La chronique de Hafid Derradji. Soutiens es-allégeance, opposants et ‘’majorité silencieuse’’

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Dans leur exercice de catégorisation de la composition du paysage algérien, nombre d’observateurs et d’analystes en réduisent les acteurs aux soutiens nourris à la sauce de l’allégeance et aux opposants. Chaque camp compte ses partis politiques, ses associations, ses personnalités et des médias qui en portent les discours et en défendent les ‘’choix’’.

Les soutiens es-allégeance supportent le Président avec des propos aux accents de slogans. Les opposants tirent à boulets rouge sur lui au point d’en faire le principal facteur des blocages qui stérilisent la vie politique. Chez les adeptes du ‘’non’’ systématique au Président, la charge au vitriol est telle que le ‘’Raïs’’ se décline comme un homme désireux en permanence de susciter la division et l’inimitié au sein du paysage politique.

Entre soutiens à la mode de l’allégeance et opposants, une troisième catégorie, celle que nous avons l’habitude de qualifier de ‘’majorité silencieuse’’. Une majorité qui observe, impuissante, une scène politique réduite à sa plus simple expression et se trouve incapable de la ‘’booster’. Elle n’y arrive pas faute d’utiliser des armes similaires à celles des soutiens et des opposants. Et de peur aussi de cultiver le pourrissement et de précipiter le retour des années sanglantes, obsession s’il en est de la majorité des Algériens.

Dans les pays démocratiques, les soutiens dénués de zèle se retrouvent dans un élan de soutien pour porter des idées et des projets en cohérence avec ses programmes et ses orientations. Mais en Algérie, les soutiens endossent le costume de l’allégeance pour constituer un courant sous forme de rassemblement d’opportunistes. Un large conclave qui bat le rappel de partis politiques, d’associations et d’acteurs d’horizons divers pour faire allégeance au Président et son entourage. Ils le font sans conviction ni sincérité dans l’engagement, mais uniquement aux fins de préservation de leurs intérêts et de collecte  d’un surcroit de rentes. Marque de fabrique de l’opportuniste pur jus, ceux-là sont près  à user de tous les subterfuges, toutes les ‘’audaces’’, pour marchander des intérêts/rentes sur l’autel du soutien frappé du sceau du discrédit.

Les plus allergiques au camp des soutiens nourris à la sauce de l’allégeance ne lésinent pas sur les épithètes pour les dénoncer et dénoncer leurs pratiques. Ils les qualifient de ‘’chayatines’’ qui caressent dans le sens du poil, quitte à mentir. Ce sont des supporters à la mode du ‘’bendir’’ qui, mélangeant entre folklore et politique, ‘’soutiennent’’ faussement  le ‘’patron’’ pour reporter sine die un changement fatal à leurs intérêts.

Dans les pays démocratiques, l’opposition s’oppose aux choix et options portés par les gouvernants et dénonce les erreurs et les entorses dans l’exercice politique et la gestion des affaires de la cité. Elle le fait sans ménagement et, parfois, sans férocité mais sans blesser les hommes, sans prononcer les verdicts de ‘’traître’’ et sans mettre en péril la stabilité de la nation. En Algérie, certains des opposants sont loin d’endosser l’uniforme de l’opposition telle qu’elle se définit et telle qu’elle se pratique. Ces opposants réduisent leur imaginaire d’opposants à une opposition de la vengeance, une débauche permanente de critiques à l’encontre d’un Président qui a tout fait pour durcir l’opposition. Son mode de ‘’gouvernance’’ en témoigne : exclusion, dribles de tous les instants, esprit de vengeance, règlements de comptes. La présidence label ‘’Bouteflika’’ a jeté tout un pan de l’opposition dans l’imaginaire de l’extrémisme et du non ‘’sans merci’’.

L’attitude de nombre de  ces opposants n’est pas dénuée de sincérité et d’objectivité. Elle pense, en effet, et non sans raison, que la prolongation du bail de Bouteflika à El Mouradia – qui plus est entouré de sa garde rapprochée – ne fait qu’envenimer la situation. Et à force d’accréditer chez les Algériens le sentiment d’un arbitraire sans fin,  cela ne fait que pousser l’opposition à mettre le cap sur davantage de nihilisme.

La relation entre soutiens et opposants à Bouteflika a subi les effets collatéraux du 4e mandat de Bouteflika. La divergence entre les deux camps a évolué vers un conflit verbal très violent. Supporters et adversaires du Président s’escriment à présent sous les yeux de la ‘’majorité silencieuse’’. Une majorité à laquelle, force est de constater, on ne pourrait pas coller, pour le moment, le qualificatif de  force agissante et influente. Parce qu’elle a refusé, faute de confiance dans les deux camps, de s’impliquer dans l’activité associative et partisane, et parce qu’elle a refusé de s’engouffrer dans la stérile ‘’moubadara’’ initiée par El Mouradia et dans les initiatives de l’opposition, cette ‘’majorité silencieuse’’ s’est retrouvée, elle aussi, tétanisée. À son tour, elle est frappée d’immobilisme, poussée en cela par sa peur du changement et par sa peur de se voir accusée de trahison et de mise en danger de la stabilité du pays.

Le paysage politique algérien est une singularité, un caléidoscope unique en son genre. Qu’il s’agisse des soutiens nourris à la sauce de l’allégeance ou des opposants, la carte politique fait sienne une culture du soutien ou de l’opposition aux antipodes du modèle d’opposition à l’œuvre sous les cieux les plus démocratiques. L’action de ces deux camps ne part d’aucun fondement doctrinal, mais se met en branle à partir de la culture des règlements de comptes. Ici, chaque camp cherche à se venger de l’autre au lieu de concevoir l’action politique autrement. Cette ‘’très algérienne’’ façon de faire la politique est de nature à imprimer à la culture des deux camps davantage d’extrémisme. Le risque est également grand de voir la ‘’majorité silencieuse’’ sortir, à son tour, du silence et devenir porteuse d’un esprit extrémiste autrement plus radical. Un glissement dont le premier effet collatéral sera la mise à mal de l’équilibre du paysage politique.

derradjih@gmail.com


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