Impôts et informel : les critiques de Slim Othmani, patron de NCA Rouiba

Slim Othman

Comment percevez-vous la proposition du gouvernement, qui est d’augmenter l’IBS pour les producteurs et le diminuer pour les importateurs ?

De mon point de vue, il s’agit d’une opération ballon-test. Il ne s’agit pas d’un document final. L’information a fuité de façon volontaire pour tester la réaction du patronat face à une telle proposition. En fait, nous assistons  à une perte de contrôle de l’assiette fiscale. Le nombre de contribuables qui paient leurs impôts est en train d’augmenter mais moins vite que le nombre de nouveaux contribuables qui basculent dans l’informel. En d’autres termes, l’assiette fiscale croît moins vite que la sphère informelle. Au lieu de se focaliser sur la réforme fiscale et d’essayer de comprendre pourquoi il y a de plus en plus de personnes qui vont vers l’informel, l’État décide de se concentrer sur ceux qui paient. Disons cela plus simplement : puisque l’Etat n’arrive pas à contrôler, il compense sa perte de revenus fiscaux en augmentant les impôts de ceux qui paient. D’ailleurs, si vous faites une enquête sur les redressements fiscaux, vous constaterez qu’ils sont strictement et systématiquement orientés vers les mêmes entreprises. Ce sont toujours les mêmes qui subissent des contrôles fiscaux et qui paient des amendes fiscales.

Les entreprises continuent de souffrir de la pression fiscale…

Nous avons une souffrance double : celle de la pression fiscale et celle de l’informel. En fait, nous sommes pris entre l’enclume et le marteau. Résultat : l’entreprise n’arrive plus à générer des profits acceptables qui lui permettraient de financer sa recherche, son développement et de soutenir sa croissance. C’est pour cette raison que beaucoup d’entreprises vont vers l’informel en ne déclarant ni leurs employés et ni leurs factures. C’est pour cela que nous disons qu’une réforme fiscale s’impose. On ne veut pas de « mesurettes » mais des mesures pensées, réfléchies et prises en concertation avec les acteurs économiques. Nous sommes pour que l’État ait les moyens de sa politique mais nous ne voulons pas d’un système fiscal qui crée des problèmes socio-économiques. Actuellement, notre système a de graves conséquences sur la stabilité socio-économique du pays. Si 50 à 60% de l’économie algérienne est informelle, c’est qu’il y a un problème au niveau du système fiscal algérien.

L’État prévoit en même temps de faire baisser l’IBS pour les importateurs…

Cela ne m’intéresse absolument pas de focaliser le débat sur les importateurs. Je pense que ce discours nous détourne de l’essentiel : la réforme fiscale. Le fait qu’un État s’entête à vouloir préserver la Taxe sur l’activité professionnelle (TAP) dans sa forme actuelle prouve qu’il n’y a pas une réelle prise de conscience de la nécessité de réformer, que nous ne savons pas faire ou que nous n’avons pas les Hommes pour le faire. Nous avons perdu de la substance et du savoir-faire. Jamais, je ne fixerai mon attention sur le fait que l’IBS pourrait être revu à la baisse pour les importateurs et les services. À  la limite, je trouve que c’est choquant que l’IBS soit à 23% pour les services alors qu’il devrait être à 15%. Et, cela pour la simple raison qu’il faut encourager les activités de services. Ce sont elles qui vont porter le nouveau tissu industriel. Malheureusement, les sociétés de services paient cher l’IBS mais pas seulement. Elles ne bénéficient d’aucune facilité au niveau du système financier. Elles n’ont pas accès aux instruments de financement. Donc, ce qui leur est dit indirectement, c’est d’aller frauder.

Donc, il ne s’agit pas, selon vous, d’un nouvel avantage accordé aux importateurs ?

Je ne vois absolument pas les choses de cette manière. Je constate simplement qu’un État veut se faciliter la vie et qu’il ne veut pas d’un système fiscal qui soit dynamique, performant et qui porterait les aspirations de l’Algérie. Ce sont les entreprises qui paient leurs impôts qui craignent l’administration fiscale, qui sont facilement intimidés et subissent le plus, l’arbitraire de cette administration. Notons, qu’il y a une réelle perte de compétences au sein de cette même administration. Cela a été relevé par divers acteurs de la société algérienne. Nous le constatons lors des divers contrôles fiscaux. Les agents sont très subjectifs et très agressifs. Ils ne viennent pas du tout en accompagnateurs de l’entreprise mais viennent pour lui faire mal et lui prendre son argent.

Vous avez eu de nombreux redressements fiscaux ?

J’ai eu beaucoup et de très importants redressements fiscaux qui nous ont laissés perplexes. Au bout d’un certain nombre d’années, ils viennent, calculent et prennent quatre années de bénéfices. Le dernier, date de trois ans. Ce que nous observons clairement, c’est que les bons contribuables paient pour les mauvais et on paie excessivement cher. Par ailleurs, la commission de recours est composée essentiellement d’agents de l’administration fiscale, alors qu’elle doit être composée de personnes indépendantes et neutres dont des représentants du patronat, par exemple.

 

Quelles sont les conséquences de l’application de l’augmentation de l’IBS pour les producteurs sur l’industrie nationale ?

Elle est très simple, il va y avoir de l’inflation. Les opérateurs économiques vont vouloir résorber les pertes de compétitivité qui va leur être infligée.

 


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