Entretien avec la politologue Louisa Ait Hamadouche : « il y a une volonté de Bouteflika de diaboliser Benflis »

vote

Dans cet entretien, la politologue Louisa Aït Hamadouche fait le bilan de la campagne électorale qui s’est terminée hier, analyse le discours des candidats et l’intervention de Bouteflika devant le ministre espagnol des Affaires étrangères.

Quel bilan faites-vous de la campagne électorale ?

C’est une campagne électorale inédite comparativement aux précédentes présidentielles. Elle a bénéficié d’une grande couverture médiatique due à l’émergence des nouvelles chaînes de télévision privées. Ces dernières ont donné la parole aux candidats et aux opposants qui étaient interdits de citer dans l’audiovisuel et qui ont eu également accès à l’espace public.

Cette campagne est inédite également par le fait de l’installation, dans le discours politique, du référentiel sécuritaire. La stabilité et le chaos ont été l’argument phare de tous les candidats et même de l’opposition. Cette utilisation dominante de ce référentiel montre que le discours politique peine à trouver des arguments de mobilisation. On observe également que tous les candidats utilisent les mêmes arguments et les mêmes idées. Ils reviennent tous, par exemple, de façon prononcée sur la Guerre de libération et le fait religieux.

Enfin, cette élection est inédite non seulement de par l’absence du Président, mais aussi par le fait qu’il n’apparaisse presque plus que lors des visites des responsables étrangers. Cela pose la question de la nature des rapports des gouvernants actuels avec l’étranger qui est, à la moindre occasion, dans le discours politique président comme une source de menace.

Comment interprétez-vous les tensions constatées entre Bouteflika et Benflis ?

Je pense qu’on peut faire deux lectures. La première est que nous sommes face à une vraie rivalité entre deux candidats potentiellement présidentiables. Le premier est évidemment donné favori pour toutes les raisons qu’on connait et le deuxième semble faire la campagne la plus efficace et la plus mobilisatrice. Deuxième lecture : nous sommes face à une vraie-fausse rivalité dans laquelle les candidats jouent un rôle afin de donner l’illusion qu’il s’agit d’une élection plurielle avec un véritable enjeu. Dans ce cas, l’élection est totalement fermée parce que ce sont deux candidats du système.

Le président Bouteflika a dénoncé les appels à la violence durant la campagne devant le ministre espagnol des Affaires étrangères. Comment l’expliquez-vous ?

Je crois qu’il y a manifestement une volonté, de la part du candidat Bouteflika, de tout son staff et de certains candidats à l’élection présidentielle, de diaboliser le candidat Benflis. Et cela à travers l’idée selon laquelle le candidat Benflis serait prêt à mener le pays vers le chaos et appeler à la désobéissance civile et à l’ingérence étrangère. Sur le plan de la forme, il est pour le moins paradoxal qu’un dirigeant politique, dont le discours est fondé sur la non-ingérence étrangère dans les affaires intérieures, aborde une question éminemment intérieure avec un dirigeant étranger. On peut se demander quel sens les dirigeants algériens donnent à la notion de l’ingérence et si des prises de position des responsables étrangers, favorables au régime actuel, sont considérées comme de la coopération, et celles qui sont défavorables, sont considérées comme de l’ingérence. Cela voudrait dire qu’il existe une vision partielle, sélective et subjective par rapport à cette notion d’ingérence.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici