Entretien. Abderrezak Mokri, président du MSP : « La révision constitutionnelle ne doit pas avoir lieu avant la présidentielle anticipée »

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Abderrezak Mokri est le président du MSP, membre de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD). Dans cet entretien, il revient sur les événements de Touggourt, la révision constitutionnelle et son voyage en Malaisie, Pakistan et en Turquie.

Quelle lecture faites-vous des émeutes qui ont secoué vendredi Touggourt ?

Ce qui s’est passé rentre dans le cadre du processus de l’échec du pouvoir dans le sens où il montre sa faillite dans la résolution des problèmes de la société algérienne. Ces jeunes sont sortis dans la rue pour demander l’amélioration de leurs conditions de vie. Et aujourd’hui, nous avons vu le ministre de l’Intérieur et le DGSN faire des promesses. Pourquoi attendre des émeutes pour répondre favorablement aux revendications des jeunes ? C’est un gouvernement qui gère les choses au jour le jour. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de vision, ni un développement économique stable.

L’opposition dont vous faites partie n’a pas alerté l’opinion publique sur le cas de ces jeunes qui ont passé trois jours à manifester avant l’éclatement des émeutes ?

Peut-être que vous parlez de l’opposition qui n’a pas de structures locales dans ces régions. Le MSP est le seul parti politique de l’opposition qui est présent de par ses moyens dans les 48 wilayas du pays. C’est-à-dire de par la volonté de ses militants. Et personnellement, j’ai obtenu des informations sur ce qui s’est passé via nos propres structures. Dès que les jeunes avaient commencé à se mobiliser, les représentants du parti ont rencontré le wali et les autorités locales pour alerter et essayer d’apporter leur aide. Mais il n’y a pas eu de réponse dans l’immédiat. Au début, c’étaient des manifestations qui étaient dans la limite de la normale. Nos représentants étaient là-bas pour régler le problème. Pourquoi ajouter de l’huile sur le feu et parler de cela dans la presse ? Si on l’avait fait, on va se donner l’image d’un parti qui est en train de faire de la surenchère politique. Lorsqu’il y a eu du sang, on a parlé. Et s’il faut qu’on descende à Touggourt, on le fera.

Qu’avez-vous obtenu comme éléments sur ces émeutes via vos structures ?

Ces jeunes (manifestants) ont déjà manifesté, depuis quelques mois, et le wali leur avait promis de satisfaire leurs revendications. Ils ont trop attendu et ont fini par sortir dans la rue et fermé la route pour attirer l’attention des autorités. Il y a eu une intervention musclée. Des services de sécurité ont tabassé les jeunes et il y aurait eu des tirs à balles réelles, selon nos informations. Mais il faut une commission d’enquête pour être sûr de la véracité de ces informations et des circonstances.

Vous appelez à une élection présidentielle anticipée. Comment comptez-vous imposer cette option ?

Un parti politique développe des idées, formule des propositions, milite, organise des manifestations, des sit-in, des marches lorsque cela est permis. Il tient des points de presse, fait comprendre sa démarche aux citoyens via un travail de proximité. Mais il ne peut pas imposer quelque chose à l’État. La responsabilité incombe au pouvoir. Un parti politique peut imposer des choses dans un État de droit et donc dans un État démocratique. Il peut imposer quelque chose lorsqu’on lui permet de manifester dans la rue. Regardez ce qui s’est passé à Touggourt. On ne cherche pas la confrontation. Toutefois, il ne faut pas oublier que le pouvoir est confronté à une crise très profonde. Nous formulons des propositions pour que ces crises ne s’élargissent pas et emmènent le pays vers l’effondrement. Et ce sont ces problèmes sociaux et économiques qui vont imposer des choses au pouvoir. Ce n’est pas nous.

Amara Benyounes vous accuse d’appeler à un coup d’État…

L’opposition n’a pas fait appel à l’Armée pour faire un coup d’État. Elle a dit que le système est en faillite, que le Président ne peut pas gérer le pays, qu’il y a une vacance de pouvoir. Une vacance qu’on constate dans les instances internationales et dans des crises comme celle de Touggourt. L’opposition dit qu’il faut régler le problème démocratiquement par l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Est-ce un appel à un coup d’État ? Cependant, je comprends ces gens-là. Ils ne savent pas faire de la politique, ne connaissent pas le sens de la politique, ne sont pas instruits politiquement. C’est de la médiocrité politique. Dire qu’un appel à des élections anticipées est un appel à un coup d’État relève de l’ignorance politique. Et je ne parle pas de Amara Benyounès seulement. Tout le personnel politique en faveur du pouvoir en place est comme ça.

Pensez-vous que le départ de Bouteflika est suffisant pour résoudre la crise ?

La plateforme de Zéralda est un programme politique complet de transition. D’abord, nous savons très bien que le problème n’est pas seulement lié au président de la République et c’est pour cette raison qu’on parle de transition démocratique. Ensuite, nous avons bien dit qu’on ne peut pas accepter des élections présidentielles anticipées avant l’installation de l’instance nationale indépendante pour la gestion des élections. Une transition doit commencer par cette instance. Même s’ils vont vers des élections anticipées sans cette instance, ce sera la même chose pour nous.

Le président Boutelfika a réaffirmé que l’Algérie va procéder à la révision de la Constitution. Allez-vous prendre part à d’éventuelles consultations ?

Pourquoi participer ? Y a-t-il quelque chose qui a changé ?  On ne change pas nos positions si les conditions ne changent pas. Nous voulons des consultations réelles comme c’est indiqué dans notre plateforme. La révision constitutionnelle ne doit pas avoir lieu avant l’élection présidentielle anticipée.

Comment allez-vous manifester votre refus concernant la révision constitutionnelle ?

Par tous les moyens politiques et démocratiques : les meetings ; les points de presse ; les communiqués ; le travail de proximité ; les marches lorsqu’on nous permettra de marcher. Beaucoup de gens veulent que l’opposition se précipite vers l’affrontement. Même le pouvoir en place le souhaite. Car lorsqu’elle ira vers l’affrontement, l’opposition va s’effriter dans le sens où il y a ceux qui accepteront et d’autres qui diront non. L’opposition a su garder le minimum qui pourra maintenir son union, c’est-à-dire de lutter pacifiquement et fermement pour la transition démocratique. Mais il n’y a pas seulement les partis politiques qui exercent une pression sur le pouvoir politique. Il ne faut pas oublier la société civile, la presse et les aléas de l’économie et des conditions sociales. Le pouvoir politique est en train de souffrir. Pour la révision constitutionnelle, son souci maintenant est de savoir comment faire pour gagner quelques partis et quelques personnalités à leur cause. Et ils en ont gagné quelques-uns.

Faites-vous allusion au FFS ?

Le FFS, bien sûr. Ils ont encore essayé de gagner le MSP, mais ils n’ont pas pu le faire.

Vous rentrez d’une tournée en Malaisie, du Pakistan et de la Turquie. Qu’avez-vous fait dans ces pays ?

En Malaisie, j’ai participé au colloque de Kuala Lumpur présidé par Mahathir (homme politique malais) pour présenter un sujet de recherche sur l’État civil. Et c’était une occasion pour discuter de leur expérience. C’est un pays qui s’est industrialisé. Le Pakistan, malgré ses grands problèmes, est un pays qui a la bombe nucléaire, qui fabrique ses armes, ses médicaments et qui a assuré sa sécurité alimentaire. La Turquie est devenue une puissance essentielle avec l’Allemagne en Europe. Aujourd’hui, ils proposent de la technologie au monde arabe. En fait, ce sont des Musulmans qui réussissent. Ils ont pu bâtir des États modernes.

Pensez-vous que les partis islamistes ont encore des chances de réussir en Algérie après le traumatisme de la décennie noire ?

Je pense qu’ils ont beaucoup de chances à condition qu’il y ait de la démocratie. Je ne dis pas que nous serons seuls, mais nous serons parmi les forces politiques les plus importantes dans le pays. On est le parti politique le plus important dans l’opposition, le plus fort et le plus présent qui développe beaucoup d’idées.

L’échec d’un parti comme Ennahda en Tunisie ne vous décourage-t-il pas ?

Au contraire ! Lorsqu’un parti islamique arrive en deuxième position et accepte les résultats, ça nous réconforte. Cela veut dire que l’expérience est en train de survivre et que le chemin est ouvert devant nous. Nous acceptons le jeu démocratique.


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