La chronique de Benchicou : Bienvenue sur le Titanic !

Mohamed Benchikhou

L’Algérie menacée de faillite financière ? Pensez-donc ! Les prix du pétrole peuvent dégringoler, pas le moral des dirigeants. Ici, il n’y a pas de place pour les mauvaises nouvelles. « L’Algérie risque le même sort que le Titanic. Malgré sa puissance et faute d’avoir amorcé le virage à temps, il a sombré au contact d’un iceberg.», ironise-t-on chez Nabni ; un collectif d’Algériens de la société civile qui tente d’alerter depuis plusieurs années les décideurs sur la gravité de la situation.

Qu’importe si tout le monde s’accorde à dire que les cours actuels sont inférieurs aux niveaux nécessaires à l’équilibre budgétaire de l’Algérie. Qu’importe si les experts du FMI répètent à qui veut les entendre qu’un baril de pétrole à moins de 100 dollars constituerait un danger pour l’économie algérienne. Qu’importe si le volume des exportations a fortement diminué, l’Algérie n’ayant plus suffisamment de pétrole à placer sur le marché international. Qu’importe si l’enfer nous attend . L’essentiel est que la population n’en sache rien.

Le territoire a ses codes d’accès, connus des seuls initiés et des gorilles vigilants empêchent toute fâcheuse information venue de la réalité de contaminer l’atmosphère hallucinatoire ou, pire, de se propager au sein de la population. C’est au brio de ces vigiles censeurs que l’on doit d’avoir terrassé toutes les initiatives déplaisantes. Celle-là, par exemple, qui voudrait que le ministre de l’Énergie, Youcef Yousfi, se soit abandonné à s’accabler devant les journalistes, à Mostaganem, reconnaissant que « la chute des cours du pétrole est une grande préoccupation pour le gouvernement qui ne s’attendait pas à une dégringolade aussi rapide. »

Mais non, c’est le journaliste qui a mal compris, ou mal entendu, ou mal écrit, bref, c’est lui, comme toujours, qui a fait dire à notre ministre de l’Energie ces complaintes inimaginables dans la bouche d’un responsable algérien. Un journaliste du quotidien Liberté ! Qu’attendre d’autre de cette presse dévergondée ? Le rideau sanitaire, tenu par de compétents médias censeurs, propres journaux publics ou privés équipés de rédacteurs et d’ordinateurs, ses chaînes de télévision et de radio et même son agence de presse moderne… Cette noria médiatique imposante informe chaque jour le bon peuple, et le plus sérieusement du monde, des derniers délires à la mode dans l’île. Ce travail ingrat, dont on ne souligne jamais assez la contribution à la mythologie nationale, fait appel aux plus récents procédés technologiques et se traduit, aussi grotesque que cela puisse paraître, par de vrais journaux télévisés, d’authentiques dépêches d’agence correctement siglées et de véritables éditoriaux que les auteurs, ajoutant au côté loufoque de la situation, semblent avoir rédigés avec une insoupçonnable gravité.

C’est du reste, à cette agence de presse étatique, l’APS, que Youcef Yousfi a révélé la bonne version de sa déclaration, telle que le journaliste de Liberté aurait dû l’entendre : « Les niveaux actuels des prix ne constituent pas une préoccupation particulière dans les milieux pétroliers. Les fluctuations actuelles de prix sont attribuées aux mouvements des cours de monnaie et aux opérations boursières habituelles. » Voilà qui nous rassure. L’Algérie ne serait donc point menacée de banqueroute. La preuve ? Le gouvernement algérien maintient l’essentiel de la dépense publique dans le projet de loi de finances 2015. Au diable les oiseaux de mauvais augure !

Devant le risque imminent de faillite financière, le régime opte pour la sourde oreille et la fuite en avant. Surtout ne rien reconnaître de l’impasse qui nous attend.  Ce serait, pour le régime de Bouteflika, reconnaître deux graves crimes de gouvernance infligés à ce pauvre pays : pendant  près de 15 ans, du temps de Chakib Khellil,  les principaux gisements  pétroliers du pays ont été surexploités, occasionnant, dès 2008, une baisse du volume des exportations, baisse qui a connu une aggravation en 2012 – 2013. Pendant plus de 15 ans, rien n’a été engagé pour réduire la dépendance aux hydrocarbures, ce qui aurait atténué les effets de la chute des prix sur l’économie nationale.  Bouteflika n’a pas créé une seule usine depuis 1999.

Cette double défaillance est le résultat de la stratégie des alliances qu’a consciemment exécutées Bouteflika dans le seul but de rester au pouvoir.   L’alliance avec les Américains, d’abord. Comme le rappelle Abderrahmane Hadj-Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, « la baisse de volume est liée à la gestion désastreuse » des gisements de Hassi-Messaoud et Hassi-R’Mel durant l’ère Chakib Khellil, lorsque la firme américaine Anadarco était associée à l’exploitation des gisements.

L’alliance  avec le lobby des importateurs  a relégué au second plan  l’économie productrice

Ce choix fut un choix conscient dicté par la nécessité de pouvoir. Bouteflika a préféré investir dans ce qu’il est coutume d’appeler la paix sociale plutôt que de dépenser la formidable manne financière engrangée depuis 2001 à doter le pays d’une économie de substitution aux hydrocarbures.

Alors quand notre ami Mustapha Mekidèche, économiste et vice-président du Conseil économique et social (Cnes), nous annonce qui n’est pas trop tard et qu’il faudrait juste  « arrêter de parler » et développer  sans délai la production nationale et régler les problèmes liés à l’investissement comme l’accès aux crédits, il oublie ou  feint d’oublier  que tout revient à la décision politique. Aujourd’hui, avec le clan Bouteflika, il n’y a rien à espérer de ce côté-là.  Le chef de l’État travaille pour sa  propre  postérité, pas pour l’avenir du pays.  On ne peut sauver le Titanic avec le même Capitaine au gouvernail.


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