Entretien. Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses : « On craint l’infiltration des sectes » (vidéo)

Mohamed Aissi

Le Coronavirus, Ebola, Daesh menacent-ils le hadj cette année ?

Notre première préoccupation est de défendre la dignité et l’honneur du pèlerin algérien. Nous avons un contrat à caractère commercial avec la partie saoudienne (commerçants, hôteliers, transporteurs). Cela suppose, implicitement, une quête de gain. Et quelques fois, la partie saoudienne prend de court la vigilance de l’encadreur algérien et triche sur l’espace devant être octroyé à chaque pèlerin. Ce dernier a le droit, par exemple, à un lit avec une hauteur, une longueur et une largeur bien déterminées. Il a également le droit à au moins 4,75 m² d’espace personnel. C’est pour ça que l’Etat algérien a approuvé la création d’un EPIC à caractère industriel et commercial : l’Office du Hadj. Daech n’est pas le problème. Sur l’expression des tendances idéologiques et religieuses qui se manifestent sur les lieux saints de l’islam et cet esprit de contagion, nous avons interpellé nos imams pour immuniser nos pèlerins. Nous avons envoyé 88 imams pour encadrer les 28.800 hadjis. Notre deuxième préoccupation est d’ordre sanitaire. Et tout a été fait pour immuniser le pèlerin algérien. D’abord, par le contrôle médical imposé à tout pèlerin. Cette année, trente personnes ont été écartées parce qu’elles étaient très fragiles. Ensuite, le vaccin est devenu obligatoire. Un contrôle a été instauré à l’aéroport de départ et à l’aéroport d’arrivée. Nous avons aussi une mission médicale composée de 105 médecins et auxiliaires de santé. Cette mission a été renforcée par des spécialistes en épidémiologie et bactériologie.

Pourquoi subventionner le Hadj ? Et à quoi peuvent servir finalement les 24.000 DA accordés à chaque Hadji ?

Le pèlerin doit verser un montant de 380.000 DA. Actuellement, il ne verse que 356.000 DA. Le coût du billet (aller-retour) est à 100.000 DA. Donc, il lui reste 256.000 DA pour le  logement, le transport, la taxe imposée par l’Etat saoudien et les autres frais. L’Etat lui accorde une subvention de 24.000 DA. En fait, cette subvention est reconduite pour la quatrième année consécutive. Depuis quelques temps, le coût du pèlerinage a flambé à cause des travaux effectués autour de la Mecque. Les pèlerins sont hébergés dans des lieux un peu éloignés qui coûtent plus cher. L’Etat algérien avait deux choix. Le premier, et c’est ce que recommande la religion d’ailleurs était de dire que la personne qui n’a pas les moyens, qu’elle ne le fasse pas. Le deuxième est qu’on peut subventionner à hauteur de 24.000 DA le pèlerinage. C’est de la solidarité nationale. Chose qui a été décidée par le président de la République pour cette année. Mais je ne crois pas que le ministère des Affaires religieuses va  renouveler cette demande de subvention auprès de son excellence le président de la République. Nous allons engager, dès cette année, une sensibilisation pour dire que l’islam n’impose pas le pèlerinage. Il le recommande pour ceux qui peuvent le faire, de par leur capacité financière et de par leur capacité physique. A moins que son excellence le président de la République prenne une décision souveraine.

Une association a dénoncé un trafic de passeports hadj…

Le ministère des Affaires religieuses n’est pas partie (prenante) dans cette affaire. Dès que la presse en a parlé, nous avons instruit notre inspection pour vérifier si cette agence (de voyage), qui a été la plaque tournante de ce trafic, organisait ou pas la Omra ou le Hadj. Ce n’était pas le cas. Sinon, nous lui aurions retiré immédiatement l’autorisation. Début septembre, le parquet s’est saisi de cette affaire. Et je ne souhaite pas interférer dans le travail de la justice. En fait, tout Algérien élu par le tirage au sort bénéficie d’un carnet. Ce carnet, joint à son passeport biométrique, lui donne le droit, après le recouvrement de ses redevances financières, de participer au pèlerinage. Toutefois, un pourcentage est donné à l’administration. Ainsi, des gens sollicitent un responsable demandant les carnets pour la mère, la grand-mère ou le père et qui les vendent sur le marché. Et pour la transaction soit plus acceptée, ça se faisait dans une agence de voyage. Il y a eu un petit trafic. Même si ça ne relève pas de notre département, nous avons élaboré des recommandations. Á l’occasion de la préparation de la prochaine saison de pèlerinage, je vais soulever, encore une fois, ce problème de passeport distribué en dehors du tirage au sort. Ce dernier fait tache d’huile dans l’organisation du pèlerinage. Je vais développer une autre façon de faire pour que ces carnets soient immédiatement comptabilisés pour avoir le nombre réel de pèlerin pour mieux s’organiser.

Vous avez déclaré que l’Algérie craint le Printemps arabe. Pourquoi ?

Nous n’avons pas peur du Printemps arabe ! J’ai dit et le redit : on craint que certaines sectes puissent s’infiltrer en Algérie en profitant des circonstances politiques des révolutions au nom du printemps arabe. On craint que ces tendances profitent de l’organisation du pèlerinage, des campus universitaires et de la liberté de conscience et d’expression pour prendre pied en Algérie. Nous détenons des rapports, émanant de nos chancelleries, qui font allusion à l’organisation de certaines conférences qui appellent à s’impliquer en Algérie sous le couvert du printemps arabe. A Karachi (Pakistan), une conférence internationale autour de l’Ahmadisme et du Bahaïsme a été organisée. Au cours de cette rencontre, un appel a été lancé pour s’impliquer d’avantage dans le Maghreb arabe et de profiter de la circonstance du printemps arabe pour s’infiltrer et prendre pied en Algérie. Les pays de la région sont très préoccupés par cette instrumentalisation de l’islam à des fins révolutionnaires.  Nous avons pris des dispositions au niveau du ministère. Il s’agit notamment de formation de nos inspecteurs et de nos imams. Il s’agit aussi de travailler en collaboration étroite avec les départements ministériels concernés par l’infiltration intellectuelle et la sécurisation intellectuelle de la société algérienne dont le ministère de l’Enseignement supérieur. Pour ce qui est de la révolution en tant que telle, l’Algérie est pionnière. Outre la révolution de 1954, elle a vécu son printemps en octobre 1988. Encore une fois, nous n’avons pas peur de la révolution en tant que telle car elle est propre à la réflexion et au comportement algérien.

Vous avez annoncez de nouvelles mesures contre l’extrémisme…

Ce sont des dispositions contre l’extrémisme, l’infiltration sectaire, l’instrumentalisation de la religion et de la mosquée. La loi sur les associations stipule que les organisations à caractère religieux sont régies par un décret. Un texte qui concerne l’organisation caritative à caractère religieux, la zaouïa, l’école coranique, la mosquée et la salle de prière pour le culte hors que musulman. Il définit la façon de créer, de gérer, de dissoudre, de contrôler les attributions et prérogatives de l’association. Avec ce décret, l’association (à caractère religieux) doit recevoir l’aval préliminaire du ministère des Affaires religieuses pour déposer son dossier au ministère de l’Intérieur. Son cahier des charges doit être très clair dans le sens où elle s’interdira l’extrémisme, l’instrumentalisation de la religion, l’interférence dans les prérogatives de l’homme de culte. Elle s’y engage à défendre la République et ses lois et s’y interdit de coordonner avec des entités étrangères sauf après approbation du ministère. En fait, nous avons mis en place un dispositif propre à l’Algérie pour l’immuniser encore plus dans la gestion du culte de façon à ce que celui-ci ne soit pas instrumentalisé ou ré-instrumentalisé. L’objectif est de ne pas retomber dans ce que nous avons vécu dans les années 1990.

Est-ce que le prosélytisme religieux a baissé ?

En effet, nous enregistrons une baisse très importante. Depuis 2006, et après les célèbres caricatures blasphématoires, nous avons remarqué que le nombre de non musulmans qui se convertissent à l’islam en Algérie augmentait. En 2004, il y avait 80 convertis. On est passé à 120 en 2006, puis à 180 en 2007.  En même temps, je remarque via les rapports et le travail de proximité fournit par les directions des affaires religieuses et les inspecteurs du ministère qu’il y a une baisse dans la soumission au prosélytisme en Algérie. A un moment donné, je crois que le radicalisme islamique a poussé certains Algériens à se retrouver sécurisé dans une autre religion que celle de l’islam et considérer celui-ci comme étant radical et extrémiste.

La mosquée peut-elle jouer un rôle dans la lutte contre la violence et l’incivisme dans la société algérienne ?

Nous entamerons, le 17 septembre prochain, à l’occasion du prêche du vendredi, une campagne nationale de civisme qui va toucher l’ensemble des mosquées, des écoles coraniques, des zaouïas, des radios et télévisions, mais aussi des centres culturels islamiques. Nous allons interpeller les gens sur la citoyenneté. Nous allons les appeler à redécouvrir leur islam authentique. Celui de la clémence, du pardon et de l’entraide. Nous avons remarqué que la société algérienne perd de plus en plus son âme et sa morale. Et la moralisation de la société relève, bien sûr, de l’école mais aussi de la mosquée. Et c’est pourquoi nous sommes impliqués avec le ministère de l’Education nationale pour réviser avec lui le contenu du programme de l’éducation religieuse. Il ne s’agit pas d’avoir un élève qui sache comment faire la prière et comment effectuer le pèlerinage. Il s’agit d’avoir un élève qui se défend de voler, qui se défend de frapper et de tuer, qui se défend de s’organiser en groupe armé et extrémiste. Il s’agit donc de renouer avec cet islam ancestral.

Après l’avoir annoncé, vous estimez aujourd’hui que la réouverture d’une synagogue relève de l’obsolète Pourquoi ?                                                                                                                                                                                  

Ce n’est pas moi qui ai dit que la réouverture d’une synagogue relève de l’obsolète. Ce sont les correspondances que j’ai reçues de la part d’autorités religieuses judaïques qui le disent. En remerciant l’Algérie pour la clarté de sa démarche et la proclamation haut et fort des principes de la République en matière de liberté de conscience, ces autorités religieuses ont interpellé le ministère des Affaires religieuses pour dire que cette réouverture relève de l’obsolète parce qu’il n’y plus assez de juifs en Algérie pour prier dans ces lieux. Ensuite, il n’y a pas eu de demandes officielles de la part de juifs algériens ou autres pour la réouverture de synagogues en Algérie. Cela étant dit, il y a eu une manipulation de mes propos, une politisation de la démarche et du refus et un harcèlement idéologique (concernant cette question). Ce que j’ai dit (sur la réouverture des synagogues, ndlr) s’inscrit dans la démarche historique. Ce n’était pas étranger à l’appel de monsieur le président de la République lancé, en 1999, à partir de Constantine ou à celui du FLN du 1er octobre 1956 ou à l’appel du Saint Coran !

Comment le projet de la Grande mosquée d’Alger pourrait-il être livré en 2016 malgré le retard accusé ?

Le projet devait être livré en 2015. Nous avons accusé quelques huit mois de retard. Nous allons essayer de le rattraper. Voici quelques chiffres sur le taux d’avancement des travaux de la Grande-mosquée : lors de ma première visite sur le chantier, le taux d’avancement des travaux de la salle de prière était à 21%, lors de ma deuxième visite, il était à 28% ; concernant le minaret, le taux était à 8% et il est passé à 16% ; pour ce qui est de la cour extérieure et du parking, le taux est passé de 8 à 23%. Nous avons aplani les problèmes qui ont jalonné l’exécution de ce projet qui sera livré entre 26 mars 2016 et le 22 juin 2016. J’ai donné quelques mois dans l’espoir de faire la prière du vendredi, à l’occasion du 1ernovembre 2016, à la Grande mosquée d’Alger.

 Comment desservir la Grande mosquée d’Alger sachant que l’autoroute de l’Est est déjà saturée ?

L’accès principal de la mosquée se trouve dans la cité de Mohammadia. D’autres accès sont au niveau de la rocade sud. Des accès qui sont en voie de construction par le biais de la direction des travaux publics de la wilaya d’Alger et qui sont pris en charge par le ministère des Travaux publics. Donc, les usagers de l’autoroute vont accéder par des pénétrantes et les autres vont accéder via la cité.


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