Vidéo. Amazigh Kateb, leader de Gnawa Diffusion, nous dit tout

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Après quelques années d’absence sur les scènes algériennes, Gnawa Diffusion revient en force avec plusieurs concerts à Alger (20 mars), Oran  (27 mars) et Sidi Bel Abbes (29 et 30 mars) la ville d’enfance d’Amazigh Kateb, le leader du groupe. TSA a rencontré la star de la chanson.

Entretien

Vous entamez une tournée en Algérie. Comment s’est monté ce projet ? Etait-ce prévu depuis longtemps ?

Cela fait deux mois que l’on prépare ce projet. Il fait suite à une annulation qui a eu lieu l’été dernier. On devait jouer à l’Aurassi pendant le Ramadan mais c’était dans un petit lieu qui pouvait accueillir seulement 500 personnes, ça restreint. L’organisateur a hésité un peu, étant donné le monde qui devait assister au concert, mais finalement on a préféré tout annuler. Après, on a eu une proposition de Wellcom, qui s’est mis à travailler sur cette tournée, et qui nous a fait une offre intéressante. D’ailleurs, je les remercie au passage puisqu’ils nous permettent de tourner un clip. Et juste pour préciser que lors de cette tournée, c’est nous qui produisons les deux concerts de Sidi Bel-Abbes (29 et 30 mars).

Qu’allez-vous offrir à votre public lors de vos prochains concerts? Des grands classiques ou des nouveautés ?

Il va y avoir un peu de tout, des anciennes chansons, des morceaux du nouvel album. On fera un petit mélange de toutes les époques parce qu’il y a des gens qui nous écoutent qui ont le même âge que nous, alors que d’autres sont beaucoup plus jeunes.

Il y aura aussi un inédit, le morceau que j’ai mis dans le film l’Oranais. On va offrir à notre public une belle version live de la chanson. Le public participera, je tiens à leur dire que le concert sera filmé, ceux qui sont au premier rang on vous verra.  Donc pas la peine de mentir à vos parents, ne dites pas je suis chez la famille alors que vous êtes au concert de Gnawa. On vous verra ! (rires).

Vous donnerez justement un concert fin mars à Sidi Bel Abbes, dans le théâtre que dirigeait votre père. C’est la première fois que vous vous produisez là-bas.  Que représente cette ville pour vous ?

Sidi Bel Abbes, c’est un vivier de la vraie chanson Rai. Le premier groupe de Rai en Algérie vient de cette ville, à savoir « Les Frères Zergui ». C’est une ville où plusieurs communautés se sont côtoyées, il y a une espèce de brassage culturel très rock et très blues. C’est ce que j’appelle le Mississipi algérien, c’est une ville où il y a énormément de productions artistiques et beaucoup de talents.

C’est une manière de retourner à l’enfance, je suis né à Alger mais j’ai grandi à Sidi Bel Abbes. J’ai passé presque 6 ans de ma vie pendant ma petite enfance dans cette ville. C’est un retour à des sensations et des parfums qui sont restés là-bas car après mon retour en Algérie, après 10 ans d’absence, j’avais « seulement » accès à Alger. Quand j’ai eu l’occasion de retourner à Sidi Bel Abbes, j’ai rencontré les anciens de la troupe de mon père qui étaient les premiers à me demander pourquoi je ne suis pas venu jouer à Sidi Bel Abbes dans le théâtre que je connais dans les moindres recoins.

Quelle est l’influence de votre père, Kateb Yacine, dans votre vie d’artiste ? 

Il y a une forme de fil conducteur qui s’appelle la radicalité ou une manière de lire les évènements, il y a une éducation. Mon père n’est pas quelqu’un qui a lâché l’éducation de son fils, il ne m’a pas laissé qu’entre les mains de l’école. Il a pris le relais là où j’avais des lacunes. Il m’a même redressé sur le plan idéologique. Il m’a par exemple appris que les cours d’histoire qu’on nous apprenait à l’école n’étaient que des versions qui arrangeaient le pouvoir en place, ce n’est pas une histoire objective.

J’ai eu aussi le sens critique de mon père. Avoir le sens de remettre les choses en question, par exemple dans l’apprentissage de la liberté. Mon père ne m’a jamais transmis que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, il m’a appris que la liberté des uns se construit avec celle des autres. Il n’y a pas de barrière avec les autres, c’est dans la confrontation des libertés qu’on construit une liberté collective. Depuis l’attentat de Charlie Hebdo en France, on n’est pas dans la laïcité, on est dans le laïcisme, c’est du fanatisme laïque.

Au nom de la laïcité, vous n’avez pas le droit de vous exprimer, alors que c’est tout à fait le contraire, dans la laïcité, vous avez tous le droit de vous exprimer librement. Aujourd’hui, c’est devenu le fer de lance de la non-existence des communautés religieuses, chacun a le droit d’exister, d’être dans sa propre liberté. Voilà le genre d’héritage que j’ai reçu de mon père. Des petites clefs dans la lecture des évènements qu’on vit tous les jours.

Quelles sont les prochaines scènes de Gnawa Diffusion après l’Algérie ? 

Il y aura une petite pause juste après la tournée en Algérie, puis quelques concerts en France sont prévus en avril. Pour le mois de mai, j’irai en Tunisie pour une collaboration avec un « Mâalam Stambali », trois concerts sont prévus en Tunisie.

Parlez-nous un peu plus de cette collaboration

Les Stambali sont les Gnaouas de la Tunisie. En Tunisie, il y a une tradition de Gnaoui qui est très différente de celle en Algérie ou au Maroc. C’est un autre son, les rythmes ne sont pas interprétés de la même manière, c’est une autre école du « Tagnawit ». C’est une création à partir du répertoire Stambali et de quelques morceaux à moi, un mélange entre deux cultures.

Je suis très content de cette collaboration parce qu’elle élargit mon spectre. En plus, je suis très séduit par la nouvelle Tunisie. Je suis allé jouer en septembre et j’ai trouvé que la jeunesse était très clairvoyante, les jeunes sont bien cultivés. La vraie différence entre l’Algérie et la Tunisie, c’est que les femmes tunisiennes sont omniprésentes et c’est important. La femme est une charnière sociale, elle est la moitié d’une société.

Y a-t-il une place pour la femme dans vos prochains projets ? 

Actuellement, je prépare un album solo dans lequel je suis sur des chansons engagées, carcérales, un registre qui est très différent. Mais il y a des chansons d’amour, des textes qui parlent d’amour et de révolution. De toute façon, tout est lié, l’intelligence vient du cœur. Et la femme est la source de cette intelligence.

Qu’en est-il de votre carrière solo, pourquoi l’avoir mise de côté pour revenir à Gnawa Diffusion ?

Je ne l’ai pas mise de côté, on ne peut pas être au four et au moulin. On a repris Gnawa Diffusion à la suite de mon projet solo dans lequel je voulais changer de couleurs, de styles. J’ai invité les musiciens du groupe pour faire une tournée « légère » et à force de jouer ensemble, on a créé le retour de Gnawa Diffusion. Après cinq ans, c’est l’histoire solo qui a mené à un retour de Gnawa Diffusion.

Que s’est-il passé, ici en Algérie, avec la distribution de votre dernier album sorti en 2012 ? Quel est le problème ?

On a cherché un distributeur mais on n’a pas trouvé un deal intéressant, donc, l’album n’a pas été distribué en Algérie. Mais ceux qui nous écoutent n’ont pas eu de problèmes à se procurer l’album, on a publié nos chansons sur le site Youtube. Quand les gens achètent votre album, c’est dans le but de vous soutenir. Et personnellement, je ne vois pas ceux qui téléchargent nos albums sur internet comme des voleurs.

On vous voit rarement sur scène, pourquoi ? 

Il y a moins de concerts, c’est vrai. Mais durant cette période, j’ai eu des enfants, je dois passer du temps avec eux. L’enfance est une période très courte, l’innocence, les premiers pas, je dois profiter de tout ça. Quand nos enfants arrivent au monde, on est leur seul repère, on doit les voir grandir et les éduquer, parce que c’est bien beau de vouloir faire de la musique et de vouloir parler aux gens si tu n’es pas capable de t’occuper de tes enfants.

Il faut s’occuper de ses enfants, c’est un temps que je leur consacre et ça me nourrit aussi. La substance qui sert à faire de la musique est la même qui sert à aimer une femme, les enfants, la famille. Quand ton cœur est pris par tes enfants, il est tout simplement occupé.

Vous êtes le narrateur dans le documentaire qui retrace la vie de l’Emir Abdelkader, on dit que vous avez rencontré des problèmes avec la langue arabe.

On m’a remis un scénario en arabe classique, je ne me sentais pas à l’aise dans l’interprétation du texte, voilà pourquoi j’ai proposé le même texte en arabe dialectal, avec le soin d’être compris dans tout le monde arabe. C’est l’histoire de l’Emir Abdelkader, le fondateur de l’état algérien. C’est un documentaire 100% algérien, voilà pourquoi j’ai insisté pour que l’arabe soit un arabe « Darja ». Il faut qu’on impose notre langue, qu’on exprime la réalité de ce qu’on vit. « Tu ne diras jamais assez bien que tu es Algérien qu’en algérien »

Préférez-vous transmettre votre message en arabe ou en français ?

Les deux. J’aime les deux langues, je n’ai aucun problème. Je suis libre de m’exprimer, il faut être libre dans ses choix.

Vous serez à coté de Rachida Brakni dans le film « Maintenant ils peuvent venir » de Salem Brahimi. C’est une première pour vous  en tant qu’acteur, comment en êtes-vous arrivé là ?

Salem Brahimi m’a proposé de jouer le premier rôle de son film. Ca me tenait à cœur d’entamer une  nouvelle expérience artistique. On a passé deux mois en tournage, c’était une expérience intense puisqu’on travaillait sans arrêt. Cela m’a permis de rencontrer des gens formidables avec qui j’ai appris énormément de choses.  J’ai appris comment se passe le tournage d’un film, à quoi sert un script, comment on fait un dépouillement de scénario. Le peu de choses techniques que j’ai appris durant le tournage du film me servent dans le prochain clip de Gnawa Diffusion qu’on est en train de préparer.


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