Entretien. Nabil Mellah, producteur de médicaments, raconte les déboires d’un investisseur en Algérie

Melah

Nabil Mellah est le directeur général des laboratoires pharmaceutiques Mérinal, l’un des plus grands producteurs privés de médicaments en Algérie. Ancien président de l’Union nationale des opérateurs pharmaceutiques (Unop), il raconte les déboires d’un investisseur et dénonce le mépris de l’administration vis-à-vis des chefs d’entreprises algériens.

La facture des importations de médicaments a augmenté de 28% à 1,6 milliard de dollars durant les huit mois de 2014. Comment expliquez-vous cette hausse?

Les importations de médicaments ont augmenté pour trois raisons. Un : beaucoup de classes thérapeutiques ne sont pas fabriquées en Algérie. Deux : depuis 2010, la liste des produits interdits à l’importation n’a pas été actualisée. Trois : il y a certains secteurs, comme les biotechnologies, où on ne peut pas investir, faute de réglementation. Cependant, dans un ministère comme dans une entreprise, un responsable doit savoir quels sont les produits concernés par cette augmentation et une bonne gestion du secteur exige l’analyse des chiffres pour donner des orientations épidémiologiques. Pour l’instant, nous n’avons jamais vu ces analyses.

Pourquoi la consommation de médicaments a-t-elle augmenté ?

Premièrement : la population algérienne augmente avec près d’un million de naissances par an. Deuxièmement : l’espérance de vie est en train de s’allonger. Troisièmement : la transition épidémiologique qui conduit à la prédominance des maladies non transmissibles (diabète, cancer, etc.) sur celles transmissibles. Des pathologies qui n’étaient pas prises en charge le sont aujourd’hui dont la maladie d’Alzheimer. Évidemment, il est fort probable que la production locale ait augmenté également.

La hausse des importations s’est-elle traduite par une meilleure disponibilité des médicaments ?

Au niveau des hôpitaux, je ne peux pas me prononcer, mais je sais que cela fait très longtemps que les demandes d’Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) n’ont pas été signées par le ministère. Les demandes d’ATU sont faites par un professeur ou un chef de service pour une maladie orpheline ou pour une pathologie pour laquelle il n’y a pas un médicament enregistré. On fait une Autorisation temporaire d’utilisation pour ne pas attendre les délais d’enregistrement qui sont très longs afin d’avoir le produit immédiatement. Et quand il n’y a pas d’ATU, il n’y a pas de traitements. Mais il est clair qu’il y a beaucoup moins de ruptures et beaucoup plus de disponibilité par rapport à la situation qui prédominait il y a deux ou trois ans.

La production nationale devait couvrir 70% des besoins du marché. Qu’en est-il réellement ?

Effectivement ! Le ministre de la Santé avait annoncé cela pour 2014 ou pour 2015 au maximum. À l’époque, j’avais dit qu’il était impossible d’atteindre cet objectif en pratique. Le temps m’a donné raison. Les problèmes qu’on soulève, depuis cinq ans, sont toujours posés. Pour pouvoir atteindre les 70%, il faut encourager les investisseurs.

À Mérinal par exemple, nous avons des projets d’investissements de 40 millions d’euros dans des classes thérapeutiques non fabriquées en Algérie. Ces projets sont en suspens depuis trois ans. Nous avons les financements et nous avons obtenu une réservation d’une assiette foncière à Bouinane depuis deux ans. Nous avons envoyé quatre courriers au ministère de l’Habitat, sans obtenir de réponse. Nous avons également saisi la commission de recours du ministère de l’Industrie. Celle-ci a un délai de 30 jours pour donner une réponse. Ce délai s’est écoulé, mais nous n’avons toujours pas de réponse.

Que pensez-vous du nouveau Code des investissements ?

Honnêtement, cela ne m’intéresse plus. Je ne veux plus lire des textes et retrouver le contraire sur le terrain. Les autorités peuvent faire le meilleur Code des investissements dans le monde. Il ne servira à rien si elles continuent de traiter avec le mépris les investisseurs comme elles le font actuellement. De quoi a besoin un investisseur ? De financements ? Une entreprise avec des bilans sérieux peut les obtenir. En Algérie, l’investisseur souffre du manque du foncier, du retard dans l’aménagement des zones industrielles. À Oued Smar (Alger), par exemple, des égouts à ciel ouvert et des inondations nous empêchent d’accéder à nos usines.

L’investisseur souffre de bureaucratie. Le premier facteur de coût d’une entreprise, c’est le temps. En Algérie, le temps n’a pas d’intérêt. Dès qu’on rentre dans une administration, on est stressé car on sait qu’on ne va pas régler le problème et qu’on devra repasser. Je retire 250 casiers judiciaires par an ! Pourquoi. ? Pour chaque avis d’appel d’offres, je dois déposer un casier et sa durée de validité est de trois mois. On nous dit qu’ils encouragent l’exportation. Mérinal exporte vers huit pays africains. Début août, j’avais déposé une demande pour un document indispensable pour exporter un produit. Je ne l’ai toujours pas récupéré. Le problème, c’est l’imprévisibilité. Par exemple, la décision du ministère de la Défense nationale de rappeler les jeunes qui n’ont pas fait le service militaire. A-t-on besoin d’un Code des investissements pour régler ces problèmes ?

La loi sur le service national aura-t-elle des conséquences sur votre entreprise ?

Avant, le recrutement des jeunes non dégagés du service national était autorisé. Du jour au lendemain, le ministère de la Défense a commencé à rappeler tout le monde. Je vais perdre plus d’une quarantaine d’employés. Évidemment, l’intérêt suprême du pays passe avant tout ! Sauf qu’il faut nous donner du temps ou, à la limite, il faut prioriser. Vous imaginez un établissement qui perd 17 salariés en un mois. Cinq travailleurs sont déjà partis dont deux étaient au laboratoire de contrôle de qualité. Le problème est qu’il n’y a pas de formation en matière d’industrie pharmaceutique. Nous avons formé ces jeunes et ils sont opérationnels au bout de deux ans. Après, on nous prive d’eux. J’ai quinze employés au laboratoire de contrôle qui risquent d’être rappelés sous les drapeaux.

Vous dénoncez le mépris des autorités vis-à-vis de l’investisseur algérien. Avez-vous des exemples ?

Nous avons saisi le ministère de l’Industrie depuis 2012. Pas de réponse. Nous avons écrit au Premier ministre en avril 2013 et à ce jour, aucune réponse. Même chose avec le ministère de l’Habitat. Au bout d’un moment, je n’en pouvais plus. J’ai vu que le Premier ministre Sellal avait une page Facebook. Je lui ai envoyé un courrier sur Facebook ! Nous appelons des ministères pour parler avec le chef de cabinet ou le secrétaire général. Ils ne nous prennent pas au téléphone et ils ne rappellent pas. Une fois, j’ai tenté d’appeler un cadre au niveau d’un ministère. Pas de réponse. J’ai rappelé 30 minutes plus tard. Et je me suis fait passé pour M. ‘’X’’ de l’Ambassade de France, on m’a passé immédiatement la personne. Et bien moi, Nabil, l’Algérien, les cheveux crépus, les yeux marron, le passeport vert, je me suis senti humilié. Oui, c’est du mépris ! Il y a une dichotomie entre le discours et la réalité. On veut amener les Algériens basés à l’étranger à investir en Algérie. Mais il faut commencer par encourager les locaux. Ceux qui, pendant que tout le monde fuyait le pays, ont lancé des investissements. On a lancé le nôtre en 1997, Oued Smar était, à l’époque, une zone dangereuse à cause du terrorisme. La police nous conseillait de ne pas y rester tard. On se demande maintenant s’ils veulent qu’on investisse ou si on dérange certains intérêts.

De quels intérêts s’agit-il ?

Vous avez un projet « éminemment intéressant », selon les propos du ministre de la Santé, et vous êtes un opérateur sérieux jusqu’à preuve du contraire. On ne vous répond pas, on vous bloque et on ne vous laisse pas avancer. Alors première possibilité : le projet ne les intéresse pas. Ce que je ne peux pas croire. Deuxième possibilité : on dérange des intérêts de ceux à qui on a pris des parts de marché en Algérie. Troisième possibilité : nos courriers ne sont pas parvenus à destination même si je peux vous garantir que je fais un suivi rigoureux.

En fait, on se pose des questions quand on constate que nous n’arrivons pas à avoir de réponse écrite de plusieurs ministères alors que des cadres de certaines multinationales viennent en Algérie et rencontrent trois ministres en un après-midi. En 2004, lors d’une réunion avec M. Temmar (ex-ministre de l’Industrie, NDLR), j’avais proposé, par provocation, d’introduire l’ambassade de l’Algérie en Algérie. Les étrangers écrivent à leurs ambassades qui leur prennent des rendez-vous avec des ministères. Moi, quand j’écris, ils ne répondent pas. Dans les pays développés, quand vous écrivez à une administration et qu’elle ne vous réponde pas, vous pouvez considérer que vous avez eu l’accord au bout de 30 jours. J’ai proposé à M. Ouyahia de le faire.  Depuis 2004, j’ai dû faire partie de tous les comités et des think thank de l’Algérie. Il m’est arrivé de rester jusqu’à minuit et de faire deux ou trois réunions par semaine au ministère de l’Industrie. Résultat : nos recommandations ont fini à la poubelle. Ils font comme ils veulent. Quand j’étais président de l’Unop, j’ai vécu des choses. On m’a raccroché au nez, on m’a dit que je n’ai pas à leur donner des leçons et on m’a bloqué pendant sept mois. Le SG du ministère m’avait dit, à l’époque et devant témoin, que j’étais bloqué à cause de mes interventions dans les médias.


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