Le bloc-notes de Ghani Gedoui

Les mutants

Vous permettez que je rigole un coup au lieu de boire un coup ? Vous êtes contre les deux. Ici en Algérie, on ne rigole pas et on ne boit pas. C’est ce que vous pensez ? Bien. J’ai votre identité politique. Vous êtes ce qu’on appelle un pseudo-démocrate aigri. Oui, monsieur, vous êtes amer. Vous passez votre temps à critiquer ce pays que vous ne méritez pas, à insulter son Président, son Premier ministre et ses ministres. Vous passez votre temps à dégueuler sur tout ce qui marche. Vous êtes autant bas, ici, qu’agenouillé là-bas. Bas ici parce que vous mordez la main qui vous donne à manger, hein, à genoux là-bas par servilité et peur. Vous n’êtes pas chez vous et on vous le fait sentir si fort que vous marchez voûté, la tête dans vos épaules et  « le nif » au raz des pâquerettes. Pas beau mon frère, non, je ne veux pas d’un frère de votre genre, plutôt mon ex-frère, ex comme on dirait d’une ex-femme qui ne compte plus à nos yeux. Vous savez combien la chair et les sentiments vont de pair. On ne désire plus, on n’aime plus. Je sais que vous ne comprenez pas ce langage. Il est trop sentimental  pour vous. Vivre là-bas vous a abruti. Déjà que vous n’étiez qu’un sac de mots creux et d’insanités.  Vivre ici dans l’insulte et « l’aigritude » vous a rendu rance.

Vous avez lu Rancé ? C’est un bel exercice de style, le plus beau, selon les littéraires. Quel est l’auteur de Rancé ? Je vous laisse chercher. Indice : il est d’un pays qui vous fait saliver. La Chine? Vous savez bien que non. La Chine ne fait gerber que les trabendistes. C’est un pays européen qui commence par un F et se termine par un E. Toujours intrigué ? Allez chercher. Ça vous permettra au moins de faire travailler vos méninges. Vous n’en avez pas ? Merci pour cet aveu, le plus doux à mes oreilles. Encore une recommandation, pour la route. N’ayez pas honte de votre couleur de peau si vous n’êtes pas blond et blanc comme eux. Je sais que je parle à un malentendant. J’aime parler à ceux qui ne m’entendent pas. Ça me repose. Ça me distrait des faquins et des chicaneurs. Allez, à plus ! Comme disent les jeunes. Les jeunes comme nous. Nous ? Oui, nous qui avons voté pour… l’Algérie.

Amara Benyounes. La modernité dérangeante

Amara Benyounes est autant jalousé qu’admiré. Par les pseudo-démocrates que son soutien assumé et affiché à Bouteflika dérange. À l’heure où les requins naviguent entre deux eaux, voilà un dauphin qui nage en eau transparente, laissant la trouble à ceux dont l’âme est troublée par les compromissions, la haine des autres qui est la forme la plus avérée de la haine de soi. Poursuivant son chemin, droit dans ses bottes, les bottes de l’Algérie de l’ouverture et de la joie de vivre, Amara, comme Sellal, est un homme qui tord le cou aux clichés occidentaux sur les Algériens enturbannés et barbus en kamis. Déjà dans les années rouges, il a épaté Élisabeth Schemla, alors journaliste au Nouvel Observateur qui le voyait comme un message d’espoir démocratique au milieu d’un monde rétrograde.

Le plus étonnant, c’est que les coups les plus bas ne viennent pas des ennemis du projet de société auquel aspirent Amara et tous les hommes libres, non, ils viennent de ceux qui auraient dû le soutenir et qui se disent démocrates. Trouvons-leur un nom : les retro-démocrates. Et encore, ce nom est trop beau pour eux. Eux? Ils sont bêtes à se tuer. La seule chose qu’ils font bien, c’est de déchirer ceux qui leur ressemblent et d’oublier l’essentiel. Mais bon, on ne va pas faire d’un coucou un aigle. Coucou…

Une haine bien recuite

La salle en a frémi quand Boudjedra, les narines frémissantes, a sonné la charge contre Khadra. La bouche humide et gourmande, il fit son miel de son meilleur ennemi. J’étais dans la salle. Voulez-vous que je vous le dise ? Je n’ai rien compris à l’origine de cette inimitié. Pêle-mêle, Boudjedra citera son aversion pour le genre policier dans lequel il confine Khadra, « son hypocrisie de faux dévot », de mari cavaleur. Bref, un homme infréquentable, un écrivain usurpateur. À  jeter d’urgence aux chiens.

En fait, ce que Boudjedra refuse d’admettre, c’est que Khadra a plus de succès que lui. Un succès insolent qu’il prend directement à la figure et au foie. Et il lui en veut. Minable, Khadra n’aurait suscité, somme toute, que le mépris ou l’indifférence de Boudjedra. Mais romancier reconnu, il provoque chez l’auteur de « l’escargot entêté », un entêtement d’escargot. Loin de nous, l’idée d’assimiler Khadra a un escargot même s’il bave…

Brave Boudjedra. S’il pouvait se taire de temps en temps, il serait le meilleur homme du monde. Allez, le meilleur écrivain. Pourvu qu’il se taise…


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