La chronique de Benchicou – Rachat de Djezzy, la forfaiture de trop (2e partie et fin)

Mohamed Benchikhou

Un beau matin d’octobre 2010 débarque à Alger le Président russe Dimitri Medvedev, accompagné d’une petite délégation exclusivement composée de chefs d’entreprises dont un certain Mikhail Fridman, 17e fortune mondiale. Ce milliardaire, enrichi sous l’ère Eltsine, a fait partie de ceux que l’on a surnommés « Les banquiers du Kremlin », ce groupe de sept fortunés venus au secours de Boris Eltsine en 1995, quand l’État russe, en faillite, n’avait plus un sou pour payer ses fonctionnaires. Fridman et six autres grosses fortunes de Russie avaient alors procuré un répit à Eltsine, quelques milliards de dollars qui lui avaient permis de souffler, un prêt, certes sans intérêt, mais gagé sur les plus grandes entreprises encore contrôlées par l’État… C’est ainsi que «les banquiers du Kremlin » sont devenus un pouvoir parallèle à l’État russe, aussi influent que riche. Le successeur d’Eltsine, Vladimir Poutine, en fera très vite son affaire, et s’en débarrassera par toutes sortes d’expédients. Boris Berezovski sera forcé à l’exil en Grande-Bretagne puis retrouvé pendu dans sa propriété de la banlieue londonienne ; Vladimir Vinogradov est mort en 2008 ; Mikhaïl Khodorkovski a été jeté en prison pendant 10 ans ; Vladimir Goussinski s’est réfugié en Espagne ; Alexandre Smolenski s’est définitivement retiré des affaires en 2003. Seuls Mikhaïl Fridman (6e fortune de Russie) et Vladimir Potanine (4e fortune du pays) ont, eux, conservé leur influence. Mais leur allégeance à Poutine est totale.

Quel lien entre Fridman et l’Algérie ? Djezzy et Tigantourine. Le magnat russe n’est rien de moins qu’un des principaux propriétaires de Djezzy depuis l’acquisition de l’opérateur de téléphonie mobile par Vimpelcom, société formée par Altimo, propriété du milliardaire russe Mikail Fridman, et Telenor, un opérateur norvégien.

Ce matin d’octobre 2010, Medvedev était, tout naturellement, venu parler de gaz et de…Djezzy. Le grand projet des Russes était de poser enfin les pieds dans le Sud algérien. L’acquisition de quelques gisements gaziers leur permettrait d’accroître le contrôle sur l’approvisionnement en gaz de l’Europe et d’avoir un œil sur le Sahel où se joue le destin d’une partie du monde. Or, une providentielle opportunité se présentait à eux : la firme britannique British Petroleum, exploitante de deux sites gaziers dans la région d’In Amenas, dont celui de Tigantourine, nom qui deviendra célèbre avec la sanglante prise d’otages de janvier 2013, mettait en vente ses actifs algériens. La compagnie s’était trouvée forcée à cette extrémité après sa condamnation par la justice américaine à une très forte amende pour sa responsabilité dans la marée noire du Golfe du Mexique. Les Russes étaient confiants : Fridman s’était porté acquéreur de ces actifs et avait fait une offre raisonnable que BP ne pouvait refuser. Il y avait juste un os de dernière minute qui bloquait la transaction : les autorités algériennes avaient fait jouer leur droit de préemption et envisagaient de racheter, pour leur propre compte, les actifs de British Petroleum. Les Russes, qui soupçonnaient Alger d’agir sous quelqu’influence américaine ou européenne, avaient fait une première tentative de séduction en dépêchant à Alger le ministre de l’Énergie, Sergei Shmatko, porteur d’une proposition alléchante : en contrepartie de la possibilité d’acquérir les deux puits d’In Amenas, autrement dit d’un abandon de son droit de préemption, l’État algérien prendrait des parts dans des exploitations pétrolifères en Russie ! De premières négociations s’étaient alors ouvertes entre la société de Friedman et l’entreprise publique algérienne Sonatrach. L’affaire ne tarda pas à se transformer en affaire d’État. Le Premier ministre, Vladimir Poutine, avait sollicité, par écrit, la bienveillance du gouvernement algérien afin qu’il facilite le déploiement du groupe pétrolier russe de Fridman en Algérie.

C’est alors que les Russes découvrirent qu’il y avait mieux à proposer aux Algériens que des parts dans le pétrole russe. Djezzy ! Bouteflika veut le racheter à n’importe quel prix. Cela tombait plutôt bien : le Kremlin est disposé à le céder en échange de facilitations pour l’acquisition des deux gisements gaziers de BP ! C’est, en substance, le message de Medvedev à Alger. L’entourage de Bouteflika accueillit la proposition avec enthousiasme. Selon certaines indiscrétions, les Algériens auraient demandé à leurs interlocuteurs russes de calmer les animosités de Naguib Sawiris (alors actionnaire dans Vimpelcom) et de donner un coup de pouce pour le 4e mandat de Bouteflika, ce qui allait de soi.

Mais l’affaire capota très vite : British Petroleum, probablement sur pression des capitales occidentales peu ravies de savoir que les Russes renforçaient leur domination dans l’approvisionnement en gaz de l’Europe, et encore moins de les voir se promener dans le vaste désert algérien où il se trame tant de choses secrètes, déclara subitement ne plus vouloir vendre.

Les Russes avaient quelques raisons de se dire bernés ce qui, dans la guerre de positions que se livrent les grandes compagnies mondiales pétrolières, se traduit souvent par l’imprévisible. Qui ne savait que les oligarques russes étaient violents en affaires ?

Toujours est-il que quelques mois à peine après la tuerie de Tigantourine, Michael Fridman et les Russes finirent par faire affaire avec Bouteflika : ils « lâchaient » Djezzy et obtenaient, en compensation, la possibilité d’investir, enfin, dans les hydrocarbures algériens. Avec l’aval des autorités algériennes, Mikail Fridman a postulé pour l’achat de la compagnie allemande RWE qui exploite du gaz dans la région de Reggane. La tractation fut entourée de secret. Le seul quotidien qui en avait fait état, a jugé utile de préciser que  » conscient des implications de cette transaction, le milliardaire russe ne semble pas se soucier des éventuelles décisions du gouvernement algérien quant au droit de préemption, en vigueur depuis la promulgation de la loi de finances complémentaire de 2009. En sa qualité d’actionnaire majoritaire dans le groupe Vimpelcom, Fridman a dû longuement réfléchir avant de prendre cette décision. Car, il ne peut pas oublier toutes les péripéties ayant entouré l’achat, par Vimpelcom, du groupe Orascom Telecom. Le gouvernement algérien avait alors insisté sur l’exercice du droit de préemption sur Djezzy, qui a vu son portefeuille se déplacer du Caire vers Moscou. Des sources allemandes ont affirmé que les responsables de RWE ont rassuré tous les postulants quant à la neutralité des autorités algériennes par rapport à cette transaction et semblent avoir obtenu des garanties que notre gouvernement n’exercera pas le droit de préemption. » (1)

Tout venait d’être dit.

Le clan Bouteflika venait de récupérer Djezzy à un prix astronomique. Aux dernières nouvelles, il s’apprêterait à liquider l’opérateur de téléphonie mobile afin de ne plus garder traces de certaines concussions coupables.

(1) Le Soir d’Algérie, 19 janvier 2014


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