Pourquoi les exportations hors hydrocarbures ne décollent pas

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Dans un entretien, Boukhalfa Khemnou, directeur général de l’Algex (Agence de promotion du commerce extérieur), livre ses impressions sur la situation des exportations hors hydrocarbures en Algérie. Il revient également sur les entraves au commerce extérieur et propose des solutions pour booster les exportations algériennes.

 Quelles sont les entreprises exportatrices majeures en Algérie, hors hydrocarbures ?

Sans rentrer dans les détails, la structure est essentiellement concentrée sur les dérivés du pétrole et les matières premières avec Sonatrach, Somiphos, Fertial par exemle (Naphta, engrais…). On retrouve très peu de produits manufacturés, en termes de quantité et de positionnement. Il y a par exemple Cevital (sucre, verre plat), SIM (pâtes alimentaires) ou Fruital (eaux et jus de fruits) qui exportent mais cela reste faible.

Quelles sont les principales destinations de ces exportations ?

Le gros de nos échanges commerciaux, que ce soit dans l’import ou l’export, se fait avec l’Union européenne qui est notre principal partenaire commercial. Cela se rapproche des 60 à 65% du global des échanges commerciaux. Les trois principaux clients sont la France, l’Italie et l’Espagne.

Après, on a les Amériques, principalement avec les Etats-Unis. Puis il y a l’Asie, avec la Chine bien sûr. Nos échanges avec les pays arabes et africains sont très faibles.

Pour combien l’Algérie exporte-t-elle, hors hydrocarbures ?

En 2014, les chiffres provisoires indiquaient 2,8 milliards de dollars. Il y a une évolution assez importante par rapport à l’année précédente, de l’ordre de 30 à 33% environ. En 2013, on était à 2,1 milliards. Quand on regarde, dans le détail, la structure des exportations algériennes, on se rend compte qu’il n’y a pas une grande diversification. Il y a un poste qui occupe le gros des exportations, ce sont les produits bruts, et dans une moindre mesure, les demi-produits. Il y a aussi une faible diversification des destinations de l’export.

Ça complique la situation, car l’orientation vers un seul marché limite la diversification des ressources en devises.

Quelles sont les raisons de la faiblesse des exportations algériennes ?

Elle est due essentiellement à la faiblesse de l’outil de production. Comme vous le savez, l’exportation n’intervient qu’au bout de la chaîne de développement d’une entreprise. On pense d’abord à s’implanter dans son marché « naturel ». Arrivée à un certain seuil de développement, l’entreprise peut chercher des marchés hors de son environnement direct. Cela nécessite une mise à niveau et une amélioration de la compétitivité pour pouvoir exporter.

D’un autre côté, les entreprises ne sont pas réellement intéressées par l’exportation. Elles ont leur part de marché en Algérie et il est difficile de les convaincre d’exporter. Dans leur esprit, il faut qu’elles répondent aux besoins du marché et elles n’ont pas le réflexe de diversification ou de chercher des parts de marché à l’extérieur. On n’a pas cette culture de l’export et on se retrouve avec une offre exportable très faible.

Les procédures administratives (douanes, autorisations…) sont jugées compliquées…

En fait, on n’a pas besoin d’autorisation pour exporter. Mais c’est vrai que les formalités administratives sont très lourdes et très lentes en Algérie. C’est un phénomène général qui ne concerne pas que l’exportation. Il faut du temps pour avoir son registre du commerce, sa carte fiscale… Et malgré les allègements de ces dernières années, ça demande un dossier lourd et ça reste tout de même un facteur contraignant pour l’entreprise.

Il y a aussi l’environnement global des affaires qui n’encourage pas le développement de l’entrepreneuriat, de l’investissement et donc de l’exportation. On doit aborder la question dans sa globalité pour régler ce problème. Si l’on favorise le développement rapide de l’entreprise, les exportations suivront.

Le secteur financier doit également consentir un effort supplémentaire de modernisation et jouer le rôle d’accompagnateur de l’entreprise. Donc même s’il y a des avantages et des facilités, accordés en particulier aux entreprises exportatrices, cela reste contraignant.

Les infrastructures, notamment portuaires, sont-elles équipées pour gérer et favoriser les exportations ?

Il n’y a pas que la question des infrastructures portuaires, mais c’est valable pour toute la chaîne logistique qui est un facteur de blocage. Premièrement, le pavillon national (maritime et aérien) n’occupe que 3 à 4% de l’activité logistique. Leur part de marché est très faible.

L’essentiel de l’activité est détenu par les entreprises étrangères, ce qui fait qu’on nous impose leurs règles, leur « loi ». Ces armateurs étrangers donnent la priorité aux importations et favorisent les entreprises étrangères. On le remarque, par exemple, dans les délais de chargement des marchandises. Tant que nous serons dans cette situation de dépendance vis-à-vis des étrangers, on aura du mal à développer les exportations, quels que soient les efforts que l’on fait par ailleurs.

C’est vrai qu’il y a un programme très important pour essayer d’étendre le pavillon national. Il est prévu, qu’à terme, on atteigne des parts de marché de 30%. Il faut accélérer le rythme pour arriver le plus vite possible à ce taux de couverture  par des entreprises nationales afin de défendre les intérêts de nos entreprises, qui subissent vraiment des pressions énormes.

Cela dit, il est vrai que l’on manque d’infrastructures modernes actuellement. Seuls les ports d’Alger et dans une moindre mesure celui de Djendjen, sont plus ou moins importants, mais les autres ne peuvent pas recevoir de navires de gros tonnage. Ces infrastructures existantes doivent être modernisées mais on doit aussi développer de nouveaux ports, modernes, qui peuvent nous insérer davantage dans le transport de marchandises régionales, sans parler du réseau mondial. Il faut que l’on puisse, demain, être une destination de transit de marchandises.

Le gouvernement veut booster les exportations hors hydrocarbures. Comment peut-il procéder ?

La priorité pour booster les exportations réside dans la mise en place d’une stratégie, d’une politique, à même de favoriser les exportations. Il faut une vision à moyen et long terme. Il faut fixer des objectifs et mettre les moyens pour les atteindre. Cette stratégie doit être appuyée par des politiques sectorielles, qui alimentent les exportations. Il faut un esprit de coordination et de collaboration entre les secteurs. A ce titre, le ministère du Commerce compte organiser, fin mars, une conférence dans ce sens. Justement dans l’objectif de mettre en place une feuille de route pour mettre en œuvre cette politique.

Par ailleurs, l’entreprise doit être au centre de ces politiques, il ne peut pas en être autrement. Tant que l’on ne met pas en place ces éléments, on n’arrivera pas à réellement développer les exportations.

L’Afrique est une cible importante pour le gouvernement. L’Algex a-t-elle une connaissance du marché africain ?

Du point de vue politique, l’Afrique est un partenaire stratégique pour l’Algérie. Mais cette position politique doit être accompagnée par une politique commerciale et économique envers les pays africains. Ce n’est pas le cas actuellement. C’est vrai que nous avons des liens très forts avec la plupart des pays africains, mais du point de vue économique, l’Algérie est absente ou très peu présente sur ces pays. Contrairement à d’autres pays, comme nos voisins, qui sont très actifs sur le continent.

Nous connaissons les marchés africains, puisque nous avons l’habitude d’y aller. Nous avons des accords avec certains pays africains dans le but de développer les échanges commerciaux. Mais il faut aller vers des alliances stratégiques avec certains pays qui peuvent avoir un  rôle important dans la région.

Il faut aussi développer le réseau financier algérien, sur place, pour pouvoir accompagner nos entreprises. Si les banques algériennes ne sont pas présentes, il y a un risque plus important. En effet, ce qui fait peur à nos entreprises est le facteur risque de non-paiement.

Le règlement de la Banque d’Algérie autorise les entreprises algériennes à investir à l’étranger uniquement dans des pays dits «  transparents » (législation, domiciliation fiscale…). Cela n’exclut-il pas de fait la plupart des pays du continent ?

C’est vrai, le règlement est là pour mettre en place des garde-fous pour garantir de la transparence. C’est tout à fait normal. Pour cela il faut une transparence absolue dans ces pays. C’est vrai que certains pays posent problème sur ce plan et sont classés comme des pays à risque. Mais pas tous.

Les entreprises ont 180 jours pour rapatrier les fonds issus des opérations de commerce extérieur. Est-ce suffisant ?

Ces 180 jours sont largement suffisants. Sauf dans des cas exceptionnels, comme Cuba, où la durée de rapatriement est largement plus longue. Mais dans la majorité des cas, il n’y a pas de problèmes et ce délai est suffisant.

Mais sur d’autres questions, le règlement mérite d’être revu. Notamment sur le fait que l’exportateur, qui en général le fait avec ses propres moyens, puisse avoir la liberté de jouir de l’intégralité des bénéfices rapatriés en devises. Or, pour l’instant, il ne peut utiliser que 20% et le reste est converti en dinars. C’est lié notamment à la non-convertibilité du dinar, mais il faut réfléchir à des mécanismes qui permettent à ces exportateurs réguliers de pouvoir disposer de leurs devises, au moins en revoyant les seuils.

Concrètement, quel est le rôle de l’Algex ?

Du point de vue légal, l’Algex est l’instrument qui est habilité par les pouvoirs publics à exécuter les politiques sectorielles de promotion du commerce extérieur.

Le rôle principal de l’Algex est d’orienter, d’informer et d’accompagner les entreprises qui désirent exporter. Elle conseille, fournit des études de marché, des statistiques, sur les conditions d’accès au marché, sur le système de taxation etc.

Son autre rôle est de fournir les informations pertinentes sur le commerce international aux pouvoirs publics, afin qu’ils puissent orienter la politique générale de promotion des exportations. L’Algex a une troisième mission qui consiste à identifier toutes les potentialités pour diversifier l’offre exportable algérienne. Enfin, l’agence a également pour but d’exécuter le programme officiel de participation de l’Algérie aux manifestations économiques et commerciales à l’étranger.

On est également habilités à mettre en place des représentations commerciales à l’étranger, mais jusqu’à présent, on n’a pas pu concrétiser cette option, pour diverses raisons. Nous sommes en discussion avec nos partenaires pour trouver la meilleure manière de mettre en place des représentations à l’étranger, dans des pays qui représentent un intérêt particulier.

A-t-elle les moyens (financiers, logistiques…) de pleinement assumer son rôle ?

Pas à 100%, non. Même s’il y a une volonté politique dans ce sens, ça tarde à venir.

L’agence, créée en 2004 est confrontée à certains problèmes, liés à la gestion, car le mode opérationnel actuel ne lui permet pas la fluidité et la facilité dans la réalisation de ses missions. Les contraintes administratives et budgétaires sont lourdes et freinent l’élan de l’Algex, ralentissent ses capacités d’intervention. Par exemple, nos statuts ne nous permettent pas d’avoir des représentations régionales en Algérie.


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