Entretien. Le président du RCD, Mohcine Belabbas : « Il faut appliquer l’article 88 de la Constitution »

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Ne trouvez-vous pas que l’opposition donne l’impression d’être rentrée dans une sorte d’hibernation à quelques jours de la rentrée sociale ?

Je peux parler du RCD, mais pas de toute l’opposition. D’abord, notre parti a continué à s’exprimer et à activer durant les mois de juillet et d’août. Notre dernier communiqué remonte au 27 juillet où on s’est exprimés sur plusieurs questions dont la guerre contre Gaza, la situation à Ghardaïa, le crash de l’avion d’Air Algérie et certaines décisions du gouvernement. Ensuite, il faut savoir que l’été est une période au cours de laquelle les partis politiques s’occupent des structures internes. En fait, la classe politique est habituée à attendre  début septembre parce que c’est à ce moment-là que la Loi de finances complémentaire (LFC), par exemple, est adoptée et qu’un certain nombre de décisions importantes sont prises par le gouvernement. Des décisions qu’il faudrait analyser, commenter et éventuellement dénoncer. Autre raison qui fait que les partis politiques ne s’expriment pas beaucoup en août : ce mois est une période durant laquelle le citoyen algérien prend son congé. Un parti politique estime donc qu’il n’y a pas de suivi important de ce qui se passe sur la scène politique. Ainsi, les déclarations, les réactions et les activités importantes sont toujours reportées au début du mois de septembre.

Qu’en est-il de l’absence d’activités au sein de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique ?

Il faut rappeler que la Coordination n’est pas un parti politique. C’est une structure dans laquelle siègent des représentants de partis et des personnalités qui coordonnent des actions pour un objectif donné. Un objectif qui est déjà dans l’intitulée de la Coordination : les libertés et la transition démocratique. Il faut savoir aussi qu’il y a des périodes durant lesquelles on prépare ces actions. De l’élection présidentielle jusqu’à la tenue de la conférence nationale du 10 juin dernier, il n’y avait que des réunions et des consultations. Des réunions internes auxquelles la presse s’intéressait beaucoup. Après le 10 juin, nous avons revu la plateforme politique en intégrant un certain nombre de propositions formulées durant la conférence nationale. Nous avons envoyé le document à tous les participants. Nous avons tenté d’organiser une conférence thématique sur les différentes formes de transition en juillet, mais elle a été empêchée. Pour protester contre l’interdiction, nous avons tenu un rassemblement devant la Grande-Poste. Actuellement, nous sommes toujours en train de préparer les conférences thématiques. Des rencontres importantes sont prévues vers la fin du mois août et le début du mois de septembre avec des personnalités. Ce genre d’initiatives prend du temps.

Avez-vous envoyé la plateforme de la Coordination aux autorités ?

Une décision a été prise pour envoyer la plateforme à la présidence de la République et des membres de la Coordination ont été chargés de le faire. Mais le plus important est que la plateforme soit publique et connue de tous. Sur le plan pratique, on était obligés de l’envoyer aux participants à la conférence nationale.

Avez-vous obtenu des réponses après l’envoi de la plateforme ?

Non, car nous l’avons envoyée pour information. Il ne s’agissait pas de réagir. Les réactions ont eu lieu bien avant et au cours de la conférence nationale. Nous avons dépassé l’étape du débat autour de la plateforme politique.

Quelle réaction a suscité au sein de la Coordination l’initiative du consensus national proposée par le FFS ?

D’abord, seuls les communiqués communs cosignés par les membres adhérents peuvent s’exprimer au nom de cette Coordination. Et avant qu’on soit membres de cette Coordination, nous sommes des responsables de partis politiques. À chaque fois qu’on va juger utile de coordonner une action, on peut le faire dans le cadre de la CNLTD. Ensuite, au niveau du RCD, nous n’avons pas pour tradition de critiquer les actions des partis de l’opposition. Au contraire, nous encourageons l’action de tout parti politique de l’opposition. Surtout les actions qui vont dans le sens de la transition démocratique. Et tant mieux que le FFS pense à organiser une conférence nationale. Nous verrons le contenu de cette conférence et ses objectifs. On ne peut pas organiser une conférence sans fixer un certain nombre d’objectifs au départ, sans déterminer autour de quoi on voudrait construire ce consensus et dans quel objectif. Dans sa démarche, la Coordination est très claire. Au début, il s’agissait du boycott des présidentielles. Maintenant, il s’agit d’une lutte pour les libertés et la transition démocratique. Et il faut un consensus sur la manière avec laquelle nous devons aller vers cette transition démocratique. Aussi, je considère qu’un parti n’est pas un médiateur. C’est un outil de lutte pour ses militants et les citoyens. La transition démocratique n’a pas besoin de médiation, mais de la création de rapports de force pour peser dans une éventuelle négociation avec le pouvoir. Et nous ne pouvons pas être catégoriques et dire que nous aurons à faire lors d’une éventuelle négociation à ce même pouvoir. Ceux qui vont décider de discuter avec l’opposition pour aller vers la transition ne seront pas automatiquement ceux qui sont en charge des affaires de l’État en ce moment. D’ailleurs la médiation renvoie à l’arrangement. Et un arrangement n’est pas un consensus. Il veut dire plutôt que, dès le départ, des concessions seront consenties pour un certain nombre d’intérêts. Nous ne sommes pas dans cette démarche. Mais je ne juge pas l’initiative du FFS. Je parle de ma conception du consensus, de la transition démocratique et de la stratégie à mettre en place pour parvenir à ces objectifs.

Y-a-t-il eu des changements dans le rôle du DRS dans la vie politique ?

Je ne pense pas qu’il y ait quelques changements. En septembre 2013, à l’occasion du remaniement ministériel suivi d’un certain nombre de réaménagements au niveau du DRS, nous avions dit que nous sommes face à une opération de récupération des prérogatives détenues, jusque-là, par un certain nombre de personnages influents au DRS pour le compte d’un certain nombre d’autres personnages proches de la présidence. En fait, il n’y a pas eu de décision formelle de dissoudre cet appareil (de police politique, NDLR), ou une décision pour qu’il ne s’immisce plus dans la gestion politique du pays. Peut-être que les agents du DRS sont moins visibles. Cela reste à prouver surtout quand on constate qu’on continue à refuser des agréments pour des partis politiques alors qu’on les donne à d’autres. Surtout dont les initiateurs sont issus de partis connus pour leur farouche opposition au pouvoir. Donc, on peut considérer que la police politique est toujours là tant qu’il n’y a pas de décision formelle, de décret, de loi, de débat sérieux à l’APN autour de cette question.

Donc, le débat sur le rôle du DRS, lancé par le patron du FLN au début de l’année, n’a servi à rien…

On ne peut pas dire cela, car le débat est toujours utile. On peut constater que ça n’a pas encore abouti. En fait, je ne pense pas que c’est la polémique de M. Saâdani qui a suscité le débat sur cette question, car il a toujours existé en Algérie. Pas publiquement peut-être, car je me souviens qu’en 2012, quand je citais le général Toufik, des journalistes refusaient de reprendre (les déclarations, NDLR). Au RCD, nous l’avons assumé publiquement pendant longtemps. Mais il est vrai que ce genre de déclarations n’a pas le même impact quand elles sont formulées par un parti du régime. D’autant que le secrétaire général du FLN est aussi un ancien président de l’APN. Sauf que le débat était biaisé quand ces déclarations venaient de M. Saâdani.  Elles étaient perçues, dès le départ, par un certain nombre d’acteurs politiques et par la majorité des citoyens comme étant une lutte de clans et qu’il ne s’agissait pas d’une conviction de la nécessité d’aller vers la dissolution de l’appareil. Encore une fois, ce débat a servi et ça a aidé.

Est-ce que le RCD continue à enregistrer des dépassements des services de sécurité contre ses militants ?

Les derniers dépassements ont été enregistrés à Ghardaïa et Sétif où il y a eu une descente de la gendarmerie au siège du RCD pour empêcher une réunion. Nous l’avons dénoncé. Et souvent, quand il y a une dénonciation publique, il y a un recul pendant un certain temps. Ces actions sont faites pour dissuader, décourager et faire peur au militant et le pousser à quitter son parti. En plus de ces interventions directes, les services de la police politique interviennent souvent auprès des familles des militants pour les pousser à quitter leurs partis et parfois auprès de leurs employeurs. Le RCD n’est pas le seul parti qui est concerné. En fait, les militants de la société civile et des journalistes aussi peuvent être concernés.

Bouteflika est toujours absent de la scène politique et ne s’exprime que via des messages lus par ses collaborateurs ou ses ministres. Qu’en pensez-vous ?

Je continue de croire qu’il faut appliquer l’article 88 de la Constitution. Une loi s’applique ou s’amende. Le RCD a toujours été un parti légaliste. L’actuel chef de l’État répond à ce qui est demandé dans cet article. Il est malade, infirme, ne s’exprime pas publiquement, incapable de gérer le pays, de le représenter dans un pays à l’étranger. Qu’il s’exprime par un petit communiqué ne change rien au problème. L’article 88 est toujours d’actualité tant que la Constitution n’a pas été amendée. Et sur cette question relative à l’article 88 de la Constitution, je pense qu’il y a une évolution entre décembre 2012, date à laquelle le RCD avait demandé publiquement son application, et aujourd’hui. En décembre, on était seuls. Six mois après, l’essentiel de la classe politique commençait à assumer cette demande. Il faut savoir que quand un parti politique dit quelque chose, il ne demande pas au pouvoir de le mettre en œuvre. Le parti essaie de sensibiliser le maximum d’acteurs politiques et de citoyens autour de lui. Selon l’urgence d’aller vers un État de droit, ça peut aboutir comme ça peut ne pas aboutir. Tant qu’il a tous les rênes du pouvoir, Bouteflika ne va pas se destituer. Quand on a commencé à sensibiliser, c’était toujours dans la perspective de la construction d’un nouveau rapport de force. Et cela ne se fait pas en une année. Et je continue à croire qu’un rapport de force n’est pas l’addition d’un certain nombre de sigles de partis politiques. Il concerne avant tout le citoyen algérien. On doit comprendre qu’il est urgent d’associer la société civile et le citoyen algérien.

Vous organisez demain un colloque pour commémorer le Congrès de la Soummam et ressusciter son esprit…

Ce n’est pas la première fois que le RCD organise un colloque autour du Congrès de la Soummam. Le parti a toujours estimé qu’il est important de réexaminer l’histoire afin de voir comment aller de l’avant. Durant ce genre d’activités commémoratives, on fait de la prospection. On va débattre d’un moment important de l’histoire de l’Algérie pour essayer de voir quel enseignement en tirer. Le Congrès de la Soummam était un moment important où, pour la première fois, des acteurs de différentes sensibilités s’étaient impliqués dans la révolution. Une plateforme sérieuse et détaillée avait sorti d’un conclave et où on a pensé à organiser la société civile. Et aujourd’hui, nous sommes à une étape où il est important d’organiser la société civile. Quand on dit l’esprit de la Soummam, c’est d’abord le débat, la recherche des meilleures voies et moyens pour concrétiser réellement l’indépendance nationale. C’est  la projection aussi. Les participants à ce Congrès pensaient déjà à l’après-guerre, à l’idée d’associer toute la population algérienne et lui donner un meilleur encadrement et une meilleure discipline.


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