Entretien avec Sid Ahmed Ghozali

Sid Ahmed Ghozali

Est-ce que l’Algérie a besoin d’exploiter le gaz de schiste ?

Oui, exploiter toutes ses richesses naturelles et humaines mais le gaz de schiste n’en est qu’une petite partie. Les hydrocarbures sont nés dans la même roche mère. À travers les âges, plusieurs millions de siècles, une partie est restée dans la roche mère peu perméable, c’est le gaz de schiste et l’autre a migré plus haut vers des couches moins profondes et plus perméables. L’avènement du forage horizontal et des technologies de fracturation a permis l’exploitation de la roche mère. L’Algérie en aurait des réserves considérables. Mais cela reste à prouver.

Mais est-elle inévitable ?

La problématique du gaz de schiste renvoie à la politique énergétique, laquelle invoque à son tour la problématique du développement du pays. L’isoler de son contexte est une manœuvre de diversion et une tromperie. Chaque chose en son temps : il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’exploitation du gaz et de l’huile de schiste, mais d’abord de chercher les gisements, de forer, de voir et d’évaluer les conditions d’exploitabilité économique et technique, y compris les aspects environnementaux et aussi définir les autres composants du modèle de consommation énergétique. Rassembler ces données prendra 15 ans pour décider d’exploiter ou non.

Quel est l’objectif de cette « manœuvre de diversion » ?

Si l’exploitation du gaz de schiste n’est pas possible dans les courts et moyens termes, pourquoi alors précipiter un débat si ce n’est pour le défigurer ? Serait-ce pour couvrir l’indigence en matière de politique énergétique et de politique de développement ? Ou pour mettre à l’abri des regards quelques énormités commises sur les gisements conventionnels, comme tend à montrer la diminution de la production observée depuis trois ans ? Ou alors, serait-ce pour « compenser » un épuisement anormal mais réel de nos réserves conventionnelles, par l’addition comptable de réserves de gaz de schistes supposées mais non prouvées ?

Les habitants d’In Salah protestent depuis plus d’un mois contre l’exploitation du gaz de schiste…

Privés plus que jamais des données les plus élémentaires liées à leur présent et leur avenir, les habitants d’In Salah, ceux d’Alger ou d’ailleurs maîtriseraient-ils la chose énergétique au point de connaître les faits et méfaits du gaz de schiste (sur l’environnement, ndlr) ? La manipulation n’est pas la seule explication. Les conditions de vie dégradées, l’injustice, la grande incertitude des lendemains, la peur pour l’avenir des enfants sont autant de motifs d’insatisfaction : le moindre prétexte rallume le feu qui couve depuis longtemps.

Qui est derrière cette manipulation ?

Le pouvoir qui alarme l’opinion dans le laconisme de sa « décision d’exploiter le gaz de schiste ». Il prive l’opinion de son droit à l’information et lui donne un prétexte pour manifester son ras-le-bol qui n’a rien à voir avec le gaz de schiste.

Qui est ce pouvoir ?  

En politique, ce sont les résultats qui comptent. Qu’il soit x ou y, qu’il soit blanc ou noir, ou brune ou blonde, qu’il soit ici ou là, le pouvoir existe bel et bien. Les résultats sont là et c’est cela qui devrait nous importer.

Mais est-ce que les craintes des manifestants d’In Salah sont justifiées ?

Spoliées de leur droit à l’information, les masses populaires agissent sous l’empire des rumeurs émises par le pouvoir. In Salah se sait assise sur de vastes réserves gazières conventionnelles découvertes. Laissés à la merci du qu’en dira-t-on, ses habitants ne comprennent rien aux motivations d’un gouvernement engagé à exploiter un gaz plus coûteux et précédé d’une réputation sulfureuse; face aux polémiques qu’ils voient dans les télés étrangères ils n’ont de leurs autorités aucune donnée qui leur dise ce qui en est chez nous. Leur colère et leurs inquiétudes sont forcément justifiées.

Les manifestants évoquent notamment le problème de l’eau…

Encore plus que dans le Nord, cette région est hypersensible à la question de l’eau. L’hydrogéologie procède de genèses différentes qui change qu’on est au nord du pays ou en Europe ou dans le sud. Les nappes familières aux gens du nord dites phréatiques, situées entre 0 et 50 m, sont alimentées en permanence par la partie des eaux de pluie qui s’est infiltrée dans le sol. On ne peut en prélever plus.

Dans le Sud, ce sont des nappes fossiles datant de dizaines de milliers voire de millions d’années qui s’étendent sur plus de 2 000 kms du Sud-ouest au Nord-est du pays, en se poursuivant à travers le Sud tunisien et libyen. Limitées, les quantités sont cependant considérables: 30 à 60.000 km3, l’équivalent de 6 000 ans de chutes de pluie sur l’Algérie entière. Certains disent que ce sont là les plus grandes réserves d’eaux souterraines du monde. Donc à In Salah ou ailleurs dans notre Sahara, il n’y a sous l’aspect quantitatif pas d’inquiétude à se faire pour répondre à tous les besoins industriels et agricoles.

Mais y-a-t-il des menaces sur les nappes ?

Pourquoi parle-t-on des menaces sur la nappe aquifère que lorsqu’il s’agit de gaz de schiste ? Depuis, un siècle des milliers de forages pétroliers et gaziers sont exécutés, qui ont pour la plupart percé des couches albiennes. La plupart des forages pétroliers sont précédés par des forages hydrauliques. Des protocoles opératoires éprouvés protègent les couches aquifères traversées.

Il faut surveiller le volet de la pollution chimique liée à la fracturation hydraulique : on y utilise un mélange de 99,5% d’eau pure et 0.5% de produits chimiques toxiques dont il faut évidemment se prémunir, c’est de la responsabilité de l’entreprise et de l’État, tant au niveau des opérations de forage qu’au niveau du stockage des eaux de fracturation résiduelles. À la société civile aussi de jouer son rôle de chien de garde de tous les pouvoirs.

Que pensez-vous de la gestion de ce dossier par le gouvernement ?

Un Conseil des ministres annonce sa décision d’engager l’exploitation des gaz de schiste sans autre commentaire ni motivation. Quelques mois plus tard, les Autorités, à commencer par le président de la République, clament à tour de rôle que la question n’est pas à l’ordre du jour. Où est le mensonge et où la vérité ? En disant une chose et son contraire le pouvoir se décrédibilise sans cesse aux yeux des protestataires et de toute la population.

Décidément incorrigible, il persiste dans son obstination à croire que la société est là pour obéir et marcher sous ses ordres. Il y a dans sa pathologie une difficulté insurmontable à ressentir le besoin d’informer, d’expliquer, encore moins de s’expliquer. Il ne respecte pas la population. Lorsqu’il s’agit d’un projet, il faut expliquer d’abord avant de le lancer.

Vous ne participerez pas aux manifestations du 24 février de l’Instance de concertation et de suivi de l’opposition (Icso) contre le gaz de schiste ?

Autant je comprends les manifestations d’In Salah qui ont ma sympathie et mon soutien ; autant j’encourage la Coordination quand il s’agit de rapprocher les Algériens, les habituer à parler ensemble et échanger les idées ; autant je considère que cette Coordination n’est pas faite pour se fourvoyer dans cette farce du gaz de schiste. Le pouvoir en fait assez pour détourner l’opinion des vrais problèmes du pays, pour qu’il faille l’encourager dans son égarement.

L’opposition a lancé plusieurs initiatives. Mais comment sortir concrètement de la crise ?

Vous connaissez la réserve qui est la mienne quant à l’utilisation du terme opposition, dans un pays où la loi est chaque jour outragée en matière de liberté d’expression et d’association.

Ceci étant rappelé, le but déclaré de ces initiatives est un dialogue paisible avec le pouvoir. Celui-ci les ignore et ne les reconnaît pas. Ses serviteurs nous répètent qu’il ne veut pas entendre parler de transition vers la démocratie puisque « nous sommes déjà en démocratie », selon lui.

En fait une vie politique apaisée consiste en une négociation permanente entre la société et le pouvoir. Sans une reconnaissance mutuelle entre les deux parties, il n’y a aucune place pour la négociation. Aucune partie ne se trouvera prête à négocier sa propre disparition.

Est-il alors inutile de négocier avec le pouvoir ?

Est-ce que le pouvoir est prêt à négocier avec vous ? Il ne vous reconnaît pas. Donc cela n’a pas de sens. Cette Coordination ne montre pas de résolution (sur le terrain, ndlr) à se constituer en une force crédible avec des idées cohérentes sur le présent et l’avenir du pays à se montrer capable d’être entendue par le pouvoir et la population.

Ses membres ne sont pas crédibles selon vous ?

Je parle de l’initiative ! Pour moi, la tâche de cette Coordination, pour laquelle j’ai de la sympathie, est de travailler pour qu’elle soit entendue par le pouvoir. Et elle ne peut espérer être entendue par le pouvoir que si elle est entendue par la population. D’où l’impératif d’occuper le terrain sur tout le territoire pour parler à la population, l’habituer à prendre conscience de l’existence de la coordination.

La baisse des prix du pétrole est-elle durable ?

Inutile de s’épuiser à ce petit jeu stérile : si nous demeurons dans notre dépendance actuelle vis-à-vis du pétrole je vous affirme solennellement que quel que soit son prix nous finirons au désastre. Le mal absolu est dans la mauvaise gouvernance et les dissipations phénoménales de ressources qui en résultent. Un exemple parmi cent, le coût du projet autoroutier Est-Ouest a été déclaré au début à 3 milliards de dollars, on avance aujourd’hui le montant 20 milliards. Cela veut dire que le tunnel sous la Manche, une des grandes réalisations du siècle, a coûté deux fois moins que l’autoroute Est Ouest.

L’Algérie figure en tête des pays dissipateurs de ressources par mauvaise gouvernance et, c’est lié, à la corruption. En incitant à faire parler de la baisse des prix du pétrole il prépare une réduction drastique des importations qui est due à son incurie. Le moment venu on fera comprendre au peuple qu’il s’agit d’un élément indépendant de sa volonté. Qu’il s’agit de la baisse du prix du pétrole et non de la gestion du pouvoir.


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