est désireuse d’une Constitution synonyme d’assurance-vie qui garantirait son sort après le départ de Bouteflika. La mouture du projet d’amendement a déjà été adressée aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Rien n’a filtré publiquement sur la teneur du projet en raison de divergences au sommet au sujet de certaines ‘’dispositions constitutionnelles’’ que la ‘’fratrie’’ souhaiterait faire passer.
L’observateur de la scène politique nationale aura également constaté une autre donne, sur le front judiciaire celle-là. Tout se passe comme si la ‘’fratrie’’ cherche à juger de manière expéditive certains dossiers comme le dossier Sonatrach, du groupe Khalifa, ou encore de l’autoroute Est-Ouest. Visiblement, tout porte à croire que la ‘’fratrie’’ chercherait à se débarrasser rapidement de dossiers pour le moins compromettants afin de faire place nette à l’alternative.
Ce jeu de scénarios est loin d’être facile. La ‘’fratrie’’ en a conscience et mesure à quel point il est compliqué de faire cheminer tous les plans concoctés. À l’épreuve du temps, elle a perdu nombre de ses soutiens internes, y compris parmi les plus laudateurs. Du coup, elle s’est rabattue vers l’étranger en quête de soutiens au crédit du projet d’’’héritage politique’’. Bien des arguments sont mis en œuvre pour séduire les soutiens étrangers. Exemple au cœur de l’actualité nationale, les garanties données à des entreprises françaises et américaines pour l’exploitation du gaz de schiste. Comment expliquer l’entêtement du gouvernement à mettre le cap sur l’opération ‘’gaz de schiste’’ en dépit du mouvement de protestation populaire aux quatre coins du pays.
Le ton imprimé au message du Président à la Nation à l’occasion de la ‘’Fête de la Victoire’’ n’a pas encore levé le voile sur les tenants et les aboutissants. À l’évidence, le message s’est voulu une réaction ferme à l’encontre d’un fait lourd et important. Contrairement à son intitulé, le message de Bouteflika n’était pas destiné à la Nation. Le message, ou plutôt certains de ses passages, étaient destinés à une seule personne. Une personne dont la posture est source d’irritation pour l’entourage du Président. Cette personne – le ton du message en témoigne – passe pour s’opposer à la ‘’fratrie’’ et en contenir les manœuvres outrancières pour privatiser l’État.
La situation actuelle du pays n’incline pas à la quiétude et à la sérénité. Dans le décor actuel, tout se passe comme si l’Algérie serait exposée à une nouvelle aventure nocive initiée et dirigée par une ‘’fratrie’’ aux dangers autrement plus périlleux que ceux de la décennie noire. Une ‘’fratrie’’ qui a assigné le Président en résidence surveillée à la résidence d’État, s’est emparée de l’ensemble de ses prérogatives décisionnelles et a tissé sa toile d’araignée sur le paysage national. Cette ‘’fratrie’’ n’est plus disposée à se dessaisir des leviers du pouvoir en dépit de la pression qui pèse sur elle. Au contraire, elle serait prompte à jouer la carte du pourrissement et multiplier le ‘’khlat’’ si elle ressentait le danger et elle se rendrait à l’évidence que l’étau se referme sur elle.