ENTRETIEN. Hafid Derradji : « On n’est pas arrivé à professionnaliser notre football »

Hafid

Hafid Derradij est journaliste à BeINSports. Dans cet entretien, il parle de football algérien et des chances de l’Algérie à organiser la CAN 2017.

On constate l’absence de joueurs locaux dans la liste des 23 convoqués par Gourcuff pour prendre part à la CAN 2015 en Guinée Equatoriale, qu’en pensez-vous ?

Premièrement, s’il y a des joueurs qui peuvent apporter un plus à l’équipe nationale, je pense que le sélectionneur va les convoquer. Deuxièmement, c’est un débat un peu archaïque, moi je préfère qu’on parle de projets, de stratégie et de l’avenir du football algérien. En plus, on doit respecter les choix de l’entraîneur, qu’il choisisse des joueurs locaux, ou des joueurs évoluant à l’étranger, ce sont tous des professionnels. Il faut dépasser ce genre de débats et parler tout simplement d’une équipe algérienne.

Les joueurs bi-nationaux créent souvent la polémique. Ils sont considérés comme des étrangers. Que pensez-vous de cela ?

Malheureusement, c’est nos techniciens algériens qui essayent de créer ce débat, car ils n’ont pas d’autres choses à dire. Au lieu de parler d’une identité de jeu, d’une manière de développer le football algérien, ils préfèrent parler de joueurs locaux et étrangers. Partout dans le monde, personne ne parle de ça, sauf en Algérie. Ailleurs, les gens ont dépassé cette polémique. Pour moi, ce sont tous des joueurs algériens qui aiment leur pays et qui se donnent à fond sur le terrain.

Fekir hésite toujours entre les Verts et les Bleus. Est-ce que ça ne donne pas raison à ceux qui doutent de sa bonne foi ce qui alimenterait ainsi cette polémique ?

Ça peut être un cas et ce n’est pas une règle. Fekir a seulement 21 ans. Il n’a pas encore choisi. Ce joueur n’a pas de place dans l’EN. Il ne peut pas jouer à la place de Feghouli ou de Brahimi. Il pourra être considéré comme un joueur d’avenir, mais pas avant 4 ou 5 ans. Même si Nabil Fekir n’a pas tranché son avenir, mais je suis sûr qu’il choisira l’Algérie. Cette polémique est créée par certains organismes de presse et certains de nos techniciens. Elle n’a pas lieu d’être. Même si Fekir rejoint maintenant l’EN, il ne pourra pas être titulaire à part entière, car la sélection regroupe de très bons joueurs.

Il y a quelques jours, vous avez déclaré sur une chaîne TV que l’Algérie n’organisera pas la CAN 2017. Comment pouvez-vous affirmer cela ?

Vous me donnez l’occasion d’apporter quelques précisions. J’ai bien dit qu’il y avait 90% de chances que l’Algérie n’organise pas la CAN 2017. Elle peut être un pays hôte. Mais par rapport à beaucoup d’éléments, je préfère ne pas tout dire maintenant. J’attendrai le bon moment. Brahimi méritait de concourir pour le Ballon d’Or Africain. Il n’a pas été sur la liste. C’est donc une manière de sanctionner l’Algérie. On constate une contradiction dans le discours officiel algérien. Comment peut-on proposer d’organiser la CAN 2017 alors que l’Algérie n’est pas prête à accueillir un tel événement ? Il ne faut pas oublier que l’Algérie s’est portée candidate pour l’organisation de la CAN 2019 et celle de 2021 et qu’elle a perdu. De plus, l’Algérie a été solliciter pour porter secours à la CAF et organiser la CAN 2015, mais les autorités algériennes ont répondu « Non ». J’imagine donc que la CAF va répondre négativement à la candidature algérienne.

Les autorités ont dépensé plus 41 000 milliards de centimes dans le secteur du sport, mais il y a toujours un manque d’infrastructures. Où est passé cet argent ?

D’après le ministre des sports, plus de 51 000 milliards de centimes ont été dépensé depuis 2001. Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de stratégie et d’hommes. Il faut instruire des stratégies pour le long terme. Concernant les infrastructures en Algérie, cela fait près de dix ans qu’on parle de stades à Sétif, Oran, Tizi Ouzou et Baraki, et ces stades n’ont toujours pas vu le jour. Pourquoi ? Sans parler d’autres infrastructures qui sont dans un état catastrophique voire complètement fermées. Il faut vraiment se demander où est passé cet argent ? Surtout quand on voit que le budget de la Fédération de Football est de 35 milliards de centimes. Ce montant n’est même pas le quart de celui du budget de l’Espérance de Tunis. La Fédération d’Athlétisme a un budget de 800 000 Dollars alors que celle du Maroc fonctionne avec 12 millions d’euros. Ce qui signifie que le budget annuel au Maroc équivaut à celui de l’Algérie durant 15 ans. Il y a un grand problème de gestion dans ce domaine, ce qui a donné un sport algérien chaotique, sauf au niveau de l’équipe nationale de Football. L’arbre qui cache la forêt.

L’EN est l’une des équipes favorites pour la prochaine CAN, après son glorieux parcours durant la phase qualificative, et à la dernière coupe du monde. Que pensez-vous de ses chances de remporter le titre ?

Théoriquement, nous sommes favoris, mais nous avons un grand morceau à jouer. Notre groupe est très difficile. Je pense qu’il est vraiment stimulant de jouer contre le Ghana, le Sénégal, ou encore l’Afrique du Sud. Mais il ne faut pas oublier que c’est l’Afrique. Ça se joue sur des petits détails qu’on ne maîtrise pas totalement, comme l’arbitrage, le climat, l’état de la pelouse des terrains, et aussi l’absence de public algérien. Tout est réuni pour faire un bon tournoi, sauf ces détails qu’on ne maîtrise pas. Si on y arrive au final ce sera tout de même un exploit.

Aux dernières nouvelles, Belkalem et Abid seront absents de la CAN 2015. Cela influencera t-il les choix de Gourcuff ?

Je ne le pense pas. Aujourd’hui pour l’EN, il n’y a pas beaucoup de difficulté en cas d’absence d’un ou deux joueurs. Lors du dernier Mondial au Brésil, on jouait chaque match avec quatre ou cinq joueurs différents.

Que pensez-vous du niveau du championnat Professionel du football algérien?

Je voudrais attirer l’attention sur une chose que nos techniciens ont peut-être loupée. Après 15 journées, le leader a seulement 27 points sur les 45 possibles, c’est très peu. Je ne trouve pas une grande différence entre le premier et le dixième du classement. Mis à part les trois derniers clubs du classement, toutes les autres équipes peuvent gagner le titre. On constate l’absence d’un club qui dominerait le championnat et qui pourrait se montrer supérieur, par rapport aux autres. La catastrophe du MC d’Alger, qui, malgré un meilleur effectif que celui des autres clubs, se retrouve à lanterne rouge. Je pense que le problème est beaucoup plus psychique et administratif, que technique. De plus, nos entraîneurs sont tous dépassés. Un entraîneur qui fait trois à quatre équipes par an. Un entraîneur qui ne reste pas, au moins, une année ou deux ans dans un club. Ils n’ont même pas bénéficié de recyclage. Ils travaillent toujours avec des méthodes anciennes. Peu d’entraîneurs ont été formés. On est très loin du professionnalisme.

Que dites-vous de la violence dans les stades algériens?

Ce n’est pas un phénomène nouveau. Je ne pense pas qu’il soit lié au football uniquement. C’est un phénomène social. Je me suis souvent dit qu’on avait heureusement des stades où nos jeunes pouvaient aller se défouler. Ils ont beaucoup de soucis et de problèmes. Franchement, c’est malheureux d’arriver au point de déplorer la perte de vies humaines. Que ce soit dans les tribunes ou sur le terrain, il faut que la société civile assume ses responsabilités, et accompagne ces jeunes pour que la situation ne continue pas à s’aggraver.

Après quatre ans, comment qualifiez-vous le professionnalisme en Algérie ?

On n’est pas arrivé à professionnaliser notre football. Car le professionnalisme ne se décide pas. Il y a des mesures qui doivent être prises en considération par les autorités, les organes sportifs, les sponsors, et par le public. Tout devrait marcher ensemble. La presse aussi a joué un mauvais rôle dans cette affaire. Il n’y a qu’à regarder les titres de nos organismes de presse, surtout spécialisés. Vous ne trouvez pas une seule synthèse ou analyse qui oriente l’opinion publique, et qui explique ce qui se passe vraiment. Il nous faut encore beaucoup de travail et de patience pour y arriver.


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