Entretien. Mohcine Belabbas, président du RCD : « On est obligés de faire des démonstrations de force dans la rue »

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Quel bilan faites-vous des manifestations du 24 février contre le gaz du schiste ?

Il est important d’évaluer ces manifestations par rapport aux objectifs qui ont été tracés. Au niveau de l’Instance pour la concertation et le suivi de l’opposition (ICSO), nous avons décidé de lancer un appel à la population pour manifester à travers des sit-in organisés dans les 48 wilayas. Il s’agissait de sit-in symboliques pour montrer que les Algériens étaient solidaires avec leurs concitoyens du Sud et notamment ceux d’In Salah. Donc par rapport à cet objectif, c’est une réussite totale. Les sit-in ont été organisés dans toutes les wilayas et même dans certaines capitales européennes. Aussi, c’est pour la première fois en Algérie que des forces politiques organisent ensemble des actions de cette envergure le même jour et à travers toutes les wilayas du pays.

Peut-on réellement parler de réussite vu la faible mobilisation notamment à Alger ?

 Il faut savoir qu’il n’y a qu’en Algérie que les médias et l’opinion estiment qu’il faut mobiliser des milliers de personnes pour l’organisation d’un sit-in. En Europe et aux Etats-Unis, ce sont des sit-in qui rassemblent 20, 30, 40 et 50 personnes lorsqu’il s’agit de gaz de schiste et ce n’est pas rien ! En Algérie, nous avons quand même pu organiser des sit-in dans les 48 wilayas et même des marches. Des Algériens ont décidé de casser le mur de la peur. Pour ce qui est de la capitale, il y avait une mobilisation importante qu’on n’a pas pu constater dans les images et la raison est très simple. Les autorités ont mobilisé autour de 40.000 policiers et gendarmes et ont exploité des enfants dans des opérations folkloriques pour perturber les actions des partis de l’opposition. Ils ont même agressé des présidents de partis politiques, des députés et des acteurs de la société civile. Et puis, nous sommes dans un pays où les médias ne jouent pas leur rôle. Partout dans le monde, quand un acteur politique annonce une action, les médias doivent la relayer.

Mais la presse a largement médiatisé l’appel de l’ICSO…

Je veux parler des médias publics notamment audiovisuels. Ces derniers sont les plus importants car ils touchent un nombre très important de citoyens algériens et ils sont les seuls à avoir assez de moyens pour couvrir toutes les activités organisées hier mais ils ne l’ont pas fait. Les chaînes de télévision publiques ont boycotté l’annonce et l’activité. Hier, je n’ai pas vu d’images sur les chaînes de télévision publique. Ce qui n’est pas normal. Le pouvoir algérien a privatisé les chaînes de télévision et de radio publiques ! Malgré cela, les acteurs politique de l’ICSO, qui ont une présence sur le terrain, des relais à travers les 48 wilayas et qui ont régulièrement organisé des rencontres de proximité, ont pu  informer l’opinion sur les lieux des rencontres avec leurs propres moyens et ils ont réussi à tenir le pari.

Vous parlez de présidents de partis politiques agressés. Vous en faites partie ?

Les présidents de partis politiques ont été molestés par les policiers. Personnellement, je n’ai pas été tabassé. Mais j’ai vu des présidents de partis politiques se faire tabasser par des policiers. Et je vous signale qu’il y a eu autour de 300 personnes arrêtées dans la capitale. Quelques trois milles personnes étaient attendues pour ce sit-in. On a été contraints à commencer à 11h 30 au lieu de midi (comme cela a été prévu). Tous ceux qui sont venus à partir de midi n’ont pas pu se rassembler.

Comptez-vous aller vers l’organisation d’autres actions de rue ?

Les actions de rue s’imposent à tout acteur politique de l’opposition dans ce genre de conjonctures. Nous sommes face à un système politique fermé et dans un pays où les conditions de l’exercice politique n’existent pas. Une semaine auparavant, nous avons été empêchés d’organiser une petite conférence dans une salle de 200 personnes. Donc on n’a pas le choix et on est même obligés de recourir, de temps à autre, à la rue. D’autant plus que nous visons à construire de nouveaux rapports de force. Et seul le terrain peut rendre ces nouveaux rapports de force visibles. Maintenant, on ne va pas sortir dans la rue pour n’importe quoi. Nous allons également continuer à organiser un certains nombre d’actions à l’intérieur des salles.  En fait, on n’exclut rien. On est obligés de faire des démonstrations de forces dans la rue pour certaines questions. Et hier, ce n’était pas une démonstration de force de l’opposition. On voulait transmettre un message de solidarité à nos concitoyens du Sud. C’était aussi un message au pouvoir pour lui dire qu’il est hors de question de vous laisser brader la souveraineté nationale.

Qu’est ce que vous comptez faire après ces manifestations ?

Tenir un conclave mais nous n’avons pas encore fixé une date. Au sein de l’instance, nous avons estimé qu’il fallait organiser un conclave fermé d’un minimum de deux jours pour prendre un peu plus de temps et débattre de toutes les questions qui se posent à nous car il est impossible de le faire en cinq ou six heures. Nous allons traiter de certaines questions dont le gaz de schiste, la baisse du prix du baril, la façon d’aller vers une économie de production, la présidentielle anticipée et l’instance de gestion des élections.

Cela servirait à quoi exactement ?

Nous sommes en train de préparer l’après-Bouteflika. Nous devons commencer à réfléchir sur la manière avec laquelle nous allons gérer cette période à partir du moment où nous disons qu’il est urgent d’aller vers une institutionnalisation d’une commission indépendante pour la gestion des élections avant l’organisation d’une présidentielle anticipée. Le pays traverse une crise immense et tout acteur politique responsable doit réfléchir à comment sortir de cette crise. Un débat au niveau des acteurs de l’opposition qui ont décidé d’agir ensemble depuis maintenant une année est indispensable.

Pourquoi préparez-vous l’après-Bouteflika ?

C’est tromper l’opinion que de dire que nous avons un président de la République. Nous avons un chef de l’Etat qui été nommé à travers une fraude électorale organisée en avril 2014 et qui est incapable de gérer le pays. Transformer la visite d’un certain nombre de personnalités à un malade en activités politiques est grave ! Depuis une année, il n’a pas été capable de lancer une initiative. En fait, la seule chose qui a été annoncée publiquement est celle de la révision constitutionnelle. Et une année, c’est beaucoup pour concrétiser cette annonce.

Aujourd’hui, la situation s’est aggravée puisque l’opposition refuse cette révision avant la présidentielle anticipée. Nous avons une vacance de pouvoir au niveau de la présidence qui induit une vacance de pouvoir au niveau du gouvernement, au niveau du Parlement et même au niveau de la justice car nous sommes dans un pays où la justice et le pouvoir législatif ne sont pas indépendants. Depuis 2012, le parlement est incapable d’organiser un débat autour de certaines questions dont l’exploitation du gaz de schiste,  la baisse des prix du baril, l’alternative sur le plan énergétique, les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement. Il faut rappeler aussi qu’aucune commission d‘enquête n’a été annoncée par le Parlement.


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