Tensions algéro-marocaines : « Il y a un déficit de légitimité des régimes en place »

marocalgerie

Louisa Ait Hamadouche est politologue. Dans cet entretien, elle explique les raisons de la nouvelle escalade dans les relations algéro-marocaines.

Comment expliquez-vous la nouvelle escalade dans les relations entre l’Algérie et le Maroc ?

On est face à une escalade dans le discours qui n’a rien de nouveau dans la mesure où l’un des deux États est coutumier de ce discours plutôt agressif. Ce n’est pas la première fois que le Maroc porte une telle accusation à l’égard des forces armées algériennes. Et ce n’est pas la première fois que l’Algérie réagit, se défend et répond en affirmant que le Maroc fait dans la pure manipulation. On est dans un échange « d’amabilités » assez traditionnel entre ces deux pays. Je pense que c’est l’élément structurel et permanent (qui explique ce qui se passe, NDLR). Concernant cet élément, il y a souvent une volonté de part et d’autre d’exporter les tensions internes pour les transformer en tensions externes. C’est le propre des gouvernants en général et des gouvernants en déficit de légitimité en particulier. Et donc là, on voit bien que c’est l’aspect structurel des relations algéro-marocaines.

Y-a-t-il des éléments conjoncturels à l’origine de cette escalade ?

L’aspect conjoncturel tend à conforter cette analyse. Du côté marocain, le gouvernement est en proie à des tensions internes importantes. Il est confronté à une contestation sociale et à des mouvements de grève, motivés par le fait que le gouvernement n’a pas tenu les promesses faites pendant la campagne électorale. Donc, le gouvernement est en difficulté sur le plan interne. Le Maroc n’a pas aussi de rente pétrolière. Donc, il a une difficulté à répondre favorablement aux revendications sociales et économiques. Au niveau international, il y a le fait que le dossier du Sahara occidental soit d’actualité avec le dernier rapport de Human Rights Watch (HRW) qui n’était pas favorable au gouvernement marocain.

Du côté algérien, la situation n’est pas plus apaisée avec des tensions internes accrues. Sur le plan économique, nous assistons à l’effondrement du prix du pétrole qui attise les critiques quant aux choix économiques faits par le gouvernement. Sur le plan politique, il y a des critiques acerbes compte tenu de l’absence de réformes et d’avancées depuis l’élection présidentielle (Constitution non adoptée). Sur le plan social, les mouvements sociaux n’ont jamais été aussi potentiellement déstabilisateurs avec notamment la contestation née au sein de la police nationale. Et sur le plan sécuritaire, nous avons la persistance de l’insécurité et des menaces sur toutes les frontières de l’Algérie. Le gouvernement algérien n’est pas dans une situation confortable. Au final, il y a toujours un contexte et une conjoncture qui alimentent un discours mutuellement hostile.

Quelles seront les conséquences de cette énième escalade ?

Probablement aucune. Les tensions actuelles s’inscrivent dans les relations que les deux pays ont construites depuis leurs indépendances respectives. Ces deux pays sont constamment dans une relation de rivalité, extrêmement dommageable à l’échelle maghrébine. Parce qu’elle hypothèque toute possibilité d’intégration régionale et elle freine une coopération bilatérale indispensable à la sécurité et au développement des deux pays.

Concernant la stabilité de ces deux États, je dirais qu’elle est en rapport avec ces tensions qui sont alimentées ou reviennent de façon cyclique. Ces États sont les plus stables de la région, c’est incontestable ! Sauf que cette stabilité n’est pas fondée sur un développement économique et une sécurité durable. C’est une stabilité essentiellement sécuritaire puisque ces deux régimes en place renforcent leur légitimité par un discours de diabolisation du voisin. On peut tout de même constater que par rapport aux tensions actuelles, le discours marocain tend à l’escalade tandis que la réplique algérienne est plutôt vers la désescalade.

Quel sera l’impact de cette polémique sur le dialogue intermalien qui fait l’objet de rivalité entre les deux pays ?

Sur le Mali, les deux pays sont en rivalité négative. Ils sont clairement en concurrence par rapport à celui qui sera le plus influent dans la région sahélo-sahélienne. Cela étant dit, les instruments d’influence de l’un et de l’autre sont différents. L’Algérie joue sur sa puissance financière, sur son expertise sécuritaire et sur sa tradition de médiateur. Le Maroc optimise ses réseaux socioculturels (les confréries, les tribus). Ce pays n’a pas d’argent à investir donc il investit beaucoup plus sur l’élément humain. Mais sur ce dossier, l’influence de l’Algérie reste très dominante par rapport à celle du Maroc. L’enjeu que représente le Mali pour l’Algérie et pour le Maroc n’est pas le même. Pour l’Algérie, il s’agit d’un enjeu vital. Pour le Maroc, il s’agit d’un enjeu tactique. La sécurité du Maroc n’est pas menacée par la guerre au Mali. Le Maroc veut imposer l’idée que c’est un État sahélien aussi et pas seulement maghrébin, avec l’objectif d’affaiblir l’Algérie.

Est-ce que la réconciliation entre Alger et Rabat est impossible ?

Elle n’est pas du tout impossible. D’abord parce qu’il n’y a pas d’hostilité éternelle entre  les deux États. Ensuite, elle n’est pas impossible parce qu’elle est nécessaire. Les deux États ont besoin l’un de l’autre pour assurer leur développement et leur sécurité durable. Il s’agit d’une nécessité mutuelle. Enfin, une bonne partie de l’hostilité observée vient du déficit de légitimité des régimes en place. Ce qui signifie que si le déficit de légitimité des régimes en place était résolu, l’utilisation mutuelle de l’autre comme alibi sécuritaire n’aurait plus de raison d’être. Et si la France et l’Allemagne se sont réconciliées, il n’y a aucune raison pour que l’Algérie et le Maroc ne se réconcilient pas.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici