Nouvelle révision du Code de la famille : « Des effets d’annonce »

Kheddar

Présidente d’une association des victimes du terrorisme, Cherifa Kheddar est également porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes (Ovif). Dans cet entretien, elle revient sur l’annonce par Bouteflika d’une nouvelle révision du Code de la famille et la loi sur les violences contre les femmes adoptée par l’APN.

Que pensez-vous de l’annonce faite par le président Bouteflika concernant la nouvelle révision du Code de la famille ?

Je serais la première à applaudir si les discriminations du Code de la famille notamment celles qui concerne le mariage, le divorce, l’autorité parentale et l’héritage seront levées. Mais le fait est qu’il s’agit, à chaque fois, d’effets d’annonce. Car au final, ce ne sont que de petites modifications apportées pour les besoins des rapports que l’Etat algérien doit présenter aux différentes institutions onusiennes vu ses engagements internationaux.

Peut-on donc parler d’une avancée en ce qui concerne la loi amendant et complétant le Code pénal et relatif aux violences faites aux femmes ?

Pour la première fois, on criminalise la violence conjugale dans la législation algérienne et on prend en compte le harcèlement dans les lieux publics. Donc dans un sens, il s’agit d’une avancée mais avec deux points négatifs. Le premier est la consécration du pardon dans ce projet alors qu’on sait que les victimes sont vulnérables. Si elles subissent un harcèlement pour pardonner à leur agresseur, elles finissent par le faire. Et le plus grand problème posé par ce « pardon » est le fait que l’action publique doit s’étendre. Le deuxième point est le fait que ces modifications soient passées dans le cadre du code pénal et non dans le cadre du code de procédures pénales.

Pourquoi est-ce un problème ?

Si le code de procédures pénales ne sera pas également revu, il sera très difficile d’appliquer ces dispositions. À qui la victime pourrait-elle s’adresser en cas d’agression dans la rue ? Comment pourrait-elle déposer plainte contre un agresseur dans la rue ? Il faut savoir qu’il faut disposer notamment de la date et lieu de naissance, des noms et prénoms des parents pour déposer plainte contre n’importe qui. Donc, le code de procédures pénales doit absolument donner des éclaircissements sur toute la procédure à mener aussi bien par la victime, par le Procureur que par le Magistrat.

Comment interprétez-vous le débat suscité par ce projet de la loi à l’APN ?

D’abord, je crois que ces députés pensent que leurs filles, leurs sœurs et leurs mères n’auront jamais besoin de travailler par exemple ou d’aller chez le médecin qui peut les harceler sexuellement. Ensuite, je pense que ces députés n’ont pas lu et étudié les engagements internationaux de l’Algérie. Et cela révèle leur ignorance. Ce n’est pas normal qu’un député remette en cause les engagements internationaux de l’Algérie.

Certains députés estiment que ce projet risque de disloquer la famille algérienne…

Les Etats s’engagent à protéger la personne. On ne peut pas tuer une personne pour protéger la famille. Si un des membres de la famille n’est pas protégé par la loi, cela veut dire que l’Etat a failli. Et ce ne sont pas les coups et blessures qui vont souder la famille. Ils ne peuvent qu’ajouter plus de problèmes et de vulnérabilité au maillon le plus faible dans la chaîne de la famille. Les conventions internationales et les Etats protègent le maillon le plus faible et pas celui qui jouit de tous les droits.

Est-ce que la révision du Code de la famille en 2005 a fait avancer le combat pour les droits de la femme ?

La révision du code de la famille a permis à la femme d’obtenir l’autorité parentale quand elle a la garde de l’enfant. Pour le reste, il n’y a pas eu de grandes avancées. Une disposition donne à la femme le droit de garder le domicile familial mais les juges n’ont jamais rendus des verdicts dans ce sens. Généralement, ils accordent une somme précise pour location d’un appartement et ils savent bien qu’il n’y a pas d’appartement de 3 000 DA en Algérie. En fait, quand une femme se présente au niveau d’une association et que celle-ci avec les avocats ne peut pas faire grand-chose pour elle, on se rend compte que les avancées sont finalement minimes !

Est-ce que les femmes victimes de violences trouvent toujours des difficultés à déposer plaintes au niveau des commissariats ?

Dans les commissariats, on essaie toujours de dissuader la victime de porter plainte contre son mari. Nous avons reçu des femmes qui n’ont pu déposer plainte que quand elles étaient accompagnées par des hommes. Et à ce jour, on les laisse attendre et on les traite comme des coupables et non comme des victimes. Une magistrate avait même lancé à une victime (de violences, ndlr) : « Et puis qu’est-ce qu’il y a quand une femme est battue. Vous voulez qu’elle ne le soit pas ? ».

Doit-on parler de dégradation ou d’amélioration de la situation des droits de la femme en Algérie ?

Sur le plan juridique, il n’y a pas du tout eu de dégradation. Mais au sein de la société, il y a eu une forte régression due notamment aux années de terrorisme, à l’islamisme et à la précarité dans l’emploi. Et c’est là que les lois doivent intervenir. L’Etat doit protéger l’individu de l’agressivité de la société.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici