La chronique de Benchicou : les cigales au temps des feuilles mortes

Mohamed Benchikhou

Comme toujours, l’été se termine trop tôt pour les cigales. Maudite saison ! À peine avait-on le temps de chanter la gloire du parrain, de promettre aux uns la lune, aux autres Mars et Jupiter, à peine venait-on de jurer aux gens de Mascara qu’avec l’argent du pétrole, ils seraient bientôt Californiens et aux jeunes chômeurs qu’ils seraient bientôt riches sans avoir à  faire la révolution, « pas comme ces fous  de Libyens, parce que, voyez-vous chers compatriotes, ici c’est  la terre bénie et la tirelire nationale y est inépuisable grâce à Dieu qui nous a envoyé la pluie, le soleil et Bouteflika ». Oui, à peine avait-on eu le temps de deux ou trois sarabandes, que voilà l’automne qui sonne le tocsin avec ses mauvaises nouvelles : l’argent du pétrole, c’est presque fini !

Il va falloir réapprendre à serrer la ceinture ! Mais si, mais si ! Le prix du baril et même descendu au-dessous de la barre symbolique des 100 $, niveau au-dessous duquel le Fonds monétaire international qui, comme chacun s’en doute, sait de quoi il parle, considère l’économie algérienne « en danger ». Du reste, nos gouvernants eux-mêmes cèdent à la panique si on en croit nos confrères de Liberté qui rapportent les mots accablés de notre ministre de l’Énergie, effondré devant ce qu’il appelle « l’effondrement subit » du cours du pétrole qui plonge désormais le régime algérien dans le doute et l’incertitude.

Oh, oui, qu’il est loin ce temps qui les fit cigales, sourds aux mises en garde, barbotant dans l’insouciance et l’imprévoyance. C’est bien ce même ministre de l’Énergie, Youcef Yousfi, aujourd’hui catastrophé par la soudaineté de la chute des cours, qui avait si majestueusement désavoué le précédent PDG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine qui avait eu, lui, le culot de dire la vérité à la presse, déclarant que les gisements de pétrole sont en « déclin » et les  réserves « modestes ».

Non, les étés ne sont plus que ce qu’ils étaient ! Celui de 2014, en particulier, aura été d’un cynisme machiavélique. Pensez donc que le prix du pétrole a commencé à chuter… le 21 juin, premier jour de la saison estivale ! Ce jour-là, il avait perdu deux dollars, mais personne n’y avait fait attention, la tête était au football, au match du lendemain contre la Corée. L’honneur national ne tenait pas, alors, au cours du pétrole mais aux pieds de Yacine Brahimi et Islam Slimani.   Et puis, ce 21 juin, notre pétrole valait encore 115 $ le baril, de quoi voir venir…

La richesse de Dieu est inépuisable.  C’est comme cela, d’ailleurs, que Bouteflika a financé le séjour des supporters à Rio de Janeiro. Formule gagnante puisqu’au deuxième jour de la baisse des prix, le 22 juin, l’Algérie connaissait une remontée au classement grâce à sa victoire sur la Corée tandis que le lendemain, troisième jour de la dépréciation de notre unique exportation, le peuple, en délire, en était toujours à défiler dans les rues d’Alger, fêtant la victoire et se préparant à celle qui allait suivre, la victoire contre la Russie qui nous propulserait aux huitièmes de finale de la Coupe du monde.

Non, il ne reste décidément rien de l’euphorie estivale, lorsque la cigale Sellal claironnait pouvoir créer 600 000 emplois avant 2019 et que les hommes qui nous dirigent, exhibant cette désinvolture imbécile qui fait les grands sots de l’histoire, dansaient au rythme de « one two three, viva l’Algérie » confiant le destin du pays à la charge de la bonne fortune. Youcef Yousfi a des raisons d’être inquiet : notre système de gouvernance, bâti sur la valorisation du monarque, donc sur le mensonge et le lobbysme, n’est pas préparé à gérer les temps durs.

A suivre…


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