EXCLUSIF. Air Algérie : Wahid Bouabdellah nous dit tout

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Wahid Bouabdellah a dirigé Air Algérie.

En quoi consiste le différend opposant Air Algérie au groupe canadien SM International, actuellement en procédure d’arbitrage international ?

C’est un différend commercial très banal. Tout a commencé avec l’arrivée de la nouvelle équipe à la tête de la compagnie. La nouvelle direction a, d’abord, licencié le chef de projet pour faute grave et désigné un autre qui venait de l’EGSA (Entreprise de gestion de service aéroportuaire où l’actuel P-DG travaillait auparavant). Le nouveau chef de projet n’avait pas l’habitude de gérer des projets de cette dimension.

Ensuite, le bureau d’études Khatib & Allami voulait absolument sortir du cadre du contrat qui le liait à Air Algérie. Il a réussi à le faire en modifiant notamment le plan initial du projet. L’entreprise de construction canadienne n’avait pas le nouveau plan modifié. Elle était donc bloquée. C’est devenu un dialogue de sourds entre les deux parties. Air Algérie a fini par résilier le contrat en gardant les cautions de SMI.

N’y a-t-il pas eu une tentative de trouver un arrangement ?

SMI avait demandé un arrangement à l’amiable mais Air Algérie n’a pas répondu. Le groupe canadien n’avait d’autres issues que l’arbitrage international. Malheureusement pour Air Algérie, il avait de très bons arguments pour sa défense : non fourniture du plan modificatif et changement des structures du bâtiment en pleine construction sans qu’il ne soit mis au courant. Air Algérie a demandé au tribunal international de les expulser du site. Elle a été déboutée. En parlant de corruption, on a voulu politiser l’affaire et responsabiliser des gens qui n’avaient plus aucun lien avec le projet. En fait, on a voulu cacher le manque de clairvoyance dans la gestion d’un projet aussi important. Car quand on gère un tel dossier, il faut prévoir aussi les différends. Et il faut savoir que nous avons en face des étrangers qui sont très bien armés en matière juridique et qui savent bien gérer les contentieux.

Pourquoi ce contrat a-t-il fait l’objet d’une enquête menée par l’Office central de la répression de la corruption ?

Par la fuite en avant et après avoir échoué à mettre au pas la société canadienne, ils ont commencé à parler de marchés frauduleux et de commissions. Bien évidemment, le premier visé était M. Bouabdellah. L’office a lancé l’enquête juste après la résiliation du contrat en 2013. Quand j’ai su que les cadres qui étaient en charge du dossier ont été convoqués, j’ai décidé de prendre mes responsabilités et j’ai appelé le président (de l’office). Il m’avait assuré qu’il n’y avait rien me concernant. J’ai envoyé, tout de même, une lettre où je revenais sur la genèse de l’histoire. J’ai précisé que le projet avait commencé du temps de mon prédécesseur, que j’ai continué ce qu’il avait commencé sur la base d’une étude qui avait déjà été faite.

Un premier appel d’offres a été infructueux. Un second a été lancé avec des critères très sévères. Deux entreprises ont été retenues : l’espagnole OHL et la canadienne SMI dont l’offre financière représentait la moitié de ce qu’avait demandé la première. C’est ainsi que j’ai découvert que la personne qui était à la tête de SMI Algérie était une (ancienne connaissance) avec qui j’avais travaillé quand elle était à Alstom. Chose que je n’avais jamais essayé de cacher. Ils ont essayé de faire croire que c’était mon ami. Cela étant dit, il reste que l’ajout d’un avenant dans le contrat avec le bureau d’étude est contraire à la législation en vigueur car il est interdit par un arrêté ministériel. La signature d’un avenant veut dire aussi que vous faites fi de la commission des marchés. Il faudrait donc le justifier.

Donc vous croyez qu’il y avait une volonté de vous impliquer ?

Oui, il y a eu une volonté de m’impliquer.

Vous accusez qui ?

Moi j’accuse les gens qui n’ont pas eu le courage d’assumer la mauvaise gestion de ce contrat.

Boultif ?

Il se reconnaîtra.

Y a-t-il eu des démarches pour éviter l’arbitrage international ?

Je ne pense pas car ils (Air Algérie) étaient sûrs de leurs droits. Le bureau d’études les a trompés et induits en erreur. En fait, l’actuel P-DG est quelqu’un de sensé. Il n’est pas idiot. Je pense qu’il a été piégé par l’incompétence de son équipe. Donc par entêtement, on va payer beaucoup d’argent alors le siège aurait pu être livré et avec l’ancien prix. Reprendre un chantier interrompu ou changer d’entreprise est une catastrophe.

Qui est responsable dans l’affaire de la saisie de l’avion d’Air Algérie à Bruxelles ?

Le ministère des Transports ! En fait, M. Boultif a demandé son autorisation après le jugement qui était sans appel et qui nous impose de payer 2,5 millions de dollars. Il n’a pas eu de réponse. Il a relancé sans obtenir de réponse. Donc il n’a pas payé faute d’autorisation du ministre. M. Boultif a peur de dire publiquement que ce n’est pas lui le responsable. Mais il a dû l’écrire. Sinon, il aurait été relevé immédiatement de ses fonctions. Certes, il ne va pas le dire dans les journaux mais Air Algérie n’est pas en faute dans cette histoire. Nous sommes arrivés à cette situation suite à un dialogue de sourds et par manque de communication.

K’AIR a eu le marché. Il a payé la première et la deuxième tranche. Il a ainsi commencé à découper les avions et à mettre les moteurs dans les caisses. Pour la troisième tranche, il disait qu’il n’avait pas d’argent et qu’une banque étrangère l’accompagnait en collaboration avec une banque algérienne. Nous avons vérifié et nous avons appris qu’il n’y avait pas de crédit en cours. Mais il n’avait jamais évoqué un problème de documents. D’ailleurs, pour les organes d’avions, il n’y a pas de traçabilité à démontrer car il s’agit de pièces détachées.

Combien coûtera cette affaire à Air Algérie, au-delà des 2,5 millions de dollars payés ?

D’abord, si vous lisez le jugement, vous trouverez qu’il est globalement en faveur d’Air Algérie car il a refusé tout ce qu’a demandé M. Kerboua dont 9 millions de dollars de dédommagement. Pour les frais de l’arbitrage, on a dû payer 200.000 dollars. Les frais de stationnement sont pris en charge par celui qui a saisi l’avion.  Mais l’autre question qu’on ne se pose pas est la suivante : qui avait retiré ces avions de la circulation pour les vendre par la suite en pièces détachées et pourquoi ? Quand je suis arrivé au sein de la compagnie, je les ai trouvés sur le tarmac. Et un avion qui s’arrête plus de trois mois ne peut plus décoller. Ces avions étaient là-bas depuis deux ans. C’est un crime économique.

Pourquoi la compagnie nationale enregistre-t-elle tant de retards ?

Les retards sont dus à plusieurs raisons dont la mauvaise gestion, le manque de communication et le manque de sanctions parce qu’il y a toujours un syndicat qui intervient et se mobilise si vous prenez des décisions. Le retard des passagers pose aussi problème. Chez nous, on attend les gens. On fait aussi attendre l’avion pour les VIP ! Seuls les commandants de bords qui ont une forte personnalité l’interdisent. Les autres ont peur de la sanction. L’arrivée des équipages en retard pose également problème. Et puis il y a à l’enregistrement, le problème des tapis bagages qui bloquent parfois, les gens non-disciplinés, la police. Quand il y a un retard au départ, tout est chamboulé. Mais le responsable des retards est la direction de la compagnie.

Pourquoi les prix des billets sont-ils aussi élevés ?

Nous avons un accord bilatéral signé avec chaque compagnie, agrée par le ministère des Transports, qui n’a pas été modifié et à travers lequel nous avons enrichi des entreprises étrangères.

Comment solutionner ce problème ?

L’Etat peut libéraliser les prix pour les Algériens. Actuellement, Air Algérie bénéficie de subventions qui suppriment entièrement le déficit d’exploitation. Pourquoi subventionner tout un vol vers le sud et vers certains pays comme la Russie ? Il faut subventionner la personne et non tout un vol. Le pétrolier et l’homme d’affaires doivent payer le plein tarif. Pourquoi subventionner les vols vers l’Afrique alors que ce ne sont pas les Algériens qui sont sur le vol par exemple ? D’ailleurs, pour l’Afrique, on n’a pas le même soutien politique de la RAM (la compagnie marocaine). On ne pourrait jamais être performants sur ce continent. Le système de tarification des billets est obsolète aussi et doit être audité. Et quand la presse me posait la question (sur les tarifs), j’avais la même réponse que M. Boultif : c’est un problème d’offre et de la demande. Je me défendais.

 Faut-il des accords bilatéraux avec les compagnies étrangères ?

Oui. L’Algérie est un gisement extraordinaire pour ces compagnies étrangères. Pour deux heures de vols, Air France fait payer au passager le plein tarif alors que les flux de passagers sont générés à partir de l’Algérie et non vers l’Algérie.

L’ouverture du ciel va-t-il améliorer la situation ?

Je pense que l’ouverture du ciel est, d’abord, une question d’ordre politique. Il faut savoir si on veut avoir plus de touristes et d’hommes d’affaires étrangers. Et quand bien même on le voulait, où va aller votre touriste ou l’homme d’affaires ? L’ouverture du ciel est un tout. Pour l’ouverture du secteur au privé (algérien), rien ne bloque. Il faut savoir que les gens ne veulent pas investir dans l’aviation. Ce genre de projets coûte très cher et personne ne s’aventure à gérer les PN (personnel navigant).

Air Algérie est-elle réellement en sureffectif ?

La compagnie est aujourd’hui en sous-effectif en matière de personnel navigant et en matière de personnel technique au sol. Et là aussi il faut se poser certaines questions : pourquoi a-t-on arrêté 80% des ateliers de maintenance ? Pourquoi payer un milliard de dinars pour faire partir tout le monde dont 450 ingénieurs et techniciens de la maintenance ? C’était avant que je n’arrive. On a même fait partir des pilotes en les payant. Par contre, la compagnie est en sureffectif administratif. Mais celui-ci peut être résorbé à travers une filialisation. En fait, le problème de l’effectif n’est qu’un épouvantail.

Est-ce que le P-DG d’air Algérie a une grande marge de manœuvre pour faire face à ces problèmes ?

J’avais le pouvoir de décision même si on me faisait beaucoup de rappels à l’ordre. En fait, on ne donne jamais une feuille de route au P-DG d’Air Algérie qui est très mal rémunéré d’ailleurs. Il a un salaire de près de 250.000 DA par mois avec toute la pression. Le pilote a 500.000 DA, sans les primes. Aujourd’hui, je plains le P-DG de la compagnie. Je suis très content de ne plus avoir cette responsabilité.


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