Moines de Tibéhirine : la délicate enquête du juge français Marc Trévidic à Alger

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Après des années de doutes et de revirements, l’ouverture semble être actée. Le ministre de la Justice, Tayeb Louh, a annoncé, mercredi 3 septembre, avoir autorisé le juge français Marc Trévidic à venir enquêter du 12 au 13 octobre prochain sur l’assassinat des sept moines de Tibéhirine, enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans leur monastère près de Médéa.

Le travail de terrain va enfin pouvoir commencer pour ce juge qui a déjà essuyé deux refus de suite des autorités algériennes cette année. « C’est une annonce officielle qui engage cette fois-ci les autorités algériennes. Mais je préfère rester prudent, car jusqu’au dernier moment on se demandera s’il pourra effectivement s’y rendre », explique à TSA Patrick Baudouin, l’avocat des proches des sept moines assassinés.

L’objectif premier de ce déplacement est d’exhumer et d’autopsier les têtes des sept français. Décapités deux mois après leur enlèvement, leur assassinat avait à l’époque été revendiqué par le Groupe islamiste armé (GIA) en pleine guerre civile. Mais de nombreuses zones d’ombre persistent autour de leur mort.

En 2009, l’ancien attaché de l’ambassade de France en Algérie, François Buchwalter, a semé le doute sur la version officielle d’Alger, livrant à Marc Trévidic le témoignage indirect d’un ancien soldat algérien au sujet d’une possible attaque par l’armée. Cette dernière aurait tiré sur la zone où se trouvaient les terroristes, tuant au passage les moines, selon ce témoignage. La question est donc de savoir « si la décapitation des moines a été ante ou post mortem », explique Patrick Baudouin.

Deux obstacles semblent, toutefois, se dresser sur le chemin des Français. D’abord celui du temps. Les moines ont été tués, il y a maintenant 18 ans. Dur de savoir si aujourd’hui l’autopsie permettra de donner des résultats probants. « Il n’y a pas de certitude, mais c’est possible », estime Patrick Baudouin.

Ensuite, le problème de l’autopsie en elle-même. « La procédure d’expertise et d’autopsie sera assurée par des experts algériens”, a déclaré le ministre Tayeb Louh juste après avoir annoncé la venue du juge. Une phrase très lourde de sens. Les familles des victimes réclament, en effet, depuis des années que des médecins français examinent les moines, manière d’éviter toute confusion avec le pouvoir algérien. Mais cela semble mal parti.

Sur ce point, le camp français avance toutefois à tâtons, conscient de marcher sur des œufs dans cette affaire ultrasensible. La France ne veut pas risquer de donner une raison au camp algérien de faire à nouveau capoter la venue du juge. « C’est notre dernier espoir », avoue l’avocat des victimes.

Deuxième volet très important de l’enquête : les interrogatoires. Le juge s’est vu refuser par les autorités algériennes à la fin 2013 l’autorisation d’interroger une vingtaine de témoins en lien avec cette affaire. Alger lui a alors proposé d’obtenir les procès-verbaux d’auditions de ces témoins lorsqu’ils seraient réalisés par le juge algérien en charge de l’affaire. « En l’état, rien n’a été reçu depuis cette annonce. Le juge Trévidic ne va pas manquer de leur rappeler », croit savoir Patrick Baudouin. La complexe partie d’échecs entre les autorités algériennes et le juge français ne fait que commencer.


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