La chronique de Benchicou. Mourir à Reggane, sous De Gaulle, sous Bouteflika…

Mohamed Benchikhou

1. Ici, dit-il, les diaboliques machines des Français se sont remises à l’ouvrage. La grandeur de la France avant tout !

Hier, elle reposait sur son indépendance militaire, aujourd’hui sur son indépendance énergétique.

Hier, la puissance de la France, explique le général de Gaulle, c’est « une force de frappe susceptible de se déployer à tout moment et n’importe où. Il va de soi qu’à la base de cette force sera un armement atomique ».

Nous sommes en 1959, et le général venait de définir la doctrine française de dissuasion nucléaire. Sans perdre de temps, le 13 février 1960 a lieu le premier essai français d’une bombe A à Reggane, dans le Sahara algérien. En territoire indigène !

Aujourd’hui encore, les témoins assurent que cela ressemblait au jugement dernier. « Une énorme explosion puis des nuages noirs dans le ciel et la terre tremblait sous nos pieds. » La population n’était avertie de rien. On leur avait juste dit : « Fermez les yeux et ne regardez pas le ciel ! Dites-le à vos familles et à vos voisins. »

Beaucoup fermeront les yeux pour toujours ; d’autres, des milliers d’autres, ne les ouvriront plus jamais sur le monde : une bonne partie de la population de Reggane a perdu la vue dès le lendemain. Abderrahman Saadaoui en fait partie. Il devint aveugle quelques jours après l’essai nucléaire. « Nous étions illettrés et ne comprenions pas ce qui se passait. Mais j’étais hanté par une peur diffuse que tout cela allait avoir des conséquences durant des années… » Et c’est ce qui s’est passé. Il y a eu à Reggane des maladies qu’on n’avait jamais vues. »

Ici, la bombe des Français tue toujours, 60 années après l’indépendance. Mais, ici, c’est quoi ? Une oasis maudite, loin de tout, loin des regards, loin des états-majors, une contrée éloignée de 1 800 kilomètres de la capitale, autant dire un morceau de bout du monde, ceux que l’on ne visite jamais, ou alors à la sauvette, le temps d’une photo, d’un discours…

Alors, mourir à Reggane, cela n’émeut personne, c’est la mort de quelques non-être, des âmes que personne n’aura comptabilisées. Du reste, à l’époque, dans les années 1960, les autorités françaises prétendaient que les essais nucléaires français se situaient dans des régions inhabitées.  Quand on réalisera qu’au moins 20 000 personnes vivaient dans la zone des retombées radioactives, il était trop tard : Reggane venait de recevoir, l’équivalent de trois bombes d’Hiroshima !

 

2. En 2014, les engins français seraient de retour dans la région. Plus d’un demi-siècle après les essais nucléaires menés par l’ancienne puissance coloniale dans le Sahara algérien, la population locale accuse la compagnie pétrolière Total, l’État français, et d’autres multinationales, de préparer , avec la bénédiction de l’État algérien, des forages de gaz de schiste, à proximité des villes et des oasis sahariens, menaçant les précieuses ressources en eau.

Faut-il ajouter des drames du gaz de schiste aux drames des essais nucléaires ? Ici, les gens continuent de boire une eau dont des spécialistes assurent qu’elle serait à l’origine de plusieurs maladies. Une eau tirée des puits à ciel ouvert qui n’aurait jamais fait l’objet d’analyses, en dépit du risque qu’elle présente. Mais qui se soucie de ces populations oubliées du monde ? Elles-mêmes ! Seulement elles !

L’énorme différence entre l’époque des essais nucléaires et aujourd’hui, est que les fils et petits fils du vieux Abderahmane Saadaoui sont allés à l’école, qu’ils savent de quoi il en retourne. Ce sont eux qui manifestent contre le gaz de schiste, parce qu’il y va de leur vie et de celles des enfants à naître. Ils refusent d’être les éternels cobayes indigènes.

Mais pour qui se prennent-ils ? Reggane n’est pas le Limousin, encore moins le Gers, le Gers où la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal, vient de donner un coup d’arrêt à la recherche d’hydrocarbures de schiste. « Il n’y aura pas d’exploitation du gaz de schiste, ni même d’investigation, tant que je serais ministre de l’écologie », ajoute-t-elle à l’intention des incrédules. Ses arguments ? « Les experts américains en reviennent du gaz de schiste. Il y a beaucoup de dégâts environnementaux, ensuite le coût s’est révélé beaucoup plus important que prévu », a-t-elle souligné. « On commence à voir aux Etats-Unis des friches industrielles scandaleuses, avec des riverains effarés, des poches de pauvreté et des poches de chômage ».

C’est exactement ce que disent les populations du Sud algérien qui, elles, n’ont pas le droit de le dire, n’étant que de pauvres tribus indigènes et gouvernées par un État complice.

À suivre

Gaz de schiste et combines politiques : bonnes feuilles prémonitoires

Ces passages sont extraits du roman « La mission » de Mohamed Benchicou paru l’an dernier et qui révélait déjà les manœuvres gouvernementales algériennes pour une secrète exploitation des gaz non conventionnels (gaz de schiste), question qui agite aujourd’hui la scène nationale.

Durant un mois, j’avais escaladé, chaque jour, les falaises qui mènent à Dunnottar Castle. Ce serait bien le diable, me disais-je, si, dans une si vieille forteresse médiévale que l’on date du XIIIe siècle, mais dont il se raconte qu’elle fut le dernier château à rester aux mains des royalistes pendant la république de Cromwell, au milieu du septième siècle, qui fut le théâtre de tant de batailles, de tant de combats mémorables, dont celui qui reste dans l’histoire britannique comme l’un des plus épiques, le combat qui opposa, durant huit mois, les royalistes retranchés dans Dunottar Castle aux troupes de la république de Cromwell, ce serait bien le diable s’il n’y réside pas quelques revenants qui voudraient bien me prêter oreille. J’accédais au château non pas par la porte principale construite dans une fente du rocher, mais par une crique qui donne sur une grotte marine d’où j’empruntais un sentier escarpé qui me conduisait à l’intérieur de ce qui fut une forteresse imprenable. Du haut de ses falaises nappées de bruyères aux teintes violettes, je surplombais Stonehaven et son petit port de pêche, laissant mon inspiration vaquer entre les chalutiers colorés, les plages de galets et les terrasses fleuries des pubs, m’imaginant au temps où, du donjon de Dunnottar Castle, alors rempart stratégique, l’on dominait les navires allant vers le nord de l’Écosse.

Je restais des heures à admirer le ballet que formaient les mouettes mêlées aux macareux, aux guillemots, aux petits pingouins ou aux fulmars, j’entendais les canons de Cromwell bombardant la tour, les cris d’agonie ou de liesse, et je voyais surgir de la chapelle des ombres à qui je racontais tout.

Tatiana travaillait-elle pour les Russes ?

Ces derniers étaient diablement en colère et il n’était pas très difficile d’imaginer leur dépit : notre prestigieuse firme British Petroleum fit volte-face et laissa entendre qu’elle ne voulait plus céder ses actifs algériens, au grand dépit des Russes. Ils pensaient pouvoir acheter le site gazier de Tigantourine et, bizarrement, British Petroleum ne voulait plus vendre. À cela, il y avait des raisons que l’on a pu connaître, Douglas et moi, et celles que l’on ne connaîtra jamais. De celles que l’on avait réussi à savoir, j’avais retenu celle qui me parut la plus décisive : la découverte, entre temps, de réserves impressionnantes de gaz non conventionnels en Algérie. Les très avisés dirigeants de British Petroleum, avec l’appui du gouvernement britannique, avaient réussi à décrocher le contrat du siècle ! La firme anglaise avait été chargée de l’exploitation des gaz de schiste sur le périmètre de Bourarhat, à quelques kilomètres seulement de Tigantourine. Le champagne coulait à flots à New York et à Londres : Les premiers tests d’extraction étaient exceptionnellement encourageants, les réserves y étaient immenses, presque à hauteur de celles des États-Unis, et le rendement spectaculaire.

Cela sentait bon les dividendes !

À ce motif, bien éloquent à lui seul, s’ajoutent les raisons cachées de cette volte-face et qui relèvent, sans aucun doute, de ces petits mystères inconnus des citoyens ordinaires et qui forment ce que l’on appelle « les raisons d’État ». Douglas suppose que les capitales occidentales n’étaient pas ravies de savoir des Russes renforcer leur domination dans l’approvisionnement en gaz de l’Europe, ni même de les voir se promener dans le vaste désert algérien où il se trame tant de choses secrètes.

Toujours est-il que, British Petroleum retrouva quelques charmes à rester en Algérie et se découvrit même des affinités avec ses dirigeants. Ils ne formaient plus qu’un seul couple uni par des pactes secrets.

Selon ce que m’a révélé Mary, le voile sur le concubinage entre le gouvernement Cameron et le pouvoir d’Alger fut levé tout à fait fortuitement, à Londres où se tenait une rencontre autour du financement de l’exploitation des gaz non conventionnels de Bourarhat : le ministre algérien et ses partenaires britanniques, dont l’ambassadeur en Algérie et Lord Lespy avaient trouvé un comité d’accueil assez spécial, formé de militants écologistes qui les interpellèrent durement sur les ravages qu’allait provoquer l’exploitation du site de Bourarhat. Le ministre algérien se confondit en explications peu crédibles tandis que ses hôtes britanniques tentaient de s’en sortir par des arguments politiques qui ne convainquirent personne. La connivence qu’on voulait garder secrète avait éclaté en plein jour !

Le sang de Tigantourine avait contribué à jeter le royaume britannique, berceau d’une si vieille démocratie parlementaire, dans les bras de l’autocratie algérienne qui s’éternisait au pouvoir par des méthodes inavouables et qui avait accueilli avec enthousiasme cette marque d’amitié qui la réhabilitait aux yeux du monde. Le milliardaire algérien exilé puis incarcéré à Londres, Abdelmoumène Khalifa, en fera les frais. Khalifa est, un peu, le Boris Berezovski algérien. Un peu, c’est-à-dire ce qu’il faut pour établir un parallèle entre deux hommes qui se sont enrichis spectaculairement et suspectés, tous les deux, de l’avoir été sur le dos de leurs Etats respectifs, recherchés tous les deux par leurs gouvernements respectifs et établis, tous les deux, à Londres. Moscou a réclamé à plusieurs reprises l’extradition de Berezovski, mais Londres a toujours rejeté ces demandes et lui a accordé en 2003 l’asile politique. Alger, elle, va obtenir l’extradition de Khalifa de la part de ces mêmes autorités britanniques. Le Parquet russe avait pourtant ajouté de sérieuses accusations contre Boris Berezovski, suspecté d’être derrière plusieurs meurtres, dont celui en 2006 du transfuge du FSB (issu de l’ex-KGB) Alexandre Litvinenko à Londres. Boris Berezovski a vécu libre et protégé, dans la capitale anglaise, jusqu’à sa mort en mars dernier à Londres dans des circonstances « inexpliquées ». Abdelmoumène Khalifa, lui, a rejoint une prison algérienne. Dans Londres de Sa Majesté, toutes les crapuleries ne se valent pas. Allez savoir si certaines ne sont pas plus sujettes au climat politique, aux affaires, à toutes ces choses mystérieuses qu’on appelle la diplomatie secrète, à tous ces pactes auxquels on ne pense pas, des gisements de gaz non conventionnel par exemple, ces schistes dont l’Algérie détient la seconde plus grande réserve mondiale après les États-Unis et dont elle vient de confier l’exploitation à une firme… Coupable ou innocent des accusations qu’on lui prête, Abdelmoumène Khalifa serait toujours à la tête de sa fortune s’il avait tenu ce même discours à la gloire de son président, avec domicile à Londres où, comme l’ancien allié de Berezovski, le milliardaire russe Roman Abramovitch, resté en bons termes avec Vladimir Poutine, il serait propriétaire du club de football de Chelsea et de quelques autres symboles prestigieux de la couronne. Mais ça, comme dirait Tante Meredith, ça s’apprend avec l’âge.

Ils avaient quelques raisons de se croire bernés ce qui, dans la guerre de positions que se livrent les grandes compagnies mondiales pétrolières, se traduit souvent par l’imprévisible. Qui ne savait que les oligarques russes étaient violents en affaires ? Pas les Britanniques en tout cas. Tout, dans les rapports entre Russes et Anglais, a une odeur de sang et de fric suspect. J’ignorais qu’en me déplaçant en Algérie, j’entrerais dans ce cercle pervers où la couronne britannique perdrait un peu de son honorabilité et les oligarques russes de leur mauvaise réputation. La bataille est aussi feutrée qu’impitoyable entre le prestigieux Kremlin, la respectable Buckingham.

Puis, tout s’enchaîna, à un rythme fou, jusqu’à donner cette opération terroriste de Tigantourine.

(…)

Sous la pression de l’opinion publique et des familles de victimes, le parquet de Paris s’est saisi de l’affaire Tigantourine et décidé d’une enquête contre X pour détention arbitraire et séquestration en tant qu’otages suivies de mort en bande organisée. Elle sera confiée à trois magistrats du pole antiterroriste.

Michael Fridman et les Russes avaient obtenu compensation de la part des autorités algériennes. Le milliardaire avait rebondi après l’opération terroriste contre le site gazier et réussi à exaucer, enfin, son plus cher souhait : mettre les pieds dans le désert algérien. Douglas m’a appris que Friedman était en voie d’obtenir des dédommagements déguisées de la part des autorités d’Alger. Après s’être approprié de la majorité du marché de la téléphonie mobile algérienne, Fridman négociait un important investissement dans les champs gaziers de la région de Reggane.

Une année après la prise d’otages sanglante de Tigantourine, Fridman paraissait étrangement optimiste, déclarant à qui veut l’entendre que « cette fois-ci est la bonne » et qu’il aurait reçu la garantie de l’État algérien que l’opération de rachat des part allemandes se réaliserait sans mauvaise surprise.

L’opération terroriste avait décidément changé bien des choses.

Ces tractations entre Fridman et les autorités algériennes, étaient menées dans le secret absolu et le milliardaire russe n’aurait pas souhaité que je rende publiques certaines informations sur lesquelles j’étais tombé durant mon séjour algérien. C’est peut-être la, la clé de toute l’affaire.

Mais, en vérité, personne ne voulait que je fasse la part de la vie de de de tout lumière sur ce qui se tramait, ni les Russes, ni les Britanniques, ni les Algériens. Chacun d’eux semblait avoir un petit cadavre dans son placard.

Et ce cadavre s’appelle Tigantourine !

Bien des semaines après que j’eus écrit ces lignes, et alors que je m’apprêtais à embarquer pour la Californie avec Pa Wilson, Mary m’informe que la manifestation conjointe de l’association Algeria Solidarity Compaign, l’ONG Platform et la Campagne contre le commerce des armements avait été fixée au lundi 10 février 2014 en face de la bourse London Stock Exchange. À cette date devrait être organisée une conférence d’affaires intitulée « Algeria Investor Window 2014 » consacrée aux opportunités d’investissement en Algérie. Des représentants de gouvernements et d’entreprises algériens et britanniques, dont Lord Lespy, participaient à la rencontre. Les manifestants préparent des pancartes significatives : « BP et le Royaume Uni financent la répression de la démocratie en Algérie » ou « Ne sacrifiez pas les droits humains pour l’appropriation du gaz algérien ». Une campagne désavouant la décision du Royaume Uni d’élargir ses ventes d’armes au régime algérien, « en dépit des abus des droits humains et de l’organisation d’élections frauduleuses par ce dernier », est sur le point d’être lancée.

Hamza et Kevin avaient achevé leur rapport sur les relations troubles entre le Royaume-Uni et l’Algérie. Ils avaient gardé le titre de « Renforcer les dictatures, l’accaparement britannique du gaz et l’état des Droits Humains en Algérie ». Mary m’en avait fait un résumé bref.

Peut-être que tout cela aura servi à quelque chose…

On ne sut jamais ce qu’il advint de la belle Tatiana.

Seul reste son parfum.

Je m’en rappelle encore, c’était une de ces fragrances de féline en chasse, sauvage et pimentée, une senteur qui avait percé le mur de ma non-existence.

La mission, Edition Koukou, Alger.

 

Disponible aussi en ligne sur http://livres.lematindz.net


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