La chronique de Hafid Derradji. Un million et demi de martyrs et des millions de catastrophes et de scandales !

Hafid Derradji

J’ai reçu cette semaine une lettre d’un Algérien, docteur en économie et en droit et directeur général d’une grande entreprise en France. Il estime que mes écrits sont exagérés, comme le prouvent les chiffres et les indicateurs qu’il a eu la bienveillance de me transmettre. Je ne pourrais douter de ces chiffres et de ces indicateurs. Mais l’auteur de la lettre met en cause ma bonne foi et considère que mes écrits sont loin de la réalité ou exagérés. Il m’explique, dans sa lettre que l’Algérie va bien et que tous les indicateurs prédisent de bonnes perspectives pour le pays.

Je partage avec vous quelques extraits de la lettre, avant de poursuivre :

« À lire Monsieur Derradji, j’arrive à douter du contenu de la conférence que j’ai donnée jeudi 26 octobre en France sur le thème, Algérie : perspectives et réalités économiques et politiques. En effet, la première partie de mon exposé portait sur les indicateurs de l’économie algérienne. Ces indicateurs sont tous au vert, si l’on excepte le niveau de chômage -11% de la population active – et surtout le chômage des jeunes. La croissance du PIB est de 3.5% en 2013, l’endettement extérieur est de 0,06% ; soit 300 millions d’euros alors qu’il était de 20 milliards à la fin des années 90. L’excédent du commerce extérieur représente 2% du PIB… De nombreux pays nous envient ces résultats, les réserves en devises approchent le niveau du PIB et je passe sur les 172 milliards de dollars investis dans les infrastructures, routes, chemins de fer, hôpitaux, etc.

Je précise que les données économiques que j’avance viennent d’institutions internationales, tels que la banque mondiale, le FMI…

Soit les données économiques émanant de ces instances sont fausses, soit Monsieur Derradji s’érige en procureur que n’importe quel visiteur de l’Algérie peut aisément contredire.

La deuxième partie de mon exposé était consacrée à la réalité politique, et je disais la réelle volonté du chef de l’État comme du gouvernement à assurer cette transition démocratique, en invitant l’ensemble de la classe politique à participer, à proposer une nouvelle Constitution…

C’est, du moins, le sentiment que je ressens profondément en tant que citoyen »

Si ces indicateurs sont vrais et prédisent un avenir glorieux comme le pense le docteur, alors ceux auxquels je fais allusion à chaque fois sont aussi tangibles et avérés et sont le fruit d’études menées par des organismes nationaux et internationaux qui évoquent « le pays des un million et demi de martyrs » comme « le pays des millions de scandales, des catastrophes » qui est au bord de l’implosion :

Indépendamment de l’impasse politique dans laquelle nous vivons dans l’ombre d’un président incapable d’exercer ses fonctions et le mythe mensonger et perpétuel sur la stabilité, les réformes politiques et la révision de la Constitution, on vit au quotidien la régression du rôle des institutions et la régression des libertés publiques. Alors  « oui », l’Algérie en chiffres est devenue le pays des millions de scandales, du pillage et de la corruption tels que les scandales de Sonatrach, de l’autoroute Est- Ouest, du métro, de l’argent du secteur agricole et de la plupart des projets de développement dont l’investissement a atteint les 800 milliards de dollars depuis l’avènement de Bouteflika, sans que cela n’ait un impact positif sur la vie quotidienne des Algériens. Le métro qui reste inachevé jusqu’à aujourd’hui, le malheureux tramway et les routes mal construites en sont les illustrations quotidiennes.

L’Algérie a vu le docteur émigrer et moi aussi, et avec nous, plus d’un million de jeunes algériens sous l’ère Bouteflika, pour fuir l’injustice, l’oppression et le sous-développement. Une Algérie de plus d’un million de chômeurs et de quatre millions de personnes souffrant de troubles mentaux et psychologiques à cause des soucis et des problèmes. L’Algérie, où plus de 4 000 personnes meurent chaque année dans des accidents de la circulation en dépit des dépenses consenties pour la construction et la réhabilitation des routes. Ces chiffres sont émis par des institutions nationales officielles !

L’Algérie en chiffres ; c’est aussi 150 cas de divorces par jour en 2013 et un taux chiffré à des milliers d’enfants et de jeunes en déperdition scolaire, un taux de criminalité aussi élevé que l’est le taux de trafic et de consommation de drogue et de suicide et autres crimes de délinquance qu’on ne pourrait imaginer prendre de telles proportions dans un pays qui dépense plus de 150 milliards de dollars par an sans que cela ne se reflète positivement sur la vie quotidienne des Algériens !

L’Algérie d’un million et demi de martyrs, qui a célébré le 60e anniversaire du déclenchement de sa Révolution, ne possède pas un projet de société clair. Son système intellectuel, culturel, éducatif, économique et sportif est en échec en raison de l’absence d’une stratégie nationale pour la renaissance de la Nation.

Cependant, la stratégie du pillage et de la corruption est en plein essor et le désir de rester au pouvoir en utilisant tous les subterfuges sont omniprésents. Notre honorable docteur parle d’un climat politique approprié et d’une croissance économique accrue qui appartiennent probablement à l’entreprise qu’il dirige, mais sûrement pas à l’Algérie pour laquelle des hommes se sont sacrifiés !

derradjih@gmail.com


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