La chronique de Hafid Derradji – Les vengeances du président

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Au fil des jours, la popularité du président s’évapore sous l’effet de son style de gouvernance et de sa conception de l’exercice de la fonction présidentielle. Depuis son intronisation à la tête du pays, M. Bouteflika n’a pas fait montre d’une débauche de respect pour le peuple et pour les institutions. Mépriser ses soutiens comme ses opposants ; chercher à offenser l’institution militaire et se venger d’elle ; en vouloir aux Algériens auxquels il reproche de ne pas l’avoir porté sur un piédestal à la mort de Boumediène ; régler ses comptes avec ceux qui l’ont accablé au motif de détournement des deniers de l’État dans les années soixante-dix. La liste des vengeances du ‘’Raïs’’ est longue.

Ce qui se produit comme contestation chronique dans le grand sud n’a pas hérissé un seul des cheveux de Bouteflika. Les Algériens y voient un mépris manifeste à l’égard d’une région dont les habitants, toujours fidèles au pays, n’ont pas lésiné sur le soutien au président à l’aube de son exercice. Les Algériens voient dans le silence de Bouteflika face à la colère d’In Salah une forme d’arrogance doublée d’un manque de respect à l’égard du peuple.

Ce qui se produit dans un secteur de l’éducation, plus que jamais en butte à la contestation et aux perturbations, nous renseigne aussi sur l’attitude d’un homme qui, dans le costume de candidat, avait promis ‘’le meilleur’’ à la famille de l’éducation. Quand les enseignants, le personnel administratif et les parents d’élèves attendaient les fruits de la réforme tant promise, Bouteflika et son gouvernement restaient de marbre face à une campagne de contestation jamais enregistrée dans le secteur. On en connait désormais les dommages collatéraux : le spectre plus que jamais pesant d’une année blanche, une perspective sombre qui impose aux parents des nuits blanches.

Le pourrissement qui a pris en otage le paysage national plonge la politique ou l’exercice de la politique dans un marasme et une stérilité jamais observés jusque-là. Dire que l’Algérie vit désormais le degré ‘’zéro’’ de la politique ne relève aucunement du constat injuste. En l’absence de pans entiers d’acteurs crédibles et féconds, la ‘’scène politique’’ est réduite à un activisme aux accents folkloriques. Responsables de cette situation inédite dans l’histoire du pays : le président et son entourage. À force de passer leur temps à évincer tout homme ‘’soupçonné’’ de compétence et d’engagement désintéressé, ils ont fini par ‘’décréter l’état du vide national’’.

Une sorte d’état de siège qui n’ose pas dire son nom s’est déclarée contre les partis et les associations dignes de ce nom. C’est l’heure du ‘’ containment’’ contre tous ceux qui voient le salut de l’Algérie et lui dessinent des perspectives heureuses en dehors de la grille de lecture d’El Mouradia. Les exemples sont nombreux qui témoignent contre le ‘’vide politique national’’. Le FLN n’en finit pas de subir les fourches caudines de ‘’Fakhamatouhou’’ et son équipée. Comme si la justice de nuit et le militantisme à grand renfort de ‘’dobermann’’ ne suffisaient pas, voici qu’un ‘’chargé de mission’’ s’efforce de réduire le Front à l’état d’obéissance. Les nombreux militants désintéressés et plus que jamais inquiets du devenir de leur ‘’hizb’’ tirent la sonnette d’alarme. Résignés et la mort dans l’âme, ils pointent du doigt le ‘’président d’honneur’’ du Parti et l’accusent de flagrant délit d’atteinte à l’histoire et à l’honneur du FLN.

Le plus pénible à la vue du ‘’vide politique national’’ ne se limite pas seulement au syndrome dont souffre le parti issu du décisif CRUA. Le sentiment de douleur se manifeste aussi à la vue de la manœuvre grossière qui a visé – sans succès – le FFS cher à figure de proue du CRUA. Bouteflika et son équipe ont cherché à entraîner la classe politique dans une ‘’moubadara’’ qui a échoué lamentablement faute de clarté et de démarche dénuée de calculs politiciens. Résultat des courses : aucun parti politique, y compris le FLN et le RND – soutiens fidèles de Bouteflika – n’ont adhéré à l’initiative. El Mouradia a voulu la ‘’convergence’’ à la sauce de la politique politicienne. Au bout de la ‘’cuisson’’, c’est l’Algérie qui a été la grande perdante avec un paysage politique frappé de discrédit. Et plus que jamais.

Décidément, le listing des atteintes et entorses présidentielles grouille de cas regrettables. Exemple, la marginalisation puis l’éviction brutale d’hommes qui ont cheminé avec le président et l’ont accompagné au-delà d’un seul mandat. Il y a un peu de tout : des chefs de l’exécutif que le chef a voulu réduire au rôle de coordinateur de l’action gouvernementale, des ministres, des ambassadeurs, des patrons d’entreprises publiques. Depuis le 27 septembre 1962, date de naissance du premier gouvernement de l’Algérie indépendante, jamais la pression n’a été aussi intenable, aussi destructrice comme elle l’est sous la tutelle de l’homme qui ne veut pas être un ‘’trois quarts de président’’. Bouteflika lèguera pour l’histoire une de ses principales marques de fabrique : il est le seul président algérien à avoir nommé et dénommé des cadres de la nation aux fonctions suprêmes sans les avoir reçus. Autre marque de fabrique de son Excellence : comparé aux hommes de sa génération, civils et militaires, il restera, aux yeux de l’histoire, comme le ‘’Raïs’’ dont la vengeance contre les ambitions en politique n’a pas d’équivalent.

Dans ce ‘’vide politique national’’ sidéral, le président s’est singularisé par une facette qui n’a guère échappé au regard des observateurs. Autant il brille par ses éclipses désormais ancrées des réunions du Conseil des ministres, autant il pénètre dans les foyers algériens via la fenêtre du ‘’20 heures’’ dans le rôle de commandant en chef des Forces armées. Cet exercice n’est pas dénué de message. En présidant un conclave des plus grands galonnés de la ‘’grande muette’’, le président est soucieux avant tout de souligner à grand trait l’image d’un patron de l’institution militaire. Tout se passe comme si, au travers des images du ‘’20 heures’’, il cherchait à réduire en miettes l’idée véhiculée par la rue, la classe politique, les chancelleries et les observateurs internationaux. Une idée irritante pour ‘’Boutef’’ selon laquelle il s’est retrouvé au-devant de la scène présidentielle par le bon vouloir des ‘’décideurs’’.

Le président s’est toujours montré épidermique sur cette question. Il suffit de revoir ses répliques coléreuses et vitriolées contre les journalistes étrangers qui, tout au long de son premier mandat, se bousculaient auprès de ses communicants pour glaner une interview. Le listing des actes présidentiels dans le registre militaire est également jalonné de détails : les changements opérés au sein de la ‘’grande muette’’ pour régler un compte à un officier peu en phase avec le ‘’gusto’’ d’El Mouradia.

Sitôt installé dans le fauteuil de premier magistrat du pays, Bouteflika a lancé son fameux aveu : ‘’je n’aime pas beaucoup cette Constitution’’, celle héritée de Liamine Zeroual. Une Loi fondamentale qui avait ‘’l’inconvénient’’ de limiter le nombre de mandats présidentiels et de faire du Chef du gouvernement autre chose qu’un coordinateur des activités gouvernementales. S’il n’a pas encore glané la nouvelle Constitution dont il a toujours raffolé, l’allergique aux ‘’trois quarts de président’’ a procédé à trois révisions constitutionnelles. On en connait le gain : la remise en cause du principe de limitation du nombre de mandats présidentiels qui faisait de l’Algérie une exception dans le monde arabe, des institutions nationales tétanisées et dénuées de dynamisme car vivant dans le sentiment d’une vie nationale suspendue à la perspective de la nouvelle Constitution.

Au lieu de s’ériger, à coup de choix salutaires et censés, en symbole de la souveraineté nationale et d’une Algérie labélisée ‘’Djazaïr el iza wal karama’’, le président a enchainé les actes, les choix et les pratiques qui ont brossé le décor d’une autre Algérie. Un pays qui, à n’en plus finir, s’installe dans l’instabilité, n’arrive plus à se donner un cap et hérite, pour tout dynamisme, que de la contestation. Au quotidien et sur fond de silences présidentiels aussi inexpliqués qu’inexplicables.


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