La chronique de Benchicou : le prix d’un quatrième mandat

Mohamed Benchikhou

C’est dit sans ambages : « Il n’y aura pas d’exploitation de gaz de schiste, ni même d’investigation tant que je serai là ». La ministre française de l’Écologie, Ségolène Royal, invitée du « Grand Rendez-vous » Europe 1/Le Monde/I-Télé n’a pas laissé de place au doute. « Les experts américains en reviennent du gaz de schiste. Il y a beaucoup de dégâts environnementaux, ensuite le coût s’est révélé beaucoup plus important que prévu ».

Une enquête du New York Times compilant plus de trente mille pages de documents confidentiels provenant de l’Agence américaine de protection de l’environnement, l’EPA, a en effet révélé au grand jour les ravages de l’exploitation des gaz de schiste sur la santé de la population. Pour la première fois l’on apprenait que l’eau rejetée par les puits était radioactive. Alors, parole de Ségolène, pas question de jouer avec la santé des Français et encore moins d’essayer de passer en force en contournant l’hostilité  de l’opinion publique qui reste très forte, encouragée par les eurodéputés écologistes qui ne désespèrent pas de trouver un moyen de bloquer les exploitations à l’échelle européenne.

L’un après l’autre, les pays européens gèlent l’exploitation des gaz de schiste sous la pression d’une société civile qui ne tient pas à jouer au rat de laboratoire. Ainsi, et de la façon la plus officielle, la France tourne le dos au gaz de schiste. Le projet de loi sur la transition énergétique, que Mme Royal devrait présenter mercredi à l’Assemblée, n’évoque pas le gaz de schiste. La France compte trouver la solution pour alléger sa facture énergétique et réduire sa dépendance au nucléaire et aux énergies fossiles sans recourir aux gaz non conventionnels.

Comme toujours cependant, il y a la morale et les affaires. Malgré ces gros inconvénients, le gaz de schiste représente une solution face à la crise énergétique.  Mais où l’exploiter ? Heureusement pour la morale et les affaires, la démocratie a ses limites géographiques.  À deux heures d’avion de Paris, une contrée vaste comme cinq fois la France est prête à accueillir les expérimentations des compagnies françaises pour l’exploitation des gaz de schiste.

Sur ce territoire béni, à la différence des démocraties occidentales, les dirigeants n’ont rien à craindre de leur population dont ils ne dépendent ni du choix électoral ni des mauvaises humeurs. Tout ce qu’ils exigent, c’est un soutien des puissants européens. En échange d’une tape sur l’épaule, ils sont prêts à tester sur leur population des opérations préliminaires de l’exploitation des gaz de schiste.  Ça sert à ça, les quatrièmes mandats.

C’est sous le charme discret de l’autocratie que des groupes français devraient, en effet, entamer des investigations sur le sol algérien en vue de l’exploitation des gaz de schiste.  En Algérie, c’est connu depuis Reggane, il existe une population idéale pour les expérimentations scientifiques dont ne veulent pas des habitants des régions évoluées. « Nous prenons acte de la loi et nous étudions la possibilité de chercher ou d’exploiter les gaz non conventionnels en Algérie », indique un porte-parole de GDF Suez qui, en vérité, collabore déjà avec la compagnie publique pétrolière algérienne Sonatrach pour l’exploitation de gisements de gaz naturel à Touat,  dans le sud-ouest de l’Algérie, sous le nom « TouatGaz ».

Tant qu’elle sera ministre, Mme Royal interdira toute exploitation de gaz de schiste sur le territoire français. Mais tant qu’elle sera ministre, elle fermera les yeux sur ladite exploitation par des entreprises françaises… en territoire algérien où l’on ne sait pas encore ce que veulent dire « dégâts environnementaux ».

C’est en catimini que le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, signa un partenariat avec les dirigeants algériens fin 2012, un deal clandestin que le président algérien Abdelaziz Bouteflika a honoré un mois à peine après sa reconduction, mercredi 21 mai, en donnant son feu vert à l’exploitation des gaz et huile de schiste dans son pays. Tel qu’à Panurge, le Conseil des ministres donna son accord « pour le lancement des procédures requises en direction des partenaires étrangers. » Le tout, évidemment, sans consultation du Parlement algérien, ni débat public.

À quoi bon ? Le quatrième mandat ne se décide pas dans les urnes algériennes, mais à Paris.


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