La chronique de Benchicou. L’irresponsable fetwa présidentielle

Mohamed Benchikhou

« La presse comme l’opposition font partie des éléments incontournables de la démocratie, disait-il. Elles constituent les antidotes aux tentatives de dérive ou d’excès dans l’exercice du pouvoir… » Ainsi avait-il commencé son règne : par jouer à mentir au monde et à lui-même, piquant dans la postérité de quelques hommes illustres des qualités qu’il n’a pas : « Je ne le répéterai jamais assez, je suis un fervent admirateur du président Jefferson qui aurait préféré un pays où la presse est libre à un pays qui aurait eu un bon gouvernement… »

Seize ans plus tard, l’homme termine son règne en n’étant que lui-même. Le président qui bombait le torse devant l’envoyé spécial de l’Express, n’est plus. Aujourd’hui, il ne parle plus de bouche de Jefferson, mais de la sienne, seulement de la sienne. La presse et l’opposition, éléments incontournables de la démocratie ? Qu’est-ce qu’on peut dire comme fadaises quand on veut séduire les opinions ! L’opposition, ce ramassis de « pseudo hommes politiques », la presse, cette coterie « qui n’a aucun souci de son éthique professionnelle », antidotes aux tentatives de dérive ou d’excès dans l’exercice du pouvoir ? J’ai vraiment dit cela, moi ?

Chérif Belkacem qui fut le plus remarquable connaisseur d’Abdelaziz Bouteflika, avait prévenu : « Quand il se sent menacé, Bouteflika arrête de faire de la représentation, il sort ses griffes, il fait feu de tout bois pour se défendre ».

De fait, Bouteflika ne joue plus. Au diable, Jefferson ! Finie l’époque du racolage et de la séduction. L’homme est fragilisé par le catastrophique bilan de seize ans de pouvoir irresponsable. Les jours qui se profilent ne promettent rien de bon. Les affaires de corruption remontent à la surface. Les capitales étrangères prennent leurs distances. L’affaire Sonatrach, entre les mains des magistrats italiens, menace de générer des révélations compromettantes pour les plus hautes sphères du pouvoir. Le pétrole est vendu au quart de son ancien prix ; les caisses se vident… Avec quel argent acheter la paix sociale ? L’économie, ou ce qui tient lieu d’économie, livrée aux mafias, n’est plus administrée selon l’urgence de la situation mais selon les appétits des milliardaires oligarques. Il ne reste plus que le bâton. Ces menaces présidentielles sont des mises en gardes : finie la critique ! Dût-elle venir de Louisa Hanoune ! Il semble impérieux pour le clan Bouteflika d’édifier une coalition du silence et d’empêcher les symbioses entre les catégories populaires appelées à subir l’austérité et l’opposition politique. Il faut faire régner l’omerta.

Non, il ne joue plus à rien, l’heure n’est pas à simuler, à faire semblant, à séduire ou à cabotiner. Aujourd’hui, il faut sauver le régime. Il ne voit plus l’opposition et la presse comme « éléments incontournables de la démocratie », seulement comme deux associations d’intriguants qui s’évertuent, matin et soir, à effrayer et à démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et l’avenir ». Ces charges, savamment concoctées, excommunient les adversaires du régime, selon les principes d’une fetwa religieuse. Même style, mêmes arguments. Les opposants et les journalistes, sont des apostats politiques, en quelque sorte, des félons dont le président dit « redouter leur nocivité ». Le chef de l’État porte de lourdes accusations : pour arriver au pouvoir, l’opposition n’aurait pas répugné à pratiquer la politique de la « terre brûlée », à mettre « notre État en ruines » et même à « marcher sur les cadavres des enfants de notre peuple ». Ils ne font donc plus partie de la communauté nationale, tout comme l’apostat ne fait plus partie de la communauté de croyants.

Après l’excommunication, l’obligation de punition. Bouteflika justifie ses prochaines mesures répressives contre ses adversaires, par « le devoir constitutionnel, légal, légitime et moral qui ne peut souffrir ni report ni dérobade ». Autrement dit, il va sévir par respect de la Constitution, comme le chef religieux ordonne l’exécution d’une fetwa par obéissance aux prescriptions coraniques. Troisième volet de la fetwa : l’appel aux croyants pour sa mise en pratique. Bouteflika sollicite les « vaillants fils de cette Nation » à « se mobiliser et s’unir, pour renforcer le front intérieur, afin de parer aux risques qui guettent, à l’heure actuelle, notre région qui grouille de troubles et de menaces ». Mesure-t-il le surcroît d’instabilité qu’il promet au pays, en procédant de la sorte ? La fetwa de Bouteflika porte les germes de troubles civils. Ne nous faisons cependant pas d’illusions : Bouteflika mettra ses menaces à exécution. L’ opposition a tort de les prendre sur un ton badin. Ce chef de l’État qui parle de sévir pour « défendre l’État » contre ceux qui « s’évertuent, matin et soir, à effrayer et démoraliser le peuple », ce président qui se cache derrière le devoir constitutionnel et la légitimité pour justifier sa prochaine campagne punitive, cet homme est un homme prêt à tout pour sauver son fauteuil.

Seule une concertation urgente entre ce qui reste de forces patriotiques dans le pays pourrait éviter le pire.


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