La chronique de Benchicou : Mohamed V et nos martyrs (2)

Mohamed Benchikhou

Dans son empressement à dévaloriser la résistance du peuple marocain et de tirer à lui la couverture de l’Histoire, le chef de l’État algérien a recourt au bon vieux procédé de divinisation et de sacralisation du passé. Il n’a pas de mots assez puissants pour dépeindre la portée universelle de la glorieuse révolution algérienne « Qui a écrasé l’ennemi, éclairé les sentiers  du salut des peuples opprimés, a changé le cours de l’histoire, éliminant  l’injustice et consolidant la stabilité des relations entre États et peuples. » Et tant pis pour Lunumba, Nehtu, Soekarno et Mao !

Le subterfuge lui permet, ainsi, de régler ses comptes avec le voisin mais aussi avec l’époque, avec le Printemps arabe notamment. Ayant posé les jalons d’une histoire divinisée, dont il suggère être un des acteurs, il peut alors s’affirmer en preux descendant d’une ère prestigieuse, exclure l’autre – en l’occurrence, ici, le roi Mohamed VI, le « jeunot », renvoyé à la puérilité de son statut adolescent – et se servir, avec adresse, de ce passé sanctifié pour dévaloriser le Printemps arabe et justifier l’autocratie qu’il exerce.

Réécoutons-le : « La stabilité dont jouit notre pays aujourd’hui sur fond d’agitation  régionale et géostratégique qui a malheureusement affaibli de nombreux  pays en raison notamment d’un manque d’attachement aux valeurs d’unité,  de souveraineté et de sécurité et une mauvaise appréciation des embûches  posées par les semeurs de discorde pour diviser les sociétés en vue de les  dominer. » Et vlan sur la gueule des manifestants tunisiens, libyens et égyptiens !

C’est peu dire qu’il fait une exploitation outrancière et frauduleuse de la mémoire des prestigieux chefs de l’opération 20 août 1955 qui devient, ainsi, le prétexte à une légitimation d’un régime illégitime !

L’ennui, c’est que les sociétés modernes ont pris leur distance par rapport au sacré. Nous vivons dans une Histoire désacralisée.

Aujourd’hui, nul n’est dupe de la nature autocratique du régime algérien. Á commencer par les chefs de l’opération 20 août 1955 dont la victoire exténuée a été finalement trahie et qui, pour la plupart, d’Ali Kafi à Salah Boubnider ont terminé leur vie en s’opposant au pouvoir de Bouteflika, (nous y reviendrons plus loin). Á l’heure où le savoir se démocratise et où l’histoire est dépouillée de tous ses secrets, il n’y a plus que de vieux esprits démodés pour faire étalage d’une supériorité aux dépens de la vérité historique.

Ainsi, quand le président algérien affirme que « La solidarité des algériens avec les résistants  en Tunisie et au Maroc, a généré une prise de conscience quant  à une impérieuse libération qui a englobé, de par sa profondeur et sa dimension,  l’ensemble de la région maghrébine », autrement dit que rien ne se serait produit d’heureux pour les tunisiens et les marocains sans « la solidarité des Algériens », il renie l’histoire de l’Étoile nord-africaine (voir la première partie) mais, plus impardonnable, il saute allègrement une page fondamentale de l’histoire du Maghreb : la résistance marocaine contre l’occupant français et espagnol, la résistance d’Assaut Oubasslam qui mena, entre autres, la bataille de Bougafer en 1918, contre l’armée française,  la résistance de Mohamed Amezian, celle de Hassan Ouazani et, celle qui rayonne aujourd’hui sur tout le Maghreb, la résistance d’Abdelkrim El-Khettabi.

Le héros de la bataille d’Anoual (1921) au cours de laquelle l’Espagne perdit 16 000 soldats, alors que 24 000 autres sont blessés et 700 faits prisonniers, reste la figure la plus connue de la résistance maghrébine. Trente ans avant l’opération du 20 août 1955, la victoire d’Anoual avait eu un retentissement dans le monde entier, démontrant que même avec des effectifs réduits, un armement léger et une importante mobilité, il était possible de vaincre des armées classiques. Abdelkrim avait fait trembler les puissances coloniales, s’autorisant même la proclamation d’une République au sein du territoire colonisé.

La République du Rif qui fera l’effet d’une déflagration sur le plan international  en tant que premier « territoire libéré » issu d’une guerre de décolonisation au XXe siècle. Abdelkrim ira jusqu’à mettre sur pieds un Parlement constitué des chefs de tribus,  un gouvernement et promulgue jusqu’à des réformes modernes au nez et à la barbe de  l’occupant. Il a fallu une coalition franco-espagnole et l’envoi en urgence du maréchal Pétain, qui fit usage des premières armes de tueries massives, pour venir à bout d’Abdelkrim. Il s’était rendu, demandant à ce que les civils soient épargnés.

Mais ni Madrid ni Paris ne pouvaient tolérer qu’un tel soulèvement reste impuni. Ainsi dès 1926 des avions munis de gaz moutarde bombarderont des villages entiers, faisant  150 000 victimes parmi les populations  civiles, faisant des Marocains du Rif les premiers civils gazés massivement dans l’Histoire.

Toute cette épopée, qui façonna le mouvement national d’alors, est ignorée par le président  algérien. Lui si enclin à revaloriser le combat algérien au détriment de celui des autres peuples, serait plutôt embarrassé de savoir que  c’est la résistance d’une haute figure marocaine qui exerça une influence décisive sur le père du nationalisme algérien et non l’inverse !

Notre chef de l’État, qui dit admirer Messali Hadj, ne devrait pas ignorer que le leader Rifain fut un des principaux personnages dont on peut dire, au même titre qu’Atatürk et Lénine, que le combat fut constitutif de la personnalité de Messali.

Le 26 juin 1926, dans la maison des syndicats, boulevard de Belleville, à l’occasion  d’un meeting organisé pour faire connaître l’Étoile nord-africaine  qui venait d’avoir trois mois d’âge et alors que l’émir Abdelkrim venait de livrer sa dernière bataille à Anoual,  Messali avait confié à des proches : « L’émir Abdelkrim cesse le combat au moment où l’Étoile nord-africaine entre dans les quartiers pauvres de Paris. Il y a quelque chose de fabuleux dans cette coïncidence, comme signe de Dieu. » Comme dit l’émir Abdelkader : « Quand un homme meurt  sous les balles de l’ennemi,  un autre  se lève. »

Le message  était clair. L’Étoile nord-africaine avait été créée pour continuer le combat de l’Émir Abdelkader et celui d’Abdelkrim. Le marocain Abdelkrim resta à jamais une des subjugations du futur père du nationalisme algérien, fils hagard d’une colère universelle comme il se définit lui-même, « progéniture des révoltés des Tuileries et d’Abdelkrim le Rifain », balançant entre Dieu et Lénine, entre les communards et les derkaouas,  la zaouïa et la Bastille, entre Salah-Eddine et Jean-Jacques Rousseau… Ce fut cela, la mie nourricière du mouvement national algérien, une passion à cheval entre l’amour des vivants, l’identité musulmane et le combat internationaliste dédié à la justice entre les hommes sur cette terre.

Bouteflika ou ceux qui rédigent en son nom devraient relire ce que fut vraiment le mouvement national algérien : une idée, une simple idée, forte et généreuse nourrie de mille ans d’impatiences et l’impatience, comme la colère, ne connaît pas de frontières, pas de langue, ni de race, pas de religion…

Ce fut cela, la grandeur algérienne, rassemblée à toutes les autres grandeurs que les hommes portent dans leur cœur. Ce fut cela la grandeur algérienne avant qu’elle ne soit labellisée, encartée, porteuse d’un seul étendard puis objet de tiraillements mesquins, de puissantes avidités qui tenaient lieu d’ambition, de jouet entre les mains de créatures étrangères à la noblesse du combat.

Toute notre défaite vient de ce que l’on a laissé des mains sales s’emparer d’une idée immaculée et qui perdit, à jamais, sa blancheur. Une belle histoire venait d’avorter avant même de commencer. Une autre, au visage hideux, s’imposait à nous. L’Algérie entrait dans l’ère du pouvoir absolu, de la dictature et de l’écrasement de l’Homme.

Ce régime qui nous gouverne aujourd’hui, en est l’enfant adultérin. Soixante et un ans après le 20 août 1955, le peuple algérien est toujours  à la recherche de sa liberté ! Les chefs du 20 août 1955  n’ont jamais pardonné à Bouteflika  d’avoir travesti leur  idéal. Nous y reviendrons.

À suivre…


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