Chute des prix du pétrole. « Il n’y a pas eu d’anticipation dans la loi de finances 2015 »

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Le prix du pétrole est descendu mardi sous la barre des 60 dollars. Économiste spécialiste en énergie et vice-président du Conseil national économique et social (Cnes), Mustapha Mekideche revient, dans cet entretien, sur les moyens dont dispose l’Algérie pour faire face à une crise et les mesures à prendre par le gouvernement.

Quels sont les moyens dont dispose l’Algérie pour faire face à la chute des cours du pétrole ?

Ce sont des moyens et instruments qui n’existaient pas lors de la baisse des prix durable de 1986. D’abord, il s’agit du Fonds de régulation des recettes (FRR) (l’épargne publique, NDLR), dans lequel on peut puiser pour réduire le déficit budgétaire. Ensuite, il y a les réserves de changes. C’est-à-dire notre carte d’acheteur à l’extérieur. Ces moyens nous permettront de tenir trois ou quatre ans. Mais cela dépendra de notre rythme de dépenses. Le problème qui se posera est qu’on n’arrivera pas à reconstituer le niveau du FRR, ni celui des réserves de changes. Alors, il est clair qu’il n’y a que deux options : soit nous allons revoir notre train de vie et nous allons chercher à avoir d’autres moteurs de croissance, soit nous irons vers l’endettement. J’avais attiré l’attention avant cette baisse des prix, notamment dans votre journal, en disant qu’il y avait un risque de pression sur la balance des paiements. Il n’y a pas eu d’anticipation dans la loi de finances pour 2015. J’avais donc appelé, dans vos colonnes, à préparer, d’ores et déjà, une loi des finances complémentaire pour 2015 qui doit être plus équilibrée.

Justement le gouvernement ne prévoit aucun plan d’urgence…

C’est difficile de changer une loi des finances votée au Parlement. C’est difficile aussi de changer de discours du jour au lendemain. Visiblement, il y a une volonté de ne pas affoler l’opinion publique. Mais à un moment donné, il faudra tenir un langage de vérité et dire qu’on doit revoir notre budget. Et nous avons même des marges de manœuvres internes pour le faire. Lorsque vous examinez la loi du règlement budgétaire de 2012, vous vous apercevez que nous avons les yeux plus gros que le ventre. Nous avons eu des dotations qui ont été accordées à des secteurs et qui n’ont même pas été consommées. Si on tient compte des travaux qui ont été réalisés dans la loi sur le règlement budgétaire ou par la Cour des comptes par exemple, vous vous rendrez compte qu’il y a beaucoup d’économies à faire.

Quelles sont ces marges de manœuvre ?

En attendant la loi des finances complémentaire, il faut savoir qu’il y a toujours des solutions. Nous avons des mécanismes qui sont connus par le ministère des Finances. Exemple : des autorisations de paiement (pour certains projets) peuvent être retardées. C’est-à-dire qu’il peut y avoir le report d’un certain nombre de crédits (soit d’investissements, soit de fonctionnement). En juin prochain, nous irons vers une loi des finances complémentaire qui pourrait alors intégrer ces reports de dotation. Et avec la prochaine réunion de l’Opep, on verra plus clair. Le problème est qu’on n’a pas tenu compte des mises en garde faites par les experts nationaux et moi-même, et également celles de la banque d’Algérie qui était déjà en difficulté (la balance des paiements était déjà sous tension) avant cette chute des prix. Il faut également revoir le plan quinquennal en profondeur. C’est-à-dire qu’il faudra faire avancer un certain nombre de projets qui peuvent contribuer à créer de la richesse hors-hydrocarbures et reporter d’autres.

Le président du Cnes plaide pour le maintien des subventions. Êtes-vous d’accord ?

Je pense qu’il y a un vrai débat national à ouvrir sur les prérequis de la cohésion et de l’équité sociales versus gaspillages sociaux et captages de rentes publiques. Il va falloir de toute manière procéder à la réévaluation des dispositifs affichés et indirects de subvention pour les inscrire réellement dans des politiques de justice sociale en les vidant progressivement des dérives qu’ils ont pu entraîner à un moment donné. Il va falloir ainsi cibler les groupes sociaux qui en ont réellement besoin de sorte qu’elles ne bénéficient pas à des groupes sociaux qui n’en ont pas besoin ou en captent les rentes qu’elles procurent. Si on ne le fait pas aujourd’hui, ce sont des institutions internationales qui vont nous obliger à revoir ces subventions quand on ira vers l’endettement sans qu’on ait le temps de les étaler dans le temps pour que le coût social soit absorbable.

Est-ce raisonnable que Sonatrach maintienne ses investissements dans ce contexte ?

Il faut séparer deux choses : il y a des investissements dans l’amont et d’autres dans l’aval. Pour ce qui est des premiers, il s’agit de développer notre production, nos réserves. Et je suis pour qu’on continue, car on est tenu non seulement d’alimenter notre marché national en pétrole et gaz pour les industries, les ménages et la génération électrique, mais de dégager aussi des excédents à l’export pour soutenir et financer précisément l’effort de diversification économique. À l’inverse, pour les seconds, il va falloir faire des études extrêmement précises. Ce sont des investissements dans la pétrochimie qui demandent des budgets énormes. Il faudra également revoir à la baisse le nombre de raffineries qu’on compte construire, car elles ne seront pas toutes nécessaires dans ce contexte. Il ne s’agit surtout pas, comme on a pu le faire dans le passé, de construire des « éléphants blancs » sans profitabilité industrielle ou transférer aux partenaires ou aux marchés internationaux une rente gazière qui s’amenuise et dont on peut faire un meilleur usage. Cela étant dit, il y a une fausse idée qui est en train de se répandre disant qu’il faut arrêter de développer la production des hydrocarbures.

À partir de quel prix du baril l’investissement des compagnies pétrolières est-il rentable ?

Cela dépend de quel type de gisement et des coûts d’exploitation des différentes ressources. Je pense que l’investissement pourrait être rentable à 80 et même à 70 dollars. Et souvenez-vous de l’appel d’offres lancé pour attribuer des permis d’exploitation. Il n’a eu que quatre réponses. Des anticipations ont été faites (par les groupes internationaux). C’est-à-dire qu’avant que le prix du baril ne descende en enfer, nous étions dans une situation qui devait nous pousser à revoir l’attractivité. Aujourd’hui, il est évident que les grands groupes internationaux vont attendre.


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