Un chef d’entreprise dénonce : comment le gouvernement encourage l’importation

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Le gouvernement algérien affiche une volonté de réduire les importations et favoriser la production nationale. Il semble cependant y avoir un grand décalage entre les paroles et les actes. Dans les faits, les entrepreneurs algériens et étrangers qui veulent produire  en Algérie se plaignent, entre autres choses, des lourdeurs de l’administration et d’une politique fiscale désavantageuse. TSA vous relate un cas concret de ce décalage entre le discours officiel et les faits.

Depuis 2010, TP Marine Algérie construit des bateaux semi-rigides et pneumatiques. Elle fournit des embarcations semi-rigides à la Marine Nationale et aux Gardes côtes notamment, tout en assurant la maintenance des anciennes embarcations.

Ses chantiers se trouvent à l’ouest d’Alger. Le travail est réalisé en partenariat avec une société néerlandaise. Mais contrairement à ce qu’on peut penser, produire en Algérie n’est pas forcément plus avantageux que d’importer.

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La concurrence tunisienne

Les droits de douane appliqués pour l’importation d’intrants et matières premières pour la production de ces bateaux sont pratiquement tous fixés à 30%. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’établie, quant à elle, à 17%. Par exemple, la différence de prix d’un bateau en hors-taxe et en toutes taxes comprises est de 700 000 dinars, selon un document fourni par la société TP Marine Algérie.

Dans le même temps, en Tunisie, le fabricant de renommée mondiale, Zodiac, produit des embarcations similaires dans une zone franche. Il est donc exempté de droits de douane et de TVA pour l’importation des intrants. De plus, avec la mise en place d’un accord commercial de libre-échange entre la Tunisie et l’Algérie, les produits importés de ce pays voisin bénéficient de droits douanes à 0%. Mieux, depuis le 1er janvier et l’entrée en vigueur de la Loi de finances, l’importateur paye le même IBS (Impôts sur les bénéfices) que le producteur local.

Par conséquent, les bateaux fabriqués par Zodiac arrivent sur le marché algérien avec un prix inférieur de près de 30% à celui du produit local. Un avantage en compétitivité non-négligeable qui exerce une pression sur TP Marine.

Rachid Bousdira, PDG de TP Marine, réclame au gouvernement d’être mis, au moins, sur un pied d’égalité avec les concurrents étrangers. Il dresse un constat sans appel : si les conditions ne changent pas d’ici le mois de juillet, il va « fermer boutique » ou « délocaliser sa production en zone franche, en Tunisie ».

10003913_825167780839552_8194896042386150264_nBureaucratie et la lourdeur des administrations

Un autre facteur qui décourage la production nationale réside dans les procédures administratives et réglementaires. Les délais de traitement des dossiers par les services concernés, la complexité et le nombre de documents demandés à chaque procédure constituent un casse-tête pour les entrepreneurs qui se perdent dans les méandres de la bureaucratie.

Par exemple, la société TP Marine Algérie importe une colle spéciale pour la fabrication des flotteurs des bateaux. Cette substance est considérée comme un produit dangereux. Elle est donc soumise à un agrément par une commission composée de plusieurs organismes étatiques (DRS, Sûreté nationale, ministère de l’Energie, des Mines…), selon Rachid Bousdira. Les délais d’octroi de l’autorisation d’importation sont au mieux de 6 mois, voire d’une année.

Or, la colle en question a une durée de vie d’une année et ne peut pas être stockée au-delà de cette période, précise notre interlocuteur. En conséquence, la demande de renouvellement de l’agrément se fait tous les ans. Au vu de la durée de traitement du dossier, TP Marine se retrouve souvent en rupture de stock d’un composant essentiel pour son activité. Ce qui crée des retards dans la livraison et les ouvriers sont quasiment au chômage technique.

Par ailleurs, les embarcations semi-rigides doivent faire l’objet d’une homologation par le ministère des Transports. Le PDG de TP Marine affirme avoir soumis un dossier, le 3 décembre 2012. Selon lui, la commission ne s’est, à ce jour, toujours pas réunie.

10708_825168394172824_3288626845762653680_nLe foncier, un frein au développement des activités

Les nouvelles zones industrielles modernes promises par le gouvernement tardent à voir le jour. Selon Rachid Bousdira, elles ne seront pas livrées avant deux ou trois ans alors que la question du foncier constitue un problème de taille depuis de nombreuses années.

Le chef d’entreprise affirme devoir payer plus de 10 millions de dinars de loyer par an, pour ces différents locaux. Mais il est contraint de séparer ses activités (construction des coques et fabrication des pneumatiques) sur plusieurs sites, ce qui constitue une perte de temps et d’argent.

Rachid Bousdira estime avoir besoin de 3000 m² au bord de la mer, pour rassembler ses différentes activités et ainsi gagner en productivité et en efficacité. Or, il n’arrive pas à obtenir de terrain : malgré ses nombreuses démarches auprès de la wilaya de Tipaza et un avis favorable de cette dernière, il attend toujours l’octroi d’un terrain.

Selon le PDG de TP Marine Algérie, seul le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, s’est montré sensible et compréhensif. Il aurait promis de faire en sorte d’accélérer la procédure pour l’obtention d’un terrain à Alger. Cela dit, M. Bousdira n’a toujours pas eu de nouvelles depuis plusieurs mois, selon lui. 

1604910_686268534729478_1016264479_nAppels d’offre remportés puis annulés

Les services de la Direction Générale de la Protection Civile (DGPC) ont lancé une série d’appels d’offres pour l’acquisition de 85 bateaux à fond plat pour les interventions en zones inondées. L’entreprise TP Marine a soumissionné et remporté 4 appels de ces appels d’offre. Mais ces marchés ont été annulés par la suite, sans raisons apparentes, selon Rachid Bousdira.

« Nous avons même fabriqué un modèle spécialement pour eux, avec le sigle et aux couleurs de la DGPC. Ce bateau a été mis à leur disposition à leur niveau pendant 4 mois mais ils n’ont même pas daigné y toucher » affirme Rachid Bousdira. « Ils préfèrent acheter à l’étranger mais ils sont bien contents de nous trouver pour leur faire des réparations », poursuit-il.

La même source précise que la société a été éjectée pour des raisons techniques incompréhensibles. Dans une lettre de la DGPC, une des raisons invoquées est le fait que les documents présentés étaient en langue anglaise. Pourtant, M. Bousdira affirme que le seul document en anglais était un certificat du cabinet britannique Lloyds, déposé comme supplément au dossier demandé. Un deuxième marché attribué a finalement été rejeté pour une question de terminologie. Le cahier des charges demandait un « plancher antidérapant » sur les embarcations : TP Marine a proposé un « plancher en  peinture antidérapante », ce qui revient au même selon le P-DG.

Par ailleurs, Rachid Bousdira estime que ces refus à répétitions posent une question essentielle : un appel d’offre est censé répondre à un besoin. S’agit-il d’une urgence, qu’on se permet de reporter, au mépris de la prise en charge d’un risque réel ? Ou s’agit-il d’une commande « loufoque » qui n’est pas prioritaire ?


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