Les raisons du désordre urbain en Algérie

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Le projet immobilier décrié à la cité Les Sources à Alger – trois immeubles de 14 étages sur un ancien espace vert – met en lumière le problème des constructions sauvages en Algérie. Les règles élémentaires de construction sont souvent négligées par des promoteurs immobiliers peu regardants sur les lois. Un constat partagé par le président du Collège national des architectes, Abdelhamid Boudaoud. Entretien.

Pourquoi se retrouve-t-on dans l’impasse avec le projet de la cité des Sources ?

Avant de lancer n’importe quel projet de construction, le maire doit réaliser ce qu’on appelle un « plan commodo et incommodo », c’est-à-dire avantages et inconvénients. Il réalise une enquête auprès de ses habitants pour connaître leurs impressions sur ce projet. De là est établi un Plan d’occupation des sols (POS) avec un cahier des charges précis sur la taille que peut supporter un terrain. Ici, le terrain a été vendu à une personne très puissante et le POS n’a même pas été réalisé alors que l’immeuble doit faire 14 étages, soit plus que les immeubles environnants. Ce qui m’amène à dire qu’il y a forcément une main derrière qui a encouragé ces abus.

La réglementation est-elle suffisante dans le secteur de la construction ?

On a les meilleures lois du monde, mais pas les hommes pour les appliquer. Prenez l’exemple de la voiture : aujourd’hui, presque tout le monde met sa ceinture par peur de la contravention. Mais personne ne respecte les lois dans la construction. L’État gaspille des tonnes d’argent pour rédiger des lois et ça ne sert à rien. Le vrai problème, c’est que chez nous on commence à édifier et ce n’est qu’après qu’on réalise une étude de faisabilité.

Quelles sont les responsabilités ?

Elles sont partout. D’abord au niveau de l’État. Depuis 1979, 33 ministres de l’Habitat se sont succédé. Ils n’ont tous parlé que de la quantité de logements construits et jamais de leur qualité. Du coup, on a créé une ville monstre, pour ne pas dire un bidonville.

Ensuite au niveau des communes, les mairies doivent veiller au contrôle permanent des constructions. Mais là c’est n’importe quoi, regardez autour de vous. Moi demain, si je suis maire, je vois un projet qui pose problème, je l’arrête. À ce sujet, on a créé la Police de l’urbanisme et de la protection de l’environnement (PUPE) pour veiller à cela. Mais ces brigades ne font rien.

Les architectes ont aussi leur responsabilité et je dis cela en étant dans cette profession. Nous n’avons pas d’architectes en Algérie, nous avons des charlatans. La formation est mauvaise.

D’où vient cette désorganisation chronique ?

Je pense que l’origine vient du moment où la France a quitté l’Algérie. On a squatté les terrains et les maisons des occupants sans aucun scrupule et sans aucune organisation. Au contraire, on en riait.

D’ailleurs aujourd’hui, c’est la même chose et des histoires récentes le montrent. À Staoueli en 2011, une centaine de jeunes ont squatté une surface agricole. Ils ont morcelé les terrains et les ont vendus alors qu’ils n’étaient pas à eux. Idem à Oran : des habitants se sont emparés de 200 lots et les ont vendus 3 000 dinars le mètre carré.

Quelles sont vos pistes pour améliorer cette situation ?

Il faudrait que chaque commune fasse le recensement de son patrimoine immobilier. Et qu’elles disent clairement ce qu’il faut réhabiliter, ce qu’il faut garder et ce qu’il faut détruire. Là, nous pourrions avoir une vraie cartographie des besoins et une idée plus claire du patrimoine foncier.

Par ailleurs, il faudrait que les communes travaillent de manière plus claire sur les besoins en ciment. Nous en produisons 18 millions de tonnes chaque année, l’utilisation doit être mieux coordonnée pour éviter d’avoir recours à l’importation et mieux organiser la construction.

Êtes-vous optimiste pour le changement ?

On peut l’être si l’on se dit qu’on arrive à mieux parler et à écouter entre les différents acteurs. Qu’on arrive à avoir une vraie culture de la construction. Mais honnêtement, je pense qu’il nous faudra entre 100 et 150 ans pour y arriver. Lorsque vous voyez partout en Algérie le même urbanisme, vous vous dites que c’est monstrueux. Alors qu’au Maroc ou en Tunisie, ils ont réussi à réaliser des choses tout à fait remarquables.


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