Baisse des prix des hydrocarbures : « Aucun pays exportateur ne se prépare à se libérer de la rente pétrolière »

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Pierre Terzian est le Directeur de la revue Pétrostratégies. Il est l’un des meilleurs spécialistes actuels des questions d’énergie, et des enjeux géopolitiques de l’énergie.

Les cours du pétrole sont au plus bas depuis décembre 2012. Pensez-vous que cela soit conjoncturel ?

Je pense que l’évolution de l’offre et de la demande et surtout la perception que le marché se fait de l’évolution attendue de ces fondamentaux, auraient pu expliquer une certaine baisse des prix mais elles ne justifient en rien son ampleur: -30 dollars par baril en quatre mois, soit une chute de 26 %. C’est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus et que nous avons publiée dans Pétrostratégies il y a une semaine et depuis, le marché nous a donné raison, puisque la chute s’est arrêtée et on assiste à un léger regain.

Comme c’est arrivé souvent par le passé, cette baisse est-elle liée au contexte international (guerre contre l’EI, tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite) ?

L’annonce par l’Arabie Saoudite de deux baisses successives de ses différentiels de prix, pour octobre puis novembre, a accéléré la chute. Mais on n’a pas encore la preuve que les Saoudiens souhaitaient une telle baisse des prix, ni qu’ils sont prêts à déclencher une guerre des prix pour reconquérir des parts de marché. L’heure de vérité quant aux intentions saoudiennes sonnera fin octobre, quand l’Aramco (compagnie pétrolière publique saoudienne) devra publier ses différentiels de prix pour décembre. Si elle les réduit à nouveau, alors aucun doute ne sera permis quant aux intentions commerciales agressives des Saoudiens. Si au contraire elle maintient ses différentiels ou les augmente, alors cela voudra dire que les Saoudiens souhaitent un maintien des prix à leur niveau actuel, voire un léger rebond.

L’Algérie est très fragile compte tenu de son extrême dépendance aux recettes pétrolières. Si les cours continuent à baisser quelles peuvent être les conséquences pour l’Algérie?

Tous les pays exportateurs subiront un manque à gagner si les prix baissent ou demeurent à des niveaux réduits. Mais beaucoup d’entre eux – et c’est le cas de l’Algérie – ont pu constituer d’importantes réserves de devises ces dernières années, grâce aux prix élevés du brut, et peuvent donc affronter une période de revenus inférieurs aux niveaux auxquels ils étaient habitués. Cependant, si la baisse des revenus se prolonge, il va falloir ajuster en conséquence les dépenses de l’Etat ou accepter de recourir à nouveau aux emprunts. En tous cas, le recul des prix doit servir d’avertissement : la rente pétrolière et gazière n’est pas éternelle.

L’exploitation du gaz de schiste, peut-elle donner à l’Algérie d’autres perspectives et sur quelle durée ?

L’Algérie semble dotée de ressources considérables en hydrocarbures non conventionnels. Bien entendu, on en connaîtra l’ampleur exacte qu’après des travaux de forage, qui éclaireront sur les caractéristiques des roches, leur perméabilité, etc. Mais il faudra plusieurs années encore pour que les premières productions voient le jour, et des années encore plus nombreuses pour que ces productions représentent une part substantielle des exportations. Il est clair que la durée de vie des réserves d’hydrocarbures sera prolongée. Si les revenus de ces exportations sont mobilisés pour le développement du pays, on ne pourra que s’en féliciter. Si au contraire ils enracinent l’Algérie davantage encore dans la situation d’un pays rentier, alors ce sera regrettable.

On parle beaucoup de transition énergétique, est-ce vraiment une préoccupation pour les pays producteurs de pétrole?

Je n’ai encore vu aucun pays exportateur d’hydrocarbures s’engager vraiment dans la voie d’une préparation à la transition énergétique. Des projets phares sont lancés par ci par là, ou des pilotes, mais cela ne dépasse pas encore le stade de la démonstration ou du début d’un apprentissage. Aucun effort sérieux n’est fait non plus en matière d’efficacité énergétique ou de maîtrise de la consommation. En réalité, aucun pays exportateur ne se prépare réellement à se libérer de la rente pétrolière ou gazière. Regardez ce qui se passe au Venezuela: c’est le pays qui, grâce à ses réserves colossales de pétrole extra lourd, est le plus riche du monde en ressources pétrolières, mais il est endetté jusqu’au cou, il a hypothéqué une part importante de ses exportations à venir et on se demande chaque mois s’il pourra honorer le service de sa dette ou rembourser des obligations qui viennent à échéance.


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